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Une même espèce sous des valeurs différentes 

Réponse à l’enquête « Où en êtes-vous avec l’Asie ? »

lundi 17 novembre 2008, par Marc-Mathieu Münch

1. Croyez-vous qu’un péril venu d’Asie menace l’Europe ? Quels en seraient les vecteurs ?

Je ne le crois pas. L’expression "péril venu d’Asie" a d’ailleurs des connotations historiques et fantasmatiques qui sont dépassées. En revanche, je pense que la rivalité économique qui a déjà commencé va s’intensifier.

2. Pensez-vous que l’Asie soit une entité, une seule civilisation ? Et l’Europe ? Comment les percevez-vous ? Les hiérarchisez-vous ? Selon quels critères ?

Il y a plusieurs civilisations en Asie, cela me paraît évident. L’Europe a davantage d’unité du fait qu’elle est constituée de régions qui ont combiné pendant de longs siècles les héritages gréco-romains, judéo-chrétiens et germaniques.

3. Que vous évoque le mot « Eurasie » ? Vous évoque-t-il quelque chose comme un rêve d’union entre civilisations complémentaires, à l’instar de ce que les idéalistes du siècle dernier ont espéré ?

Eurasie, pour moi, évoque un ensemble de géographie physique qui ne rend pas compte de la réalité humaine. Le rêve d’entente et de complémentarité ne peut concerner qu’homo sapiens.

4. Etes-vous d’avis, comme Edmund Husserl, que le monde soit irréversiblement européanisé et que l’Asie, quoi qu’elle fasse, ne peut le faire qu’en se positionnant par rapport à ces valeurs européennes ?
ou bien l’Asie a-t-elle encore quelque chose à apporter au monde et plus particulièrement à l’Europe, comme certains entendent le montrer ?

L’Asie (le Japon en premier, puis Mao puis le reste de l’Asie) a compris que le seul moyen d’échapper à la domination de l’Occident était d’acquérir ses armes. Le modèle économique occidental règne actuellement partout. Mais ce n’est qu’un modèle économique que les peuples travaillent lentement de l’intérieur pour tenter de l’enrichir d’autres valeurs quand ils ne le combattent pas ouvertement. La civilisation occidentale est mortelle comme toutes les civilisations.

5. Dans quel domaine - arts, littérature, cinéma, philosophie - l’influence de l’Asie vous semble-t-elle avoir été ou être la plus féconde, ou la plus néfaste ?

Je connais mal le cinéma, mais pour les trois autres, je dirais que l’influence a été également importante et bénéfique.

L’influence des arts de l’Asie me semble importante et bénéfique pour plusieurs raisons.

Elle nous permet de nous voir nous-mêmes d’un regard plus lucide. Tout individu, comme tout groupe qui vit dans une Weltanschauung donnée a du mal à en voir les principes de base. Ces principes sont en fait des choix parmi plusieurs possibles, mais il les prend pour des vérités. Il m’a fallu de longues années pour comprendre que la base de la grille de lecture des Occidentaux était de chercher à connaître l’essence des choses. C’est un choix parmi d’autres. L’Orient cherche les passages, les mouvements, les transformations. L’un des malheurs de toutes nos études artistiques vient du fait que l’on veut l’essence de la tragédie, de l’épopée, de la satire (j’ai fait un article là-dessus que personne évidemment n’a lu parce qu’il dérange) etc, là où il y a DES pratiques.

Les arts vivent par renouvellement et par émulation. Quand on a trouvé une bonne formule, par exemple l’architecture en plates-bandes des Grecs, ou bien on rivalise avec elle en y introduisant des variations nécessaires puisque les mentalités bougent, ou bien on la conteste pour, par exemple, une architecture à voûtes. Dans le difficile travail de mise au point d’un nouveau style, l’exemple de l’Asie est bénéfique et a été depuis le début du siècle très importante.

Tout le romantisme n’a été possible que grâce à des exemples nouveaux venus d’ailleurs. Cela commence en littérature avec le goût des contes. Au XXe siècle, sans l’Asie, on aurait eu moins de renouvellement.

Enfin, si un jour on arrive à admettre qu’il y a une unité d’homo sapiens qui se diversifie en différentes civilisations, ce sera en partie du moins pour avoir éprouvé le choc de la beauté des arts lointains.

Nous sommes en plein choc des civilisations. Ce ne sont pas, sans doute, les civilisés qui veulent le choc, mais les hommes de pouvoir qui les récupèrent pour y asseoir leur propagande, comme ils le faisaient auparavant avec les idéologies communiste et libérale. La fréquentation d’un art lointain est toujours le premier moment où l’on découvre que les autres mondes ont aussi leurs valeurs. Arrivés en Chine, les missionnaires n’ont pas eu l’idée que les "religions asiatiques" valaient le christianisme. Mais ce sont les arts qui les ont vite persuadés de la grandeur des Chinois.

En Inde, face à un moulin à prière, on a hoché la tête et dit : "ce sont des sauvages". Mais pas face aux temples. En somme mon idée est simple : c’est au niveau des arts que l’on comprend le mieux qu’il y a une unité d’homo sapiens SOUS et MALGRE les diversités.

L’autre grand niveau de compréhension est l’amour. Quand deux peuples se rencontrent ils font parfois alliance et souvent se combattent, mais ils se métissent toujours (Levi-Strrauss).

Deux mondialisations sont devant nous ; celle des capitaux pour qui homo sapiens n’est qu’un portefeuille et un esclave ; celle des civilisés pour qui homo sapiens est une espèce UNE qui a répondu au défi du comment survivre par des choix variés et adaptés. Les arts ont un grand rôle à jouer dans l’éducation des gens qui veulent admettre la nécessaire diversité des civilisations reposant sur UN cerveau humain.

Pardon d’avoir été si rapide et si brutal pour résumer ce qui se trouve entre mes deux titres, Le Pluriel du beau et Le singulier de l’art.

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