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Du discours politique au discours mortifère chez Ahmadou Kourouma et Boubacar Boris Diop 

lundi 6 octobre 2014, par Faustin Mezui M’okane

Analysons les stratégies du discours politique des divers acteurs actualisés dans les univers romanesques visités, et montrons-en le non-dit. L’art oratoire est indissociable de la conquête et de l’exercice du pouvoir. En réalité, le discours n’est pas seulement un simple instrument du pouvoir, il est l’expression même du pouvoir. Les chefs politiques mis en oeuvre, au nom du droit à défendre leur peuple, utilisent la parole à des fins utilitaires. De fait, le discours politique devient une arme meurtrière.
Le romancier africain observe son monde et aborde au vol cette Histoire en marche. La réalité sociopolitique du continent noir donne l’image d’une Afrique où le mal est en spectacle permanent et bouscule plus que jamais tous les symboles d’une contemporanéité tragique et malheureuse.


Summary :

This article aims to analyze the strategies of the political discourse of the various stakeholders updated in the romantic world visited, and to show the unsaid. Public speaking is inseparable from the conquest and exercise of power. In fact, the speech is not just a mere instrument of power, it is the expression of power. Political leaders implemented on behalf of the right to defend their people, using the word for utilitarian purposes. In fact, the political discourse becomes a deadly weapon.
African novelist observes his world and tackles flying this history on. The socio-political reality of the black continent, gives the image of an Africa where evil is permanent show and shakes more than ever all symbols of a tragic and unfortunate contemporaneity.

Keywords  : political discourse, strategy, tragedy, power, slaughter, genocide, tribal war.


Introduction


Les écrivains africains sont très sensibles et attentifs à l’évolution de leurs sociétés, aux graves crises sociopolitiques qui les ont jalonnées et détournées de leur propre logique. Leurs discours mettent en scène les fonds de ces cataclysmes. Les violences observées sont toujours liées à un ordre de discours fondé sur les exclusivismes, les préjugés de races et de couleurs.
Le discours sur la guerre infère une révolution poétique et un bouleversement scriptural et discursif, perçus par l’écriture. A travers des stratégies discursives Ahmadou Kourouma et Boris Boubacar Diop démontent les mécanismes par lesquels les acteurs politiques entraînent les différentes populations à des déchirements effroyables. Leur écriture met en scène les drames qui surgissent dans un monde où la palabre a perdu sa résonance, et où la violence est le moyen de résolution des problèmes. Au regard des leurs différents projets énonciatifs, une interrogation s’impose ; les écritures de guerre seraient-elles un moyen pour les écrivains de lutter contre l’absurde du monde environnant ?
Le discours politique devient une arme perverse, car il contribue à stigmatiser et à dresser les populations voisines les unes contre les autres. La mise en écriture de la violence a pour objectif majeur de conscientiser le citoyen-lecteur. Le présent travail s’articule autour trois parties : le préjugé comme fondement(s) de l’antagonisme, le repli identitaire comme moyen d’acquisition et de conservation du pouvoir et enfin l’énonciation du discours des acteurs politiques : le slogan.

I- Le préjugé comme fondement(s) de l’antagonisme.

Un regard sur l’historiographie littéraire africaine amène à se demander si pour les écrivains, l’acte d’écriture ne se résume pas en une mise en scène de la vie réelle. Les écrivains, dans leur majorité, consacrent leurs énergies à relater les tourments qui agitent l’Afrique, pour témoigner de leur époque, de leur temps et par devoir de mémoire pour les générations futures. Au regard de cette résurgence de la violence, (J. P. Dolle 1999 : 20) affirme que :
L’Afrique est le « continent des crises » par excellence ; la guerre y apparaît comme la forme moderne de la tragédie.
La représentation de la guerre pour dire la violence dans toute son expressivité, apparaît comme un sujet préoccupant des littératures africaines de ces dernières années. Largement informé par son contexte de production, le roman africain contemporain fait l’écho des grandes tragédies de l’histoire africaine : le génocide et les guerres tribales. La littérature a justement évolué avec l’histoire des nations et des idéologies en Afrique. De fait, l’histoire et la fiction s’influencent mutuellement dans les créations romanesques d’Ahmadou Kourouma et de Boris Boubacar Diop. Elles constituent même les points fondamentaux de leur écriture, car ces écrivains semblent s’imposer un devoir de mémoire.
Il existe certes une sorte de décalage entre ce qui a été vécu et ce qui est apporté ; lisible dans la partie de création de l’auteur. Il nous incombe de montrer après ce constat l’intertextualité au sens où l’entendent Tzvetan Todorov et Ducrot Oswald (1972 : 446) :
Ainsi du discours même qui, loin d’être une unité close, fût-ce sur son propre travail, est travaillé par les autres textes - tout texte est absorption et transformation d’une multiplicité d’autres textes.
Au centre des antagonismes qui secouent le continent, se trouvent les hommes politiques. Véritables manipulateurs, ils prétendent souvent défendre leur peuple de l’oppression. Ainsi, ils influencent l’opinion des populations dont ils émanent et se portent garants pour livrer bataille à d’autres populations voisines. Les discours de division se multiplient et la haine s’installe progressivement. Ces illusionnistes s’autoproclament défendeurs d’une cause et deviennent des chefs de guerre. Le caractère messianique avoué de leur ambition astreint le peuple à la vénération. Ils s’attaquent systématiquement à tous ceux qui ne sont pas de leur ethnie. C’est la porte ouverte aux tueries collectives, guerres de clans et d’ethnies qui seraient après les guerres de religions la seconde cause importante des guerres civiles dans le monde.
La formation consiste à enseigner la haine de l’autre à travers de grands discours idéologiques. Ainsi, la nouvelle société que vient instaurer la guerre impose le rejet de l’autre comme une formation fondamentale à subir. En toute quiétude, ces chefs occupent les têtes des milices et tiennent des propos haineux sans jamais craindre une certaine répréhension. Ce sentiment d’animosité autorise les miliciens à poser des actes de barbarie sur des populations qu’ils considèrent comme des « étrangers ». C’est d’ailleurs pour cette raison, que beaucoup de chefs utilisent un discours dépréciatif pour parler de l’Autre qu’il faut absolument supprimer. Le docteur Karekezi dans Murambi, le livre des ossements (2000 : 26), nomme les Tutsis « Inyenzi, littéralement les cancrelats. » Ces paroles s’inscrivent sans défiance dans ce que Yves Chelma (1999-2000  : 15) nomme « le paradigme de l’extermination de races prétendument inférieures ». Afin d’anéantir son ennemi sans état d’âme, on le déshumanise pour en faire un insecte. Le discours sur l’inégalité des hommes, à force d’être galvaudé, a fini par s’imposer comme une vérité à la conscience des Hutu.
Le mot « Inyenzi », qui revient comme « une métaphore obsédante » [1] dans le texte de Boris Boubacar Diop, s’identifie comme un appel à la haine. Profession de foi ethnique et recueil de recettes anti-tutsi, il a joué un rôle déterminant dans toutes les couches des hordes génocidaires. Il repose essentiellement sur des préjugés, surtout sur le mensonge. En fait, la violence idéologique s’abrite toujours derrière l’imposture ; elle a besoin d’une propagande qui sert et aide à la justifier auprès de ceux qu’elle veut mettre à sa disposition.
L’idéologie s’exprime par la parole, le discours, la polémique avec ses adversaires. « Rivales d’une certaine manière du pouvoir politique, les idéologies animent la scène politique, proposant chacune sa conception du bien commun, ... enrichissant d’autant la définition de ce qu’il doit être » (D. Maugenest 2004 : 5). Dans le cas des chefs actualisés chez les deux auteurs, il s’agit de s’auto justifier et de diaboliser les adversaires, de passer soi-même pour le bon et faire passer l’autre pour le méchant.
L’idéologie se caractérise généralement par l’absolutisation d’une doctrine qui se veut l’expression indiscutable d’une « vérité » à laquelle chacun doit se soumettre. Cette doctrine se fige en un bloc de concepts, de principes et de règles. Dès lors qu’une vérité est conçue et perçue comme une idéologie existant extérieurement à l’homme, le rapport que l’individu établit avec cette vérité est de même nature que celui qu’il entretiendrait avec un objet : il la possédera comme on détient une chose qu’on s’est appropriée.
Une autre technique élaborée par les différents belligérants est le rejet des responsabilités et l’auto-accusation. Dans la guerre pour le contrôle des richesses que se livrent les « bandits de grand chemin » au Liberia, chacun renvoie évidemment la faute sur l’adversaire, comme lors de la messe œcuménique du colonel Papa le bon :
Ça portait sur la sorcellerie, les méfaits de la sorcellerie. Ça portait sur la trahison, sur les fautes des autres chefs de guerre : Johnson, Koroma, Robert Sikié, Samuel Doe. Ça portait sur le martyre que subissait le peuple libérien chez ULIMO (United Liberian Movement of Liberia), Mouvement uni de libération pour le Liberia, chez le LPC (le Liberian Peace Council) et chez NFPL-Koroma. (A. Kourouma 2000 : 75)
La mise en scène discursive d’un énoncé attribué à la parole divine a pour fonction d’établir une communion orateur/auditeurs autour d’idéaux censés être partagés par tous, ce qui montre que l’acte de citer n’est pas neutre. Certes, le pouvoir en Afrique a souvent une relation étroite avec le mystique [2], mais l’intention discursive de l’orateur imprime une orientation particulière au discours. Le locuteur ici veut se cacher derrière le religieux pour masquer ces nombreux crimes.
Le roman Allah n’est pas obligé met en exergue une stratégie discursive qui prédispose le jeu politique en théâtre d’horreurs hédoniques, en moment de vengeance contre une partie des citoyens d’un même pays, désignés comme « ennemis de l’intérieur ». D’où le plaisir étrangement macabre qu’en tirent les protagonistes, à travers des scènes de crime, dont la forme narrative recherche la poétisation de l’action de nuisance liée à la guerre. On peut donc convenir avec (Eliséo Véron 1988 : 17) que :
Un discours politique, à la limite, ne peut pas supporter qu’il y ait un autre discours politique, je crois (dit-il) que sa tendance la plus profonde est d’annuler le discours de l’autre […] Autrement dit, tout discours politique a une vocation au totalitarisme, ça me paraît sa définition même.
Le caractère récurrent des atrocités dans les textes est à la mesure du mal incurable et innommable fait aux différents habitants des univers visités. Les récits n’hésitent pas à diaboliser les personnages en raison de leurs participations aux tueries. Ainsi à « l’évocation horrifiée de l’horreur  » (C. Burgelin 1988 : 160), les écrivains invitent à s’accorder sur l’idée que toute société est capable des pires déchaînements meurtriers dès lors qu’elle se fonde sur la haine qui ne connaît comme loi de régulation que l’exclusion.
Les meneurs de troupes guerrières baptisés à cet effet « seigneurs de la guerre » vont soutenir et propager la tuerie comme mode d’expression de leur hégémonie sur les peuples à conquérir. Tuer devient une idéologie qui sous-tend les valeurs de grandeur, de puissance et de supériorité. La tendance à bien observer le comportement et à analyser avec circonspection les discours de certains protagonistes des romans mettant en scène les guerres africaines, constitue un facteur susceptible de favoriser l’adoption des conduites de prise de risques, faisant de la politique une « mangerie consistant à nuire. » (P. Besson 2009 : 79)
Les écrivains prennent soin de représenter la déliquescence sociale et politique qui s’en suit. Chez eux, l’écriture s’organise autour des différentes crises qui font des sociétés africaines des mondes de violences irrationnelles :
Les sociétés contemporaines, telles qu’elles apparaissent dans l’écriture actuelle, sont principalement des espaces de violences plus irrationnelles que celles installées par les systèmes coloniaux, parce qu’elles se sont constituées une logique particulière. (P. Nkashama 1989 : 161)
Ces situations dramatiques freinent à coup sûr l’évolution des sociétés africaines. L’actualisation des souffrances est une façon de mettre en scène la vie réelle dans ce qu’elle a de poignant. Car, le tragique c’est cela aussi, ce mécanisme de l’écrasement de l’homme dont l’anéantissement se signale à travers une saisissante hypertrophie de son corps. Toutes ces images d’une corporéité grotesque permettent de nourrir la sensibilité tragique du texte. Les stratégies du discours politique, centrées sur la persuasion plutôt que sur la conviction, ne sauraient prendre un appui exclusif sur la « raison » tel que l’explique (Patrick Charadeau 2005 : 64) :
Aussi la mise en scène du discours politique oscille-t-elle entre l’ordre de la raison et l’ordre de la passion, mélangeant logos, ethos et pathos […].
La problématique de la violence apparaît donc comme un produit de l’urgence de la vie. Par conséquent, sa prépondérance, en tant que thème principal dans la fiction romanesque d’expression française en Afrique subsaharienne n’est pas un hasard. Ses conséquences physiques et psychologiques, surtout lorsqu’elles émanent du champ politique, ont toujours polarisé l’imaginaire des peuples africains à travers diverses manifestations : traite, colonisation, guerres civiles.
La mise en place d’un mécanisme énonciatif du tragique, oblige les écrivains à faire le choix d’une épistémologie narrative dans laquelle ils procèdent à une exhibition au détail près, de ce déchaînement de violence qui fait du corps humain un champ d’expérimentation de l’horreur. La folie meurtrière atteint le paroxysme lorsque les hommes d’Église deviennent à leur tour des monstres massacreurs. Considérée comme le lieu de la sainteté par excellence, l’Église est souvent perçue comme un espace de refuge et d’apaisement de l’âme, un lieu qui inspire crainte et respect. Ainsi, au moment du génocide rwandais, plusieurs populations trouvèrent refuge à l’Église de Murambi. Malheureusement, elles seront abusées par les viols, les intimidations et la trahison comme l’explique le narrateur :
J’ai su que les hommes confiaient parfois leurs âmes à des êtres déments. Ses gestes si parfaitement ordinaires révélaient son profond dérèglement mental. Et moi, si lasse de tout, Jessica Kamanzi, au milieu de la nuit, je lui ai dit en caressant ses cheveux que je l’aimais. Et il a éclaté en sanglots. Il pleurait comme un enfant perdu. Nous avons fait l’amour. Ce matin, je me suis enfuie. (B.B. Diop 2000 : 122-123)
Comme elle, la plupart des femmes victimes du génocide sont systématiquement violées, de façon atroce et humiliante. Cet acte s’inscrit dans une logique de profanation et laisse presque toujours à la victime des blessures symboliques et psychiques irrémédiables. Il est l’arme de guerre adéquate contre l’ennemi féminin ; car il n’est pas qu’une simple violence sexuelle et physique. Ce geste ignoble n’est que le premier d’une série d’atrocités commises par les hommes d’Église et, qui sont aussi coupables que les idéologues extrémistes du pouvoir. Le narrateur exaspéré par ce comportement de la sainteté, accuse :
[…] j’ai ensuite pensé aux milliers de Rwandais, y compris parfois les hommes d’Eglise, qui ont trempé leurs mains dans le sang des innocents. (B.B. Diop 2000 : 143)
La représentation fictionnelle de la guerre, se conjugue avec la mise en scène de divers types de violence susceptibles de toucher les cœurs et d’éveiller les consciences. La violence, rendue ainsi plurisignifiante, garde son pouvoir de choquer le lecteur ; et cela peut être d’une certaine manière positive [3]. Ainsi, sur le plan socio-idéologique, le discours de la véhémence peut être lu comme une tactique devant aider à la conjurer. Le métatexte de l’écrivain révèle d’emblée l’existence d’une tension au sein de son projet romanesque. Il met en scène la fonction cathartique de la littérature dans sa capacité à guérir les maux et à atténuer les douleurs.
Ecœuré par les différents massacres, le narrateur de Murambi, le livre des ossements ironise sur le sort d’un jeune Tutsi qui, ne voulant pas mourir, promet aux miliciens de changer d’identité : « je ne serai plus jamais Tutsi » (2000 : 28). Cet aveu ne le sauvera malheureusement pas de la mort car, les miliciens, drogués et exhortés par leur chef sont intraitables et entendent bien « faire leur devoir ».
Les théories du crime sauvage relèvent d’une façon ou d’une autre, l’épistémologie hypertrophique mise dans une situation de symbolisation romanesque du tragique. Ces idées miment le moment négatif d’une histoire, qui ne peut être comprise que dans sa relation causale avec une certaine poétique du tragique dont l’Afrique s’est faite un laboratoire dynamique dans la mécanisation brutale de corps. En réalité, quelle que soit la forme qu’elle prend, la violence a presque toujours des conséquences sur le plan psychologique. Les victimes privilégiées de ce type de violence sont les personnes les plus vulnérables : les femmes et les enfants.
Le pouvoir acquis par la force, cherche une légitimité et pour cela, il s’appuie sur une base ethnique. Celle-ci constitue dès lors, l’épine dorsale du nouveau pouvoir dont l’objectif reste la pérennisation.

II - Le repli identitaire comme moyen d’acquisition et de conservation du pouvoir

Le recours à l’identité tribale est une pratique légion dans l’exercice du pouvoir politique en Afrique. Dès lors, le fonctionnement de l’Institution obéit à des normes particulières échappant à toute logique légale. Le choix du collaborateur n’étant plus fondé sur des critères rationnels et objectifs. Cette problématique est également au fondement des différents conflits que connaît le continent. Les guerres tribales pourraient trouver leur origine dans les divers bouleversements subis par le continent et notamment la colonisation qui a, directement ou indirectement, crée des tensions entre les communautés ayant souvent vécu ensemble.
Le texte de Boris Boubacar Diop aborde cet épineux problème et identifie la racine du mal dans le fait historique. Il montre comment de manière insidieuse, le discours occidental a voulu tenir les Tutsi élevés en les invitant à prendre conscience des traits biologiques ou morphologiques qui les distinguent par rapport aux autres, perçus pour le besoin de la cause ou des raisons inavouées comme des « sauvages » :
Dans le passé, les étrangers avaient dit aux Tutsi : vous êtes si merveilleux, votre nez est long et votre peau claire, vous êtes de grandes tailles et vos lèvres sont minces, vous ne pouvez pas être des noirs, seul un mauvais hasard vous a conduits parmi ces sauvages. Vous venez d’ailleurs. De quoi fallait-il s’étonner le plus ? De l’audace des étrangers ou de l’incroyable stupidité des hommes de ce temps ? (B. B. Diop 2000 : 215)
Le rôle joué par les colonisateurs dans la distinction des groupes ethniques n’est pas négligeable. Les extrémistes Hutu vont s’appuyer sur ces allégations pour répandre la haine. On en vient ainsi à une interprétation arbitraire et conventionnelle du corps d’autrui, qui se transforme en objet, lui ôtant ainsi le statut de sujet. Ce faisant, les extrémistes Hutu réactivent le schéma symbolique et psychique de la dépersonnalisation.
Deux hypothèses sont souvent avancées lorsqu’on aborde la question de l’ethnicité en Afrique : colonialiste et sociologique. Toutefois, loin d’établir une étude historiographique de la notion d’ethnie, nous nous appuyons sur les recherches de l’anthropologue français (Jean Copans 1997 : 187), qui résume cette problématique en établissant un lien entre les deux approches. S’il reconnaît volontiers qu’elle est un « produit de l’histoire coloniale, des pratiques militaires, administratives et intellectuelles des pouvoirs métropolitains qui ont besoin de stabiliser, de classer, de nommer pour régner », il n’omet cependant pas d’ajouter : « Et pourtant, l’ethnicité existe ! ».
En effet, la question est bien réelle en Afrique. Elle s’actualise aussi bien à l’échelle des structures que sur le plan individuel. Par ailleurs, elle montre comment l’identité ethnique s’insère dans des processus sociaux et politiques. Son appropriation politico-politicienne met en évidence son instrumentalisation par les pouvoirs. Elle devient ainsi « une source politique et un instrument que les acteurs sociaux utilisent rationnellement dans une logique de stratégie sociale et politique. » (Martiniello 1995 : 56)
La littérature à travers le roman, actualise cette problématique et montre comment les différents acteurs politiques manipulent les peuples dont ils ont la charge. De fait, la cohabitation devient difficile, voire impossible. Il convient de remarquer à la suite de Boris Boubacar Diop que, c’est surtout la stupidité des hommes de ce temps qui est indexée dans le contexte actuel ; puisqu’elle semble aveugler les acteurs politiques dont le souci permanent est la conquête et la conservation du pouvoir.
Frantz Fanon dans Peau noire masques blancs (1952), démontre que la thèse de la prétendue supériorité de la race blanche sur le Juif ou le Noir est en réalité fondée sur un « ensemble complexuel » et « un arsenal stéréotypique raciste », donc sur des raisons extérieures pour justifier le droit des uns et les procédures de sujétion jusqu’à l’extermination des autres. En réalité, tous les discours sur l’origine de l’inégalité entre les hommes et les races qu’ils relèvent de théories génétiques, scientifiques, philosophiques ou anthropologiques veulent convaincre d’une évidence difficilement vérifiable.
La question de cohabitation est également à l’origine des malentendus entre les différentes communautés vivants au Liberia. Comme l’explique l’auteur d’Allah n’est pas obligé, les Afro-Américains, que l’on nomme aussi les Américano-Libériens, asservirent dès leur arrivée « les noirs indigènes d’Afrique de l’Ouest  » (A. Kourouma 2000 : 11), d’une manière similaire à ce que firent les Britanniques et les Français sur une partie du continent. Ne pouvaient accéder aux sphères du pouvoir politique ou économique que les Américano-Libériens ou, du moins, ceux qui appartiennent à cette caste, qui entretenaient frénétiquement le mythe de sa supériorité sur les populations locales.
Ainsi en avril 1980, comme le raconte d’une manière assez colorée le romancier, Samuel Doe et une partie de l’armée « ont eu marre de l’arrogance et du mépris des nègres noirs afro-américains  » (Ibid : 103) ; ils ont décidé de se révolter et ont fait un coup d’état qui a réussi. Dans les faits, deux personnages vont se distinguer : il s’agit du général Thomas Quionkpa et du sergent Samuel Doe. Le second, devenu Président de la République va élaborer des stratégies pour éloigner son acolyte des sphères du pouvoir. Après avoir pris toutes les dispositions, Samuel Doe a limogé son compère. Exacerbé par le comportement de son compagnon d’arme, le général tombe dans le piège tendu par le dictateur en fomentant cette fois-ci un vrai coup d’État, qui échoue :
Avec des officiers, des cadres Gyos comme lui Thomas Quionkpa monta effectivement un vrai complot. Et il manqua de peu, d’un cheveu, que le complot réussisse. Il manqua de peu, d’un cheveu, que Samuel Doe fût assassiné. Alors là Samuel Doe a réagi mal. Il avait des preuves, une occasion qu’il cherchait depuis longtemps. Il tortura affreusement Thomas Quionkpa avant de le fusiller. Sa garde prétorienne se répandit dans la ville et assassina presque tous les cadres Gyos de la République de Liberia. Leurs femmes et leurs enfants. (A. Kourouma 2000 : 107-108)
Le coup d’État avorté a donné au dictateur une raison valable pour se séparer définitivement de son vieil « ami » et ancien allié. Comme l’affirme Bingo, le narrateur-sora de En attendant le vote des bêtes sauvages, « le pouvoir est une femme qui ne se partage pas. Dans un bief il ne peut exister qu’un hippopotame mâle » (A. Kourouma 1998 : 103). La furie meurtrière du dictateur s’étendra non seulement à la famille du général, mais aussi à celle de tous les Gyos du Liberia. Il voulait « gommer » leur identité. Après ce putsch manqué, Doe est devenu le seul propriétaire du Liberia avec à ses côtés les membres de son groupe ethnique :
Voilà Samuel Doe heureux et triomphant, le seul chef, entouré des seuls cadres de son ethnie Krahn. La République de Liberia devint un État Krahn totalement. Cela ne dura guère. Car heureusement, une trentaine de cadres Gyos avait échappé à leurs assassins. (Ibid : 108)
Le massacre organisé avait un double objectif : conserver le pouvoir, mais aussi anéantir le groupe rival et éliminer de fait toute opposition. La construction d’un État krahn dont parle le narrateur, dirigé uniquement par le despote et ses proches, fausse le principe de construction nationale et valide la thèse d’un autoritarisme excessif au sens où l’autorité ne devait rencontrer aucune opposition. En s’aliénant les quinze autres groupes sociolinguistiques composant le Liberia, le président et ses acolytes sont allés en contresens avec les vœux de la majorité des Libériens, seul peuple souverain.
Au regard de ce qui précède, on constate que l’ethnicité se présente comme l’expression d’un besoin du pouvoir, d’un désir hégémonique politique. Et si l’on l’élève au-dessus du circonstanciel pour aller vers le substantiel, comme le souligne (Pierre N’da 1999 : 265), le problème
de l’ethnicité apparaît sous un angle de combat double sinon trouble pour ne pas dire fourbe. Dans son aspect neutre sinon positif, l’ethnicité est simplement la façon par laquelle les masses ou leurs leaders, en dehors des institutions officielles de l’Etat, expriment leur volonté de participer à la vie nationale et à ses ressources économiques, de jouir des prérogatives attachées à la citoyenneté.
L’ethnicité comme forme de pluralisme social n’est donc pas condamnable dans la mesure où elle ne constitue pas un mal absolu en soi, ni un danger pour les régimes politiques. Il reste bien entendu qu’elle peut nourrir, entretenir et faire éclore des conflits d’intérêts entre groupes concurrents comme l’explique une fois de plus ce sociologue :
Le drame surgit quand l’ethnicité se greffe sur la dialection entre l’hégémonie et la bonne gouvernance. Elle se politise et se chevauche dans le désir d’hégémonie politique en bousculant la démocratie sur son passage pour livrer bataille aux autres groupes ethniques qui semblent manifester une prétention à se hisser au premier plan de l’échiquier politique national. (Ibid : 266)
La littérature, lorsqu’elle actualise cette question de l’identité, s’appesantit sur les conséquences que le repli identitaire pose à la longue. Et, s’amplifiant aboutissent au désordre. Selon le texte Allah n’est pas obligé, le président du Liberia, voulant régner en maître absolu, a élaboré une stratégie pour se débarrasser de son « ami ». Samuel Doe va changer de statut, passant ainsi du militaire au civil :
J’ai été obligé de prendre le pouvoir par les armes parce qu’il y avait trop d’injustices dans ce pays. Maintenant que l’égalité existe pour tout le monde et que la justice est revenue, l’armée va cesser de commander le pays. L’armée remet la gestion du pays aux civils, au peuple souverain. Et pour commencer, moi, solennellement, je renonce à mon statut de militaire, je renonce à ma tenue de militaire, à mon revolver. Je deviens un civil. (A. Kourouma 2000 : 106)
Comme on pouvait s’y attendre, le transfert du pouvoir ne s’est pas produit : au lieu de passer effectivement l’autorité à la société civile, Samuel Doe « s’est transformé  » lui-même en civil et s’est taillé aussitôt une Constitution à sa juste mesure. Pour donner une base légitime à son acte, le président a entrepris une tournée nationale afin d’expliquer au peuple les raisons de son choix. Et pour couronner le tout, la nouvelle loi fondamentale a été votée un « dimanche matin à 99,99 % des votants » (Ibid : 107). On peut lire ici un véritable acte de manipulation de l’opinion et de la loi. À la différence de la violence physique, la violence psychologique ou cognitive, la duperie doit toute son efficacité à sa dissimulation. Aussi, les mécanismes techniques de construction du message manipulatoire relèvent-ils d’une double préoccupation : identifier la résistance qui pourrait lui être opposée et masquer la démarche elle-même (P. Breton 1997 : 26).
Il faut lire dans ce discours une fourberie, l’objectif véritable étant d’éloigner des sphères du pouvoir les collaborateurs menaçants. Le président libérien a usé d’une arme ayant fait ses preuves à travers les âges : l’art oratoire. Cette technique fort ancienne qui repose sur le vraisemblable et non sur le vrai est mise au service de l’émotion. Elle transforme la parole à la fois en mode d’expression du pouvoir et en pouvoir qui s’exerce sur les destinataires (A. O. Barry 2002 :10).
Dans les œuvres littéraires africaines traitant la question de l’autorité, il faut remarquer que la prise de pouvoir a toujours un caractère sanglant. Il prend souvent les allures d’un rite sacrificiel (En attendant le vote des bêtes sauvages), où le dictateur Koyaga tue et émascule ses victimes. Il s’impose dans une atmosphère de terreur criminelle entretenue où la véritable voix du peuple ne peut littéralement se faire entendre. L’effet de choc que de pareils actes produisent au niveau d’une conscience avertie s’avère toujours révoltant. Le narrateur s’est certainement investi dans cette prérogative stratégique d’influence sur la conscience du lecteur afin de susciter ce sentiment de choc et de révolte.
Si l’empreinte du sacré est une constante cosmogonique vécue religieusement dans les sociétés africaines d’avant la colonisation, elle réapparaît sournoisement dans les États modernes sous la forme de doctrines politiques ou de discours lénifiants dont la finalité est de conforter le pouvoir en place et d’assurer sa pérennité en lui trouvant une légitimité nouvelle. Le discours officiel dominant fait de lui le président unificateur, mais dans la pratique, il s’identifie comme celui d’une franche de la population. Les Hutus pour désigner le chef de l’Etat disent « notre Président » :
Apparemment, j’étais le seul à ne pas savoir que l’avion de notre président, Juvénal Habyarimana, venait d’être abattu en plein vol par deux missiles, ce mercredi 6 avril 1994 (B.B. Diop 2000 : 16).
Le lexème « notre » est significatif. Il traduit le degré d’accaparement du pouvoir par les « Hutu ». L’utilisation de ce pronom possessif montre que Habyarimana était leur « Président » et pas celui de tous les Rwandais. C’est d’ailleurs pour cette raison que les extrémistes « Hutu » refusent les négociations. Sa mort apparaît comme l’élément déclencheur des hostilités. Certes, de vives tensions existaient déjà entre les deux groupes suite aux frustrations subies par les Tutsi. Ce crime abominable constitue seulement le « prétexte en or » que cherchaient depuis longtemps les Hutu power :
De toute façon cette fois-ci, les assassins avaient un prétexte en or : la mort du président. Je n’osais pas espérer qu’ils se contenteraient juste d’un peu de sang (B.B. Diop 2000 : 21).
Le narrateur ne s’est pas trompé, car le massacre des Tutsi qui s’en suit est écœurant ; près d’un million de morts. La forme tragique des romans analysés s’accomplit dans des termes de génocide rwandais, de guerre tribale. La folie est légitimée au nom de l’ethnie, de la tribu. La tragédie nouvelle que constituent les guerres se déploie sans fondement majeur ; toute théodicée en est exclue. C’est bien pour cela que des notions nouvelles de « folies meurtrières », « crime contre l’humanité », « génocideurs, génocidaires », et d’autres entrent dans la prosodie des conflits. La vérité que la guerre n’est jamais propre rattrape et salit les acteurs.
La conservation du pouvoir et ses jouissances sont légions dans ce continent « riche en dictature et en pauvreté ». Les dirigeants ivoiriens afin de conserver le pouvoir mènent une chasse à l’homme aux Dioulas musulmans. Cette purge prend bientôt des allures de génocide. L’auteur use de l’ironie pour atténuer le choc des images en montrant la résistance du Dioula qui, même mort, continue à servir le sol ivoirien :
C’était un pays plein d’hommes sages jusqu’au 19 septembre. Le 19 septembre, les Ivoiriens, pris par le sentiment du tribalisme, se sont mis à se zigouiller comme des fauves et tous les jours à creuser et remplir des charniers. Mais les charniers font de l’humus qui devient du terreau qui est bon pour le sol ivoirien. (A. Kourouma 2004 : 46)
Les tensions sont apparues lorsque le Président Konan Bédié a décidé d’utiliser l’« ivoirité » dans une acception politique. Conçue par l’homme de théâtre Dieudonné Niangoranh Porquet, l’ivoirité désigne le triomphe culturel dont le ressort artistique est la « Griotique ». Ainsi, dans son aspect positif, « l’ivoirité désigne une civilisation ivoirienne dynamique et intégrale où l’homme dans la Nation est à la fois sujet et objet.  » (R. B. Thiemelé 2003 : 89) Finalement, l’ivoirité accueille l’humanité toute entière : « en donnant forme et respect à l’Ivoirité (engendré par la Griotique) nous avons là un apport consistant à présenter à toute l’Afrique qui pourra avec fierté la présenter à l’Univers » (Idem).
Dans le domaine politique, elle devient sujet de discorde. En voulant exclure de la compétition un adversaire, Konan Bédié et ses amis ont instrumentalisé la notion et celle-ci est devenue « mortifère », selon l’expression de Ramsès Boa Thiemelé, mieux nauséabonde et source de discriminations. Ainsi, le pouvoir suscite des réapparitions de division. Fort de ce constat, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf affirme que les « identités sont meurtrières ».
Les attaques du narrateur-auteur sont plus précises lorsqu’il critique les politiciens responsables des massacres au nom de l’ivoirité. L’ironie jubilatoire de ses propos met en lumière l’incapacité du chef de l’État à élaborer des projets constructifs. Faute de mieux, il reprend un mot et en fait non seulement un slogan mais aussi une idéologie bâtarde :
À défaut d’une réflexion profonde, Bédié se trouve à l’aise dans l’ivoirité. Il croit que ça fait moderne, un jeune chef d’État comme lui, guidé par une doctrine. C’est nouveau en Afrique noire ! L’ivoirité permet de trouver de la terre aux ivoiriens en spoliant les étrangers venus sous Houphouët-Boigny. L’ivoirité permet surtout d’éloigner définitivement son adversaire politique, Alassane Ouattara, en le taxant de Burkinabé. (A. Kourouma 2004 : 107)
Au lieu d’être un concept fédérateur comme l’avait souhaité Dieudonné Niangoranh Porquet, l’ivoirité devint une notion de division dont le but recherché était la conservation du pouvoir. Cet état de fait met le pays en situation de « salmigondis » qui laisse un goût d’inachevé. Au regard de ces tensions, (Patrick Charaudeau 2005 : 5) soutient que :
Le discours politique est ce lieu par excellence d’un jeu de masques. Toute parole prononcée dans le champ politique doit être prise à la fois pour ce qu’elle dit et pour ce qu’elle ne dit pas. Elle ne doit jamais être prise au pied de la lettre, dans une naïve transparence, mais comme résultat d’une stratégie dont l’énonciateur n’est pas toujours le maître.
Cette conception à risque de la politique qui fait fi de la violence dirigée contre les peuples, permet ainsi d’élargir les horizons d’analyse de la guerre. Cette vision de la politique est rendue possible par la coïncidence des stimulations nationales et géopolitiques. Les stratégies mises en place, loin d’aboutir à une bonne politique, instaurent plutôt un climat de violence. La finalité qu’est le pouvoir se conçoit dans l’imaginaire des politiciens comme le point d’achèvement d’une ambition politique.
Les fourberies qui conduisent vers le pouvoir montrent bien le cynisme des acteurs politiques qui se comportent avec impudence et amoralisme, comme le docteur Karekezi, le massacreur de Nyamata qui, ravagé par la haine de l’autre, ordonnera le massacre de milliers de personnes dont sa femme et ses deux enfants :
Le fracassant retour en politique du docteur Karekezi, la liquidation planifiée de quarante-cinq mille personnes à Murambi – parmi lesquelles sa femme et ses deux enfants. C’était plutôt gênant. (B. B. Diop 2000 : 155)
La monstruosité du docteur est un indicateur du climat politique régnant sur cet espace au moment du drame. Personnage éminemment cynique, il n’hésite pas à ordonner la mort de sa propre famille (sa femme et ses deux enfants). De la haine abyssale de l’autre, naîtra une violence sans limite, la haine de ceux qui sont d’une ethnie différente. Par la célébrité et le pouvoir dont il jouit au sein de sa communauté, le docteur aurait pu sauver tous les rescapés de l’Église. Mais en homme déterminé, il a choisi de les mener à la perte voulant par là, prouver sa volonté d’accomplir « convenablement son travail ». Nous convenons donc avec (Céline Spectre 1997 : 10) que le pouvoir est « essentiellement ambivalent : qui a le pouvoir de guérir a le pouvoir de faire périr, et qui a le pouvoir de faire le bien de son pays à le pouvoir de le mener à la perte  ». Ces propos, appliqués au docteur Karekezi, le boucher de Nyamata prennent tout leur sens. Dans le discours des chefs Hutu, la mort est métaphorique, on parle souvent d’accomplir son devoir :
Quoi qu’il arrive, j’aurai fait mon devoir.
Le devoir
Un mot simple et que j’aime bien.
(B.B. Diop 2000 : 129)
L’ampleur des massacres dépassant l’entendement, le romancier en vient à se demander si les mots peuvent réellement traduire la barbarie des actes :
Tout cela est absolument incroyable. Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire. (Ibid : 124)
L’inscription ou résurgence du contexte sociopolitique dans l’univers des œuvres est la preuve des responsabilités réaffirmées des écrivains devant les urgences du continent. S’interrogeant sur le pourquoi des génocides, (Yves Chelma 1999-2000 : 14) remarque :
Chacun de ces massacres a sa propre histoire, son caractère singulier qui bouleverse les catégories de notre entendement. Nous tentons quand même d’en reconnaître les linéaments, ainsi que les principes, par un effort redoublé de la raison. Nous distinguons d’abord cette volonté d’exterminer l’autre, ne lui accordant même pas le droit au souvenir.
L’écriture peut-elle dire efficacement les réalités d’un monde en dérive ? Selon (Daniel Delas 1999 : 20), tous les intellectuels, les commentateurs et créateurs qui abordent les génocides soulignent la difficulté d’écrire ou de rapporter à la mémoire les désastres, les crimes monstrueux de l’histoire humaine  :
Ceux qui ont entrepris de le faire..., ont tous dit la difficulté de vivre ce dédoublement mémoriel qu’implique le fait d’écrire après des événements qui, le temps passant, deviennent littéralement incroyables.
Le réel inaudible d’un génocide résiste à l’écriture, surtout lorsqu’il s’agit de fiction, où le romanesque risque de provoquer un déni au centre même de l’invention : la narration est en effet exposée à déréaliser la violence, étant donné que « la transmission de l’événement s’accompagne inévitablement de sa déréalisation.  » (C. Coquio 2004 : 99)
Mais comme le souligne (Ngalasso 2002 : 79), l’écriture de la violence comme tentative de conscientisation, comme forme de subversion, à travers la dérision et les divers procédés de transgression qu’elle cultive n’est pas un exercice dérisoire : elle recèle un véritable pouvoir d’influence sur les citoyens-lecteurs, une dimension thérapeutique. Un autre moyen favorisant les massacres est le slogan, utilisé comme arme pour rallier les populations à la cause défendue.


III- L’énonciation du discours des acteurs politiques : le slogan


Les écritures de la guerre scrutent les différents mécanismes utilisés par les acteurs politiques pour parvenir à leurs fins. Parmi les stratégies discursives qu’ils élaborent, il y a le slogan. Formule brève, chargée d’une valeur suggestive et surtout facile à retenir, il est l’une des armes les plus populaires et la plus sûre dont se sert l’homme politique qui use de la force des mots. Symbole sonore qui crée de l’enthousiasme, le slogan quelle que soit sa forme, laisse toujours des traces dans la mémoire des auditeurs en valorisant les messages par le biais de leur mode d’énonciation. Dans les textes étudiés, le slogan joue un rôle déterminant dans la manipulation des consciences. Il est utilisé soit pour influencer les choix des uns et des autres, soit pour accentuer la haine du voisin contre l’autre. Il possède donc plusieurs fonctions dans la société comme le signale (Olivier Reboul 1975 : 17) lorsqu’il affirme que :
La communication de masse, tant commerciale que politique ou culturelle, en fait une arme dont la portée dépasse infiniment les limites d’un groupe restreint, […] ; une arme destinée à frapper l’être anonyme et sans visage qu’est la masse. C’est pourquoi le slogan moderne est une sorte de creuset qui réalise l’alliage des métaux les plus durs du proverbe, de l’enseigne, de la sentence, de la devise, du cri de foule. Il est tout cela.
Ces précisions permettent de saisir le sens que le concept slogan prend chez chaque acteur politique dans les univers romanesques visités. Le contexte de guerre en effet, favorise la manipulation des consciences. Chaque entité voulant s’attirer les faveurs du peuple, façonne ses propres logiques. La parole devient ainsi une arme efficace permettant de mettre hors d’état de nuire l’adversaire.
Dans Allah n’est pas obligé, le narrateur présente d’abord le parcours des « chefs de bandits » qui sèment la terreur au Liberia et en Sierra Leone, avant d’analyser les voies par lesquelles ils atteignent leur objectif. Il en est ainsi de Charles Taylor, le « Seigneur de guerre » le plus redoutable du Liberia. Son apparition dans le texte est signalée sous forme interrogative : « Qui était le bandit de Taylor  ? » (A. Kourouma 2000 : 69). Selon le narrateur, on a entendu parler de Taylor pour la première fois au Liberia quand il a mis le trésor public libérien à genoux :
Après avoir vidé la caisse, il est arrivé à faire croire avec du faux en écriture au gouvernement libérien que celui-ci avait plein de dollars aux USA. Quand on a découvert le pot aux roses (signifie le secret d’une affaire) et compris que tout ça c’était du bidon, on l’a poursuivi. Il s’est réfugié aux USA sous un faux nom. (Ibid : 69-70)
Charles Taylor est d’abord un voleur ayant détourné les fonds publics de son pays, mettant ainsi à mal sa fragile économie. Pour échapper au jugement et à la prison, il s’est enfui aux États-Unis sous une fausse identité. C’est donc ce « bandit de grand chemin », qui reviendra plus tard au Liberia doté d’un puissant réseau de mercenaires et qui mettra le pays en « coupe réglée ». Aucune trêve n’est possible sans composer avec lui. Afin de remporter le scrutin présidentiel, le chef du NFPL (Front national patriotique du Liberia) et ses partisans organisent une campagne d’intimidation :
Dans tous les cas, Taylor harcèle tout le monde et est partout présent. C’est tout le Liberia qui est pris en otage par le bandit, de sorte que le slogan de ses partisans «  No Taylor no peace  », pas de paix sans Taylor, commence à être une réalité en cette année 1993. Gnamokodé ! Walahé ! » (A. Kourouma 2000 :71)
Le slogan des partisans de Taylor a pour finalité l’intimidation. Il invite les Libériens à prendre conscience que, sans lui au pouvoir, aucune paix n’est possible. C’est par ce chantage qu’il est élu président de la République en 1997. Son élection est le résultat de la peur. Tous les citoyens étaient conscients que, sans lui à la tête de l’exécutif, le pays s’embrasserait de nouveau. Sa campagne reposait sur la crainte, la devise de ses partisans étant explicite : « J’ai tué ta mère, j’ai tué ton père, vote pour moi pour qu’il y ait la paix » [4]. Il gagne l’élection présidentielle grâce à ces menaces. Les populations ont préféré adouber leur bourreau.
Le narrateur qui aime rabaisser ces « bandits de grand chemin  » ironise sur ce fou de la gâchette qui avait fait alliance avec le diable en jurant qu’il serait Président de la République du Liberia avec ou contre la volonté du peuple. De bandit-assassin, il est passé habilement au rang de chef de l’État après avoir tué des centaines, voire des milliers de gens :
Et voilà le bandit devenu un grand quelqu’un. Un fameux chef de guerre qui met une large partie du Liberia en coupe réglée. (Mettre en coupe réglée, c’est exploiter systématiquement une population ; c’est lui imposer des sacrifices onéreux) […]. (A. Kourouma 2000 : 70)
Dans la suite du texte, le narrateur s’indigne du fait qu’un homme qui a terrorisé son peuple devienne chef de l’Etat. Et, après coup, il reçoit les approbations des autres chefs d’Etats africains. Le slogan adopté par les partisans du NFPL « No Taylor no peace  » a pour objectif d’« accrocher » la conscience des populations, comme c’est le cas pour la publicité, les titres des journaux, dont le but est avant tout de capter l’attention afin d’inciter à écouter ou à lire la suite. C’est également la position d’ (Olivier Reboul 1975 : 18) lorsqu’il écrit :
[On parle de slogan] quand l’énoncé comporte non seulement une indication, un conseil ou une consigne, mais une procession ; quand les mots n’ont plus pour rôle d’informer ou de prescrire, mais de faire faire, quand le langage ne sert plus à dire, mais à produire autre chose que ce qu’il dit. Slogan quand la parole est une arme.
Comme acte verbal, le slogan est une formule courte, facile à mémoriser par sa brièveté et habile à frapper l’esprit. Autant par sa forme que par sa matière, le slogan a tant d’efficacité qu’il peut parfois produire des effets sans aucun contenu. C’est à ce niveau que l’intonation, comme réalité linguistique, traduit toute l’expressivité. Il convient donc d’observer des éléments lexicaux qui renvoient au procès de l’énonciation. De fait, on peut soutenir avec (Hannah Arendt 1983 : 10), que « c’est le langage qui fait de l’homme un animal politique  » et l’action politique qui s’exerce sur l’homme au moyen du langage résulte, du fait que : « les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action, quelle que soit l’information qu’ils peuvent communiquer. Seule la violence brutale est muette. » (Davis et alii 1997 : 10)
Au regard de leur ambition démesurée, les acteurs politiques actualisés sont prêts à commettre des actes atroces pour atteindre leur finalité. L’homme politique moderne mis en scène par les différents auteurs ne sait plus gérer ses passions afin d’aboutir à la bonne politique. L’exercice du paraître poussé à l’extrême, conduit aux pires dérives. Conformément à cette attitude (Patrick Charadeau 2005 : 62) affirme que :
Lorsque la gestion des passions aboutit à la soumission totale et aveugle du peuple (ou d’une majorité), c’est-à-dire lorsque ce dernier confond l’un, l’intercesseur, avec l’autre, souverain, il ne dispose plus d’aucun jugement libre, n’exerce plus aucun contrôle et suit aveuglement dans une fusion (parfois, une fureur) collective irrationnelle.
Dans son roman Murambi : le livre des ossements, Boris Boubacar Diop décrit avec réalisme les « mots terribles », adoptés par les interahamwe, miliciens à la solde du pouvoir « Tubatsembatsembe ! Il faut les tuer tous » (2000 : 32). Ce « slogan de la mort », suffisamment explicite, montre la volonté d’extermination des Hutus. (A. O. Barry 2002 : 80) parle de « slogan stimulus » pour signifier sa capacité à bousculer les consciences et à faire réagir. Le discours, par le biais du slogan, vise non pas à diffuser simplement des idées et des points de vue, mais à éduquer un comportement. L’objectif recherché par ce procédé énonciatif est de créer un système de réflexes conditionnés, qui suscite en chaque acteur concerné, le besoin de penser et d’agir. Le système énonciatif ici permet de procéder à une meilleure lecture de ce que les génocidaires ont l’intention d’émouvoir au niveau des récepteurs, le désir qu’ils traquent.
Pendant cette période difficile de l’histoire du Rwanda, le slogan a joué le rôle d’incitation. Il sert de levain pour exhorter la population à la haine contre les ennemis du pays appelés « Inyenzi ». Dans une situation d’enthousiasme, les formules sont scandées afin de faire de chaque destinataire un allié qui aidera à mettre la cible en situation d’impuissance. Ces procédés, énoncés dans une situation particulière, renforcent la position des dominants comme l’explique encore (Olivier Reboul 1980 : 204) lorsqu’il écrit :
La facilité de répéter des slogans ou des clichés fait qu’on les prend pour des évidences. Il reste que ces formules rituelles et incantatoires tirent leur force de stéréotypes ou passions collectives, qu’elles expriment tout en les renforçant.
Le contexte de guerre façonne des individus extrêmement cyniques qui brillent par leur amoralité. C’est le cas de Foday Sankoh, le chef du RUF (Front Révolutionnaire Uni) qui joue au trouble fête parce qu’il possède « la Sierra Leone utile ». Dans sa logique du pouvoir s’appuyant sur le contrôle des ressources économiques du pays par la violence, Foday Sankoh traite avec mépris tout recours politique qu’il soit national ou international. Alors qu’il était en phase de perdre l’élection présidentielle, la solution la plus dissuasive fut la mutilation du peuple sierra léonais, éventuel électeur du scrutin. Le leader du Front Révolutionnaire Uni décida d’amputer les bras à tous les sierra-léonais sans distinction de sexe, ni d’âge :
La solution lui vint naturellement sur les lèvres, sous forme d’une expression lapidaire : «  pas de bras, pas d’élection  ». […] C’était évident : celui qui n’avait pas de bras ne pouvait pas voter […] Il faut couper les mains au maximum de personnes, au maximum de citoyens sierra-léonais. […]
Les amputations furent générales sans exception et sans pitié. Quand une femme se présentait avec son enfant sur le dos, la femme était amputée et son bébé aussi, quel que soit l’âge du nourrisson. Autant amputer les citoyens bébés car ce sont de futurs électeurs
. (A. Kourouma 2000 : 170-171).
On peut voir dans la guerre que livre Foday Sankoh un certain refus du processus démocratique, d’où la représentation caricaturale qu’en fait l’écrivain dans son livre. La guerre qu’il mène n’a d’adversaires que le peuple qui subit ses violences. Elle n’épargne aucune catégorie, même pas les nourrissons. Avec ce « slogan de la mort », ce « bandit de grand chemin » veut faire peur au gouvernement et à l’ensemble de la communauté internationale. Le narrateur parle de ce monstrueux personnage comme d’un arriviste qui mutile, tue, viole sans état d’âme quelconque pour arriver à ses fins.
Alors que ses privilèges étaient sur le point d’être repris, ce personnage psychologiquement insaisissable remet en cause l’élection d’Ahmad Tejan Kabbah : « Foday Sankoh ne veut pas le reconnaître. Pour lui, il n’y a pas eu d’élections, il n’y a pas de président. » (A. Kourouma 2000 : 172)
Le refus de reconnaître le Président élu, témoigne la volonté de ce chef de guerre d’empêcher l’arrivée de la démocratie. Ce faisant, il peut continuer à exploiter de manière personnelle et informelle les ressources du pays. Cette attitude déplorable montre que son discours officiel « lutter contre le gouvernement corrompu de Freetown » n’est qu’un tissu de mensonges.

Conclusion


Une analyse interne des pratiques romanesques révèle que le discours sur la véhémence contamine l’écriture qui la prend en charge. Bien qu’elle prenne souvent divers visages dans les textes, c’est surtout la violence physique, qui marque profondément le corps qui est mis en avant. Les discours des acteurs politiques étant chargés d’un non-dit, le mensonge apparaît comme l’essence même de l’idéologie de la violence.
Alors que dans les sociétés traditionnelles africaines, l’acte de discours était un acte fondateur et de réconciliation, dans les textes littéraires, il devient une arme des « bandits de grand chemin » pour dresser les populations les unes contre les autres. S’ouvre alors le chemin des crimes insensés qui n’ont nulle explication que la haine de l’autre.
La représentation fictionnelle de la violence a pour finalité de toucher les cœurs et d’éveiller les consciences. Les écrivains apparaissent ainsi comme les témoins vivants de l’indicible barbarie des hommes de pouvoir, une autorité suspendue au bout du canon. Le discours de la dérision politique joue alors un double rôle. Il montre d’une part qu’à « l’épiphanie » qu’évoquait Jacques Rabemananjara à l’aube des indépendances africaines, a succédé « l’Etat honteux » dont parle Sony Labou Tansi. Leur discours souhaite donc redonner « espoir aux âmes mortes ».

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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2- Ouvrages généraux et théoriques

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P.-S.

En logo : Boubacar Boris Diop.

Notes

[1Ces mots rappellent le titre de l’œuvre de Charles Mauron, Des Métaphores obsédantes au mythe personnel : introduction à la psychocritique, Paris, Editions José Corti, 1963.

[2Sur ce point lire Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998.

[3Michel Maffesoli, dans Essai sur la violence, insiste sur l’ambivalence de la violence et sur sa dimension fondatrice : la violence n’est pas que destructive, elle est aussi constructive, utilitaire.

[4.Le Monde du 30/03/2006, p. 5.

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