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Notes de lecture sur PLANKTOS 

Poèmes de Régis Poulet

lundi 21 janvier 2019, par Danielle Laudrin

Dès le début de la lecture, en « embarquant » avec l’auteur sur des chemins à découvrir, ce qui me frappe est l’ouverture vers le long temps associée à la présence du furtif dans l’ici et maintenant [1].

Les éléments du dehors — roches, eau, brume, étourneaux ébouriffés, etc., sont omniprésents. Le regard du poète sur le lieu est celui du géologue, de l’ornithologue, ce qui n’étonnera personne puisque c’est sa formation et sa pratique.

Il peut aussi rappeler celui d’un peintre, et par la suggestion de la lumière et les notations de couleurs [2], et par la composition, avec par exemple à l’arrière-plan la montagne et au premier plan les étourneaux ou un « petit cul de bergeronnette » : un point jaune.

A vrai dire pourtant, plus que du regard de peintre je devrais parler d’un regard de vidéaste car ce point jaune s’agite, et le paysage donné à voir dans ces longs poèmes est souvent dynamique, changeant : attention fine portée aux mouvements fugaces de la brume, de l’eau, des reflets « éparpillés ». Attention portée aux passants parmi les roches et leur apparente immobilité : quelques fous de Bassan, trois cormorans, un goéland.

A l’arrière-plan parfois la dérive des continents, la tectonique des plaques. Le texte nous emmène à la rencontre des lointains Vikings : « sur la base des falaises/ de sédiments marins /des basaltes en prisme/ masse énorme/ épandue lors de l’arrachement/ du continent américain », et il évoque la formation des failles du sol [3]. Et nous voilà pris dans le mouvement des cyclones extratropicaux subarctiques, les flux atmosphériques, lithosphériques.

Dans ce recueil donc, une vision du dehors élargie par la connaissance de savoirs multiples mais aussi par l’attention de l’observateur qui tantôt s’immerge dans le paysage, présent au monde par tous ses sens en éveil [4], tantôt le surplombe au détour d’un escarpement.

Exotisme et musicalité dans les noms de lieux nous dépaysent et nous délocalisent géographiquement et temporellement : « nous remontons où le monde s’invente /dans la splendeur / la ténèbre et l’espace béant », écrit Régis Poulet, et je pense au « retour amont » chez René Char dans ce périple où se marient les complémentaires, ombre et lumière.

Ajoutons à cela comme une réverbération des mots les uns sur les autres qui confère aux vers une musicalité certaine : allitérations ici [5], assonances nombreuses là [6].

Enfin, au détour d’une phrase, au détour du chemin et du livre nous découvrons l’inattendu [7] : le gai savoir. Le lecteur est invité à une réflexion profonde sur la nécessaire reconnaissance de la place sur la Terre du végétal, de l’animal, du minéral à côté de l’humain et de leur interdépendance. Réflexion profonde aussi sur le sens de l’existence, sur l’importance du vide, de la vacuité pour avancer vers une plus grande hauteur de vue.

Pour moi, le dialogue du philosophe avec une méduse entre en résonance avec le poème de Kenneth White « le philosophe et le fou ». Le texte « Comment écrire le Rien ? » [8] me réjouit ; j’ai aimé la mise en relation phonique entre plancton, Planck, le quantique, et la possibilité envisagée que l’on tique devant une telle poétique.

Un vrai plaisir de lecture.

Enfin sont présentes dans Planktos deux dimensions essentielles de la géopoétique : une pratique qui enrichit notre rapport au monde et ouvre la voie à une pensée« matutinale ».

[Lire des extraits des trois poèmes du recueil.]

P.-S.

• Régis POULET, Planktos (Postface de Kenneth White)

Nancy, Isolato éditeur, 96 pages /19 euros / ISBN : 978-2-35448-045-5

Notes

[1Noter l’emploi de l’imparfait, le choix du vocabulaire : « sans répit », « déjà connus », « des siècles, des millénaires ».

[2Exemple : « cristaux blancs, bleus, noirs sur le littoral atlantique ».

[3p 31 et 32.

[4Voir par exemple « l’œil aux aguets ».

[5« panache », « perpendicule », « plis », « plongeant ».

[6« perpendicule », « régulent ».

[7Exemples : jeu dans le face-à-face avec la glace sur le double sens de « glace » renversement d’associations convenues ! Ou encore : « l’esprit des vagues / les bruits divaguent ».

[8p. 36.

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