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Le Japon rattrapé par son histoire 

mardi 1er février 2022, par Christian Kessler

Le Japon rattrapé par son histoire.

On n’efface pas facilement les traces laissées par l’histoire. Le Japon vient une fois encore d’en faire l’amer constat, lui qui comme tant d’autres, a tellement du mal à reconnaître les méfaits de son passé. Par la voie de son premier ministre Fumio Kishida, le Japon a annoncé vendredi 28 janvier, qu’il allait présenter officiellement la candidature des mines d’or et d’agent de l’île de Sado au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces mines, dont l’existence est attestée dès le XIIème siècle par des œuvres littéraires de l’époque, ont évolué vers une exploitation totalement mécanisée au XIXème siècle et n’ont cessé leur activité qu’en 1989. Elles doivent compléter la liste des sites industriels japonais - héritage de l’ère Meiji -, déjà inscrits au patrimoine mondial en 2015. La Corée depuis décembre 2021 et l’annonce préalable faite par le Japon, n’avait pas manqué de rappeler que durant la colonisation (1910-1945) des ressortissants de la péninsule avait été déportés sur l’île et forcés de travailler dans ces mines. Malgré la farouche opposition de son voisin et peut-être à cause d’elle, Le Japon vient finalement de passer outre.

La Corée a répliqué immédiatement en demandant un retrait sans délai de cette proposition de classement. Rappelons qu’elle s’était déjà opposée à l’inscription des mines de charbon de la petite île de Hashima située au large des côtes de Nagasaki. Le Japon avait dans ce cas aussi, utilisé une main d’oeuvre prise de force dans la péninsule. Les Coréens déportés se retrouvèrent prisonniers sur l’île et soumis aux durs travaux d’exploitation du charbon sans possibilité de s’y soustraire. L’Unesco elle-même s’était inquiétée du manque de transparence des autorités japonaises qui avaient pourtant accepté de faire état de la réalité historique en donnant les explications nécessaires quant à la déportation de Coréens dans ces mines de charbon. Pour l’instant pourtant, force est de constater l’absence, dans les publicités comme sur le site même de Hashima visitée par les touristes japonais, de toute référence historique sur ce sujet. Si bien que des spécialistes de l’Unesco qui s’étaient rendus au « centre d’information de l’héritage industriel », à Tokyo, afin d’y examiner des documents en juillet 2021, avaient exprimé leur mécontentement. Pour eux, le Japon n’a pas pris la mesure du problème et n’a pas dévoilé au public divers documents qui pourraient permettre aux visiteurs de prendre en compte la réalité historique. La présentation actuelle du site, ajoutent ces experts, donne l’impression que les travailleurs coréens n’ont pas été emmenés de force. L’Unesco a donc proposé au Japon de repenser complètement son centre d’information en y incluant une partie historique sur la colonisation et le travail forcé avec une date limite, celle du 1er décembre 2022. La Corée, pour sa part, demande un moratoire sur tout site qui ne s’accompagnerait pas d’une mise en perspective historique.

Le Japon hésite alors, admet que pour les mines de Sado un travail pédagogique serait encore nécessaire mais décide finalement de déposer la candidature avant la date limite du 1er février . Le premier ministre du Japon essaye ainsi de donner satisfaction aux membres les plus extrémistes de son parti. Tout cela n’arrange guère les relations bilatérales nippo-coréennes au plus bas depuis la seconde guerre mondiale.

Ce problème de non-dit est d’ailleurs récurrent au Japon et il faut souvent des interventions extérieures pour que le Japon, à contre cœur, accepte d’inclure une partie historique sur les sites ou dans les musées. A cet égard, le musée de la paix d’Hiroshima est un exemple frappant. Longtemps, le visiteur était surpris pour ne pas dire ébahi devant une présentation qui faisait du Japon uniquement une victime, sans que soit à aucun moment évoquées les raisons possibles du lancement de la bombe atomique. En somme, la bombe était présentée comme anhistorique. Aujourd’hui, après avoir subi de nombreuses critiques, notamment d’historiens et de visiteurs étrangers, le musée d’Hiroshima comme celui de Nagasaki proposent quelques panneaux et écrans sur l’invasion de la Chine et le contexte plus général de la guerre. Mais l’espace qui leur est accordé est très réduit. Comme le remarque l’historien Michael Lucken, face aux maquettes lumineuses expliquant les effets de la bombe, à la quantité de reliques exposées ainsi qu’à une sonorisation dramatique, le contexte historique passe quasi inaperçu. Bref, l’occultation de pans entiers de l’histoire qui pourraient lui être défavorables, reste largement d’actualité au Japon. La société homogène, qui fait partie de ces mythes dont s’entoure le Japon, assure un passé sans histoire dont le présent n’est que la continuation et l’avenir une suite sans changement notable. Les Japonais dans leur majorité s’estiment donc parfaitement en paix avec la guerre.

P.-S.

Christian Kessler, membre de l’association Liberté pour l’Histoire, est historien, professeur à L’Athénée Français et à l’université Musashi de Tokyo.
Il a assuré l’édition, les notes et la préface de « J’étais un kamikaze », de Ryuji Nagatsuka (Perrin, Tempus, 320 pages, 2021).

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