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L’errance de Murdo Munro 

(à propos de "Vers l’aube", de Dominic Cooper)

mercredi 11 novembre 2009, par Elisabeth Poulet

Murdo Munro vit et travaille dans les forêts de son île natale sur la côte ouest de l’Ecosse. Il s’est en apparence résigné depuis longtemps à sa solitude et à la froideur de sa femme. Vingt-cinq années que son mariage n’est qu’hostilité et humiliations. Une vie solitaire et difficile avec pour seul baume le whisky que Murdo partage avec quelques compagnons d’infortune. Le jour du mariage de sa fille, Flora, qu’il ne connaît pratiquement pas car sa femme a tout fait pour qu’aucun lien ne se tisse entre le père et sa fille, il décide qu’il ne peut plus continuer de cette façon et qu’il doit faire quelque chose. En sortant de l’église alors que la cérémonie n’est pas terminée, sous des murmures de réprobation, sa décision est prise : il va mettre le feu à la maison et partir. Murdo n’est pas un homme dur mais sa compassion pour sa femme n’existe plus. Elle va avoir ce qu’elle mérite.

Il s’éloigne ensuite du village alors que les premières flammes s’élèvent et rejoint son domaine, la forêt. Il décide de se rendre chez sa sœur, Bessie, qui possède une petite ferme. Mais, en dépit de l’amitié qui le lie au petit Douggie, il comprend vite qu’il ne peut pas rester, qu’ici aussi il est de trop. Il reprend son chemin et va vivre plusieurs semaines d’angoisse, dans la crainte d’être rattrapé par la police.

Seul dans une nature sauvage et rude, il ferme son cœur au bruit des hommes et ouvre ses oreilles aux sons qui lui parviennent d’une colline : « Au loin, de l’autre côté de la gorge, un agneau bêlait ; plus près, haut dans le ciel, une corneille mantelée croassait ; en contrebas, le ruisseau coulait en dégringolant ; dans un arbre sur la rive la plus proche de lui, un pinson chantait. Plus près encore, une abeille bourdonnait au-dessus d’un bouquet de bruyère, cependant que tout contre son oreille un insecte remontait bruyamment une crevasse dans la roche. Pendant un moment, ces sons simples de la colline en été formèrent les limites de sa conscience et l’emplirent d’un sentiment d’achèvement et de bien-être. »
Les plus belles heures de sa vie, Murdo les aura vécues en phase avec cette splendide nature écossaise que Dominic Cooper excelle véritablement à décrire, au milieu des traquets pâtres, des tariers des prés et des pipits, parmi les rochers et les bruyères, là où un robuste chat sauvage se poste à l’affût dans les fougères près d’un terrier de lapin. Dans la nature, Murdo se sent bien, dans son élément, serein. Dans la société des hommes, il n’a plus sa place, mais l’a-t-il jamais eue ?

Son errance est le reflet de son tourment intérieur, il ne parvient pas à se détacher de la société qu’il fuit, se laissant envahir par la culpabilité et cette impression malfaisante de ne pas parvenir à assumer ses responsabilités : « C’était comme s’il était piégé, pris dans l’étreinte vicieuse d’une mélancolie qui le forçait à contempler sans répit les choses à l’origine de son découragement. »

Vers l’aube est un livre poignant, profondément pessimiste, qui met en avant la difficulté d’être soi dans un monde conformiste et formaté, l’impossibilité d’exister parmi ceux qui ne vous connaissent pas et ne veulent surtout pas savoir qui vous êtes, au risque de troubler leur mesquine petite paix intérieure. Une belle réflexion sur l’humain et une magnifique écriture de la nature.

P.-S.

"Vers l’aube", de Dominic Cooper, Editions Métailié, 2009.
Dominic Cooper est né en 1944 et vit en Ecosse dans la région d’Argyll. Il est l’auteur du "Coeur de l’hiver" (2006) qui a remporté le Somerset Maugham Award et la mention spéciale du prix des Lecteurs du Télégramme remis par la librairie Dialogues à Brest en 2007.

Photographies : Elisabeth Poulet

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