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Kerkennah après l’amour  

vendredi 5 septembre 2014, par Mohamed Kacimi

Il y a quelques années, j’ai eu la chance de bénéficier d’une résidence d’un mois à Tunis. J’habitais le charmant « palais » Haïdar dans la Médina. Dans mon contrat, établi par les services culturels de l’ambassade de France il était stipulé, noir sur blanc, que je devais, à l’issue de mon séjour, remettre un texte qui, je cite, « respecterait les traditions, la sensibilité et la culture tunisiennes ». J’ai passé un mois à me creuser la tête, comment pondre un texte sans froisser la sensibilité de la dictature ?


J’ai essayé alors d’écrire le texte le plus gentil qui soit sur la Tunisie. Le jour de la lecture publique à la médiathèque Charles de Gaulle, l’éditeur tunisien qui devait me publier prit ses jambes à son cou et ne donna plus jamais de nouvelles. Je n’ai jamais compris pourquoi. Le texte était pourtant si doux, si gentil. Le voilà. (M. K.)


Elle n’a même pas vu le vol de flamants roses qui traversaient le ciel blanc de la ville pour rejoindre la mer. Elle n’a pas sursauté quand l’appel à la prière du zénith a déchiré le ciel blanc de la ville. Elle n’a pas su pourquoi, quand le taxi s’est arrêté, elle a ouvert la portière avant pour s’installer à la place du mort, comme on dit. Elle n’a pas compris pourquoi quand le chauffeur lui a posé la question :
— Vous allez où, ya madame ?

Elle a répondu :

— N’importe où, monsieur.

Elle a senti que le chauffeur avait envie de parler. Elle a fermé les yeux pour dire sa fatigue. Elle a entendu dans le noir :

— Vous venez d’où y a madame ?
— De France.
— De France, dit le chauffeur très exalté, ah la France, ah Jacques Chirac, il aime beaucoup ici, ya madame, on l’aime beaucoup ici, Jacques Chirac.
— Vous êtes les seuls – lui a-t-elle répondu, les yeux toujours fermés.

Il y a eu un grand silence Elle a trouvé drôles tous ces petits taxis jaunes comme à New York, dans une ville si petite qu’elle tiendrait dans le coffre d’un taxi à New York.

— Vous êtes de Paris, y a madame ?
— Oui.
— Ci magnifique Baris.
— Quand il ne pleut pas. Il pleut tout le temps.
— Ci magnifique la pluie, ci la breuve qu’Allah aime beaucoup la France.

Elle n’a pas compris que pour les gens du Sud il fait un sale temps les jours où il y a du soleil.
Tout s’est arrêté d’un coup. Un énorme embouteillage. Un immense bruit, tout klaxonne, le ciel, les minarets, les arbres et les flamants roses.
Par bouffées, la chaleur lui arase les bras et le visage. C’est un tourbillon de lumière, jaune or ; tout claque en même temps, le blanc des murs, le bleu des portes et des fenêtres, le noir des yeux des femmes incandescentes, le rouge des bougainvilliers qui gicle comme du sang sur les façades mauresques. Elle ressent une certaine sérénité, mais elle n’est toujours pas là. Elle n’a pas pris le temps d’atterrir. Elle a toujours pensé qu’elle devait investir les villes étrangères comme un corps étranger, la première fois en amour. Fermer les yeux, attendre que sa peau apprenne la langue de la peau de l’autre.
Le taxi remonte le long de l’avenue Bourguiba. Elle se souvient de quelques lieux, comme le grand café là, à sa droite, elle se souvient même de l’endroit où elle a pris un chocolat, il y a dix-huit ans. La vivacité de sa mémoire rend, à ses yeux, dérisoire tout le temps passé depuis.

— C’est bizarre, dit-elle, en sortant la tête par la fenêtre, il manque quelque chose là.
— Y manque rienditout en Tunisie, ya madame.
— Si, je me souviens, il y avait plus d’arbres avant sur la grande avenue, c’étaient des ficus.
— Ils sont partis, les arbres, ya madame. Li Allemands, il a pris la machine, il a sorti les arbres, allez ouste li arbres dans la mer.
— Mais pourquoi ont-ils déraciné les arbres ?
— Beaucoup d’embouteillage di zoiseaux dans les arbres, lis zoiseau, ils gueulait beaucoup, comme li klaxons, lis zoiseau il a cassi la zoreille à la bolice, allez ouste li zoiseau.

Elle n’a pas compris comment les oiseaux peuvent casser les oreilles à la police.

— Déposez-moi à la gare.

À la gare, il y avait foule, elle s’est laissée emporter, heureuse d’être perdue dans cette langue dont elle ne comprend pas un mot et dont elle ne sait jamais si les gens échangent des politesses ou des injures, mais c’est tellement fort qu’elle se dit que les gens passent leur vie à s’engueuler. Elle a pensé aux soirs où elle rentre seule à gare d’Arcueil, aux moments où elle remonte le boulevard du Général Leclerc toujours noir et désert, quand elle passe devant le Leader Price, quand elle traverse le parc désert, quand elle attend l’ascenseur qui souvent ne vient pas, quand elle ouvre la porte de son appart toujours aussi vide. Depuis qu’elle a quitté Jean Baptiste, elle a fait le vide. Une assiette, un couteau, une fourchette, un verre, une tasse à café. Le seul lieu qu’elle occupe vraiment c’est le balcon ; du onzième étage, elle passe des heures à contempler l’aqueduc d’Arcueil, haut comme des nuages noirs et derrière lequel le soleil a des couchers macabres. Là, elle n’a reçu qu’une seul visite, celle de sa mère. Il lui a fallu beaucoup de temps pour la convaincre de prendre le RER de Denfert à Arcueil :

— Mais tu es sûre ma fille, il paraît que la Banlieue c’est pire que Bagdad.

Elle a fini par la faire venir, elle lui a offert un thé sur le balcon. Sa mère a contemplé l’aqueduc et tous les petits basanés qui jouaient en bas de l’immeuble et lui a dit :

— Ma fille, je ne comprends pas qu’on puisse dire je vis en banlieue alors qu’il serait plus correct de dire j’y crève.

Pour ne pas rester seule, elle a essayé avec Matthieu. C’était un grand amour au début, mais un soir de déprime il lui a griffé jusqu’au sang le sein gauche, elle lui a donné un grand coup sur la tête, il en est mort, Matthieu. Depuis, elle s’est jurée de ne plus avoir de cochon d’Inde dans son lit.
Elle a pris le train express qui filait sur Sfax, une dame était assise à sa place, elle lui a montré son ticket blanc pour lui dire que la M32 était prise, mais la dame l’a rassurée :

— Ne vous fiez pas aux numéros, madame, il n’y a pas de places réservées, ici il n’y a pas d’ordre, chacun s’installe où il veut.
— Mais il y a bien des numéros ?
— Oui, mais c’est fait pour les touristes, on veut leur faire croire qu’ici c’est comme là bas.

Elle a compté les oliviers comme des moutons et elle s’est endormie. Au réveil, elle s’est sentie comme aimantée, maintenant elle sait où elle va, elle sait qu’elle a rendez-vous quelque part, pour retrouver quelque un, pour se retrouver enfin.
Elle a couru jusqu’à l’embarcadère pour les îles Kerkena. Elle a pris place sur le pont avant pour mieux voir la mer, née à Quimper, elle a passé son enfance sous la pluie et face aux vagues. Elle ne sait pas pourquoi, elle a eu envie soudain d’appeler sa mère, là, en pleine mer, sous le soleil, peut-être par nostalgie :

— Oui maman, c’est moi, je t’appelle, je suis en pleine mer, maman.
— Quelle mère, ma fille ?
— En Méditerranée, maman.
— Ma fille, toi qui a connu l’Océan, tu appelles ça une mer ! C’est une flaque d’eau, mais tu les connais les gens du Sud, ils exagèrent toujours. Tu es en Grèce ?
— Non, en Tunisie.
—Ma pauvre enfant.
— Maman, je sais ce que tu vas dire, attention sinon je raccroche.
— Mais non, mais arrête de dire que je n’aime pas les Arabes, tu sais bien que je fais mes courses chez le petit marocain de la rue Daguerre tous les dimanches, mais je te dis ça, parc que j’ai dîné avec Bernadette de Barbeyrac, tu la connais, elle a été là bas il y a un mois, il paraît qu’il y a tellement de russes qu’elle a cru qu’elle était à Saint Pétersbourg, heureusement qu’à Djerba elle a trouvé une vieille carte postale avec un chameau ce qui lui rappelé qu’elle était en Tunisie, chez les Arabes. J’ai dit à Bernadette, Ah si la France pouvait être comme la Tunisie avec plus d’Européens que d’Arabes ce ser…

Elle a raccroché. Elle a vu soudain un garçon de trois ans peut-être, agrippé aux barrières du bastingage et qui se penchait dangereusement vers la mer, elle a couru pour le retenir quand elle a entendu la voix de la maman :

— C’est gentil, madame, mais laissez-le faire, c’est un enfant de marin, il ne faut pas qu’il ait peur de la mer.

Une heure plus tard, le bateau est arrivé aux îles Kerkena. Elle a retrouvé la même lumière blanche et bleue. La même mer posée là, qu’elle comparait une écharpe en soie, des dunes de sable et de rocailles, des figuiers de barbarie sortis par miracle d’une steppe qui n’a pas vu de pluie depuis des années, et des palmiers à perte de vue. Elle est loin, très loin de St Pétersbourg.

Le soleil tombe sur cette mer si peu profonde qu’on dirait juste une pellicule d’eau. Elle a senti son cœur battre plus fort que d’habitude. Elle a voulu courir voir les felouques amarrées le long de la berge, mais elle s’est dit qu’il était trop tôt. A la réception de l’hôtel, elle a cru reconnaître la même réceptionniste qu’il y a dix huit ans.
— Bonjour, j’ai réservé, au nom de Laure Simon.
— Une chambre pour une nuit.
— Oui, dit-elle, une chambre simple pour une nuit ou pour mille.
— C’est la 4, madame.
— Vous n’avez pas changé depuis.
— Vous étiez là en quelle année ?
— En 1986.
— Je venais de naître.
— C’était votre mère que j’ai connue ?
— Oui.
— Elle est là ?
— Elle est morte.

Elle a eu l’impression que quelque chose s’était cassée sous ses yeux. Confuse, désarçonnée, elle s’est mise à jeter son regard partout et nulle part.

— Vous avez perdu quelque chose, madame ?
— Oui, je crois.
— Vous avez perdu quoi ?
— Non, rien, je vous dirais plus tard.

Elle est sortie précipitamment de la réception. Au loin, sur la plage des jeunes avaient dressé une table blanche au milieu de la mer vide, la mer montait rapidement vers eux et eux riaient en descendant leurs bières. Elle est rentrée dans sa chambre, elle n’a pas eu envie de prendre une douche, elle a regardé à travers la fenêtres les felouques, bleues, lisérées de jaune et de rouge avec leurs grandes voiles enroulées, elle a eu alors l’irrésistible envie de fumer. Elle s’est levée pour aller en chercher, puis la voix du médecin lui a explosé dans la tête :

— C’est grave, mais ce n’est pas désespéré, c’est grave, mais pas désespéré, mais il faut arrêter pour de bon, vraiment.

Pour elle, la cigarette c’était une vie, vingt ans de carrière de professeur de français au Lycée Évariste Galois à Bourg la Reine, c’était aussi vingt ans de vie avec les Camel légères.
Elle est revenue à la réception poser la clef, timidement elle a hasardé auprès de la jeune fille :

— Excusez-moi, je cherche quelque…
— Vous cherchez qui ?
— Un pêcheur.
— Tout le monde est pêcheur à Kerkéna, il s’appelle comment ?
— Je n’ai pas son nom de famille, mais juste son prénom, Amadi.
— Mais tout le monde s’appelle Hamadi à Kerkéna.
— Je l’ai connu là, dit-elle en indiquant les felouques amarrées.
— Comment elle s’appelait sa felouque ?
— C’était écrit en arabe, je n’en sais rien.
— Je ne vois pas, il y a eu tant de naufrages, de morts et de départs de l’île.

Elle a marché longuement dans la mer, au milieu de ces grandes digues de palmes. La première fois elle a cru que les palmiers poussaient dans l’eau mais on lui a fait comprendre que c’étaient des pièges pour les poissons. Elle ne sait pas pourquoi, elle s’est dit qu’elle devait continuer marcher jusqu’au bout et laisser l’eau l’inonder de toute part, ne plus respirer et faire le grand saut, mais elle a pensé aux felouques, et elle s’est arrêtée avant que l’eau ne soit trop profonde. Le bar de l’hôtel donne aussi sur la mer, elle a pris une table, le patron, un gars au ventre volumineux mais qui se déplace comme une danseuse de ballet est passé la saluer :

— Ça va madame ?
— Oui, ça va.
— Ne dites pas ça comme ça, j’ai vécu à St Germain, dites que vous nagez dans le bonheur.
— Oui, je nage dans le bonheur.

Elle a pris un verre de vin, puis un deuxième puis elle ne sait plus rien. Elle a oublié la mer, le ciel étoilé. Durant toute la soirée elle a fixé les felouques vides qui se balançaient au bout des amarres. Quand le médecin lui a donné son bilan, avant hier, elle est restée sans bouger, interdite durant des minutes, il lui a posé la question :

— Vous pensez à quoi Madame Simon ?
— Je pense à une felouque à Kerkena, docteur.

Elle venait d’apprendre qu’elle allait mourir et contrairement à ce qu’on raconte, elle n’a rien vu de toute sa vie défiler devant elle, non, elle a eu juste une image de felouque, rien d’autre.
Elle est allée à l’aube voir les pêcheurs, ils venaient de relever les filets posés la veille. Ils étaient quatre, silencieux, ils sirotaient leur vin à six heures du matin, en arrachant des mailles une poignée de minuscules poissons. Elle a longuement hésité puis elle s’est décidée à les aborder avec la formule la plus banale :

— La pêche a été bonne ?

Ils n’ont pas fait attention à elle, elle sait qu’ils ne parlent pas beaucoup, elle a attendu. Ils ont continué à nettoyer leurs filets, à chaque fois qu’ils tombaient sur un crabe, ils le jetaient à l’eau en poussant des injures. Elle a insisté :

— La pêche a été bonne.

Le plus vieux qui avait un visage berbère, comme sculpté dans une lame de bronze, tailladé par des rides profondes, lui a répondu :

— Pas bonne, pas bonne, plus de poisson, madame, c’est fini le poisson. Les fils de pute ils ont fait couic mer, (faisant avec le pouce le geste de s’égorger).

Il secouait en même temps le filet vide.

— Je cherche un pêcheur, monsieur.
— Y’a plus de pêcheurs, madame, les fils de pute ils ont fait couic aux pêcheurs.
— Il avait une felouque comme la votre, elle était là.
— Y a plus de felouques madame, les fils de pute ils ont fait...

Elle s’est souvenue qu’il y a vingt ans le petit port était gorgé de felouques et qu’il n’en restait plus que trois. Mais elle a continué :

— C’était un jeune grand et...
— Mais y a plus de jeunes, madame, ils fuient tous le pays pour aller en Italie.

Elle s’est éclipsée discrètement, en se demandant quelle est cette étrange terre où l’on déracine les arbres, où l’on expulse les oiseaux, où l’on détruit les felouques, où l’on fait fuir les jeunes, où l’on égorge la mer.
Pendant des jours, elle est allée voir tous les ports de île, de Sidi Fredj à Beni Yaneg et de Sidi Youssef à Ras Semoum, interroger les gens sur ce un jeune pêcheur qu’elle a rencontré il y a dix-huit ans, mais personne ne voyait de qui elle parlait.
À la sixième nuit, elle a décidé de renoncer à sa quête, elle devait peut être enfin se rendre compte à l’évidence que trop de temps avait passé depuis et qu’il lui fallait affronter sa maladie sans se réfugier dans un souvenir de jeunesse. Elle a réglé sa note, a demandé un taxi à l’aube pour prendre le premier bateau et s’est couchée plus tôt que d’habitude. La nuit, une tempête a agité la mer et il lui a semblé que les vagues venaient se fracasser contre les murs de sa chambre, elle n’a pas fermé l’œil et aux premières lueurs du ciel le vent est tombé d’un coup et elle a entendu au loin quelqu’un chanter, ou plutôt psalmodier du Coran. Elle reconnaît ce chant, car Jean Baptiste était passionné de chants sacrés. Elle s’est levée, elle a enfilé à la hâte un pantalon et un pull, elle a vu au loin au bout de la jetée une ombre de pêcheur, elle s’en est approchée, l’homme était de dos et chantait de plus en plus fort, et soudain elle a reconnu cette voix, la voix de Hamadi. Elle est revenue en courant à la chambre où elle a pris un petit paquet qu’elle a promené avec elle dans l’île durant toute la semaine, elle a avancé à pas très lents vers l’homme qui chantait toujours, et là elle s’est souvenue de tout, elle était là, à cet endroit sur la digue, le 11 septembre 1987, elle regardait la mer, elle avait une jupe courte noire et une chemise en lin blanche, elle a entendu quelqu’un chanter la mémoire et la mer et elle a vu surgir de l’eau un grand garçon, très mince, halé, avec des cheveux bouclés, très noirs, elle ne sait pas comment mais elle s’est mise à chanter avec lui :

La marée, je l’ai dans le cœur Qui me remonte comme un signe Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne Un bateau, ça dépend comment On l’arrime au port de justesse Il pleure de mon firmament Des années lumières et j’en laisse Je suis le fantôme jersey Celui qui vient les soirs de frime Te lancer la brume en baiser Et te ramasser dans ses rimes Comme le trémail de juillet. Où luisait le loup solitaire Celui que je voyais briller Aux doigts de sable de la terre

Elle ne sait pas comment elle s’est retrouvée avec lui dans sa barque bleue lisérée de jaune et de rouge, il lui a montré comment on relève les nasses, il lui a fait voir comment on devine la présence des mulets et des sars au moindre frémissement de l’eau, il lui a parlé de l’orphie, des poulpes piégés dans les jarres d‘argile, de l’angoisse des poissons quand ils sont pris au piège et qui se laissent mourir. Ils ont passé la journée en barque et la nuit est tombée sur eux, ils chantaient encore. Elle ne sait pas comment ils ont roulé tous les deux au fond de la barque, elle avait la peau brûlante avec le sel et le soleil, il était sur elle, il avait ses lèvres sur son cou, elle regardait ses grandes boucles et les étoiles au dessus de sa tête, elle était nue et lui aussi, il avait sa bouche qui courait sur tout son corps, sur son ventre sur ses seins qui dardaient la lune. Il venait en elle en lui chantant :

Ô parfum rare des salants Dans le poivre feu des gerçures Quand j’allais, géométrisant, Mon âme au creux de ta blessure Dans le désordre de ton cul Poissé dans des draps d’aube fine Je voyais un vitrail de plus, Et toi fille verte, mon spleen.


Elle s’approche de lui, à petits pas, le cœur battant, elle sourit, elle nage dans le bonheur, la mer s’est calmée, il ne l’entend pas s’approcher de lui, elle est en larmes, elle pose doucement sa main sur son épaule :
— Excuse-moi, Hamadi, c’est moi Laure. Je t‘avais promis après l’amour de revenir dans un mois à Kerkena avec un disque de Léo, j’ai pas pu, j’ai mis du temps, mais je ne t’ai oublié, comme tu le vois.

L’homme se retourne d’un coup, il a le crâne rasé, le visage très ridé, il porte une grande barbe, poivre et sel, courte au niveau des tempes et très fournie au bout, ses yeux sont passés au khôl. Il crie : Dieu protégez-moi du diable. Il la repousse violemment en arrière, elle tombe à la renverse sur la plate forme en béton, il plonge dans la mer, elle se relève péniblement, elle saigne. Elle voit Hamadi s’éloigner à la nage, laissant derrière lui couler lentement le disque de la mémoire et la mer. Elle ne sait pas pourquoi en voyant soudain vieilli le visage de cet amour, elle a accepté enfin l’idée de vieillir ou de mourir.

M. K.
Inédit, avec l’aimable autorisation de l’auteur © Mohamed Kacimi

P.-S.

Source du logo : extrait du site Escapade en Tunisie.

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