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Protégez cette nature…que je ne saurais voir ! 

lundi 3 mai 2010, par Michel Tarrier

Protéger la nature n’est pas une idée neuve. Il est logique de penser qu’une espèce douée d’une intelligence hors pair mais tout aussi dépendante des ressources naturelles que n’importe quelle autre plus primaire, ait pu penser dès les origines à les préserver, au même titre que l’on préserverait les nécessités fondamentales.

Les pionniers de la protection environnementale ont été partout les générations antédiluviennes, les peuples racines, les nations autochtones. Qu’avons-nous perdu en ne les prenant pas comme donneurs de leçons, au sens noble de l’expression, au lieu de les exterminer, de bafouer leur savoir ! Ces peuples premiers et qu’il n’est pas déplacé de qualifier de naturels, vécurent toujours dans la compréhension du monde des élémentaux, sans provoquer de destruction notable. Toujours, jusqu’à l’arrivée d’une pseudo civilisation impérieuse qui leur inculqua une flopée de valeurs malsaines dont les plus nuisibles à la pérennité planétaire furent sans nul doute le désir d’appropriation pour l’appât du gain et une sécurité toute relative, tout comme le sentiment erroné et dangereux d’appartenir à une espèce dominante ayant droit de cuissage sur toutes les autres espèces.

C’est en partie pour leur éthique du tout sacré que nous, colonisateurs impénitents, esclavagistes cruels, mafieux et décadents, nous les avons physiquement et culturellement occis, ou folklorisés. La pensée holistique, l’approche panthéiste sont des voies bien trop subtiles et diffuses pour notre quête du rationnel en grosses godasses. Civilisés, nous nous octroyons le monopole de la nature. Tout sacraliser n’était pas compatible avec notre point de vue visant à tout spolier, à tout exploiter, à tout polluer, à tout détruire, à tout pourrir, à infliger mille et une souffrances aux autres races, aux autres cultures, aux autres espèces, à l’autre sexe.

Les peuples premiers ont cette vérité, cette justesse, d’être dans la nature, d’être aussi « la nature ». Mission impossible pour nous, endimanchés, qui nous arrogeons le droit de déboiser puis de reboiser, de dépeupler puis de repeupler. Nous ne reboisons rien, nous ne repeuplons rien, nous ne régénérons rien, car nous n’avons pas la moindre idée des énergies subtiles. Notre assurance-vie ne réside pas dans une planète vivante mais dans un vil contrat d’assurance signé avec une association de malfaiteurs dont les pathétiques pirouettes publicitaires nous inspirent une absolue confiance. Nos redoutables religions monothéistes, puis le miroir aux alouettes du confort et de la consommation via le fordisme, furent les outils d’une sanglante contamination, de gré ou de force, de toutes les communautés racines, avec l’inculcation d’une honte pour leurs belles croyances animistes qui sacraient et sacralisaient les éléments, les plantes et les animaux.

Le sacré et son panthéon rendaient l’expression d’une volonté de protection plus éthique qu’utilitaire. Nous autres allons droit au but, la fin justifie tous les moyens. Et puis qu’allons-nous remettre, nous autres modernes et en slip, notre confiance à des gens dégueulasses, considérés comme des bêtes dès le premier contact, qui cachaient à peine leurs parties honteuses ?! Cachez cette virginité que ne saurait voir le pervers…

Une fois le cartésianisme bien inculqué, le regard protecteur sur la nature devint ipso facto vilement fonctionnel, d’un intérêt sordide, de bas-étage, quasiment propre à l’exploitant minier, au maquignon, à l’équarisseur, au charcutier-traiteur, au proxénète du vivant, au fossoyeur de la biodiversité, aux fins d’un enrichissement égoïste, sans cause et sans morale. Toute spiritualité de nos ancêtres les Gaulois, adorateurs des arbres et des sources, se voyait évincée dans notre rapport au vivant et nous n’avons absolument plus rien de commun avec les ethnies dont l’autarcie et la parcimonie sont toute induites d’un respect profond, d’un besoin d’harmonie avec le milieu. Ils étaient magnifiquement illuminés, nous ne sommes que de tristes comptables, des banquiers ignares et insensibles, des pirates de la biodiversité et du bateau terre.

Non contents d’en rester à veiller sur les ressources grosso modo pour une exploitation primaire et que l’on pourrait dire extensive, comme dans les années 1950, nous sommes passés à la phase la plus intensive et effrénée, productiviste et mandatée par les contraintes multidimensionnelles d’un hyper capitalisme décomplexé, d’un ultralibéralisme « efficace » qui altère, dénature, ronge tout, ne laisse rien dans son sillage, fait sans vergogne table rase, une doctrine à courte-vue, d’une incroyable cécité écologique, qui s’auto-dévore goulument.

Nous carburons pour Manna-hata, « l’île aux nombreuses collines », dérobée à la tribu amérindienne du peuple Algonquin, devenue le Manhattan investi par une finance grasse et vandale. L’empreinte de l’homme sur son environnement atteint un stade qui dépasse largement l’entendement, en ce sens qu’elle transforme radicalement le milieu de vie, jusqu’à le rendre irrespirable en saturant l’atmosphère de gaz à effet de serre.

La terre vue du ciel : bientôt un cimetière, une fosse commune. Et maintenant, la bouche en cœur, sans même faire amende honorable, voici que l’on met sous cloche quelques lambeaux agrestes, seulement pour le nec plus ultra d’un clan de terriens privilégiés, toujours les mêmes, qui s’en iraient au zoo de la supercherie, à des fins… récréatives. On a tout cassé, créé de la pauvreté en veux-tu-en-voilà, on pille les plus démunis pour gaver les amis riches de nos amis riches, et bientôt leur permettre de rouler aux nécrocarburants. Mais, cyniques, notre dernier caprice est de pique-niquer tranquilles sous de bucoliques frondaisons, au bord d’un ru originel dont l’onde est restée claire par enchantement, débarrassés des espèces rampantes et urticantes qui nous causaient frayeur, bercés par le chant des petits oiseaux, et nous émerveillant, pourquoi pas, d’une nursery de papillons multicolores voletant sur la prairie florifère épargnée par le miracle sponsorisé d’une marque de cosmétique de préférence suisse ou monégasque. Sans mentir, si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois… Mais bordel, nous avons détruit tout cela ! Même si ça tangue, il nous faut maintenant et pour toujours nous accoutumer à tousser avec les autres, à crever d’ennui dans nos hypermarchés, à jouer à la marelle entre les rayons bio de Carrefour, …même que, de père évangéliste en fils prophète, Leclerc éclaire écologiquement son fieffé parking aux panneaux photovoltaïques.

Ce qui constitue l’univers de la biosphère, ce qui maintient l’ordre des êtres et des choses, et plus ponctuellement ce qui, dans le monde physique, apparaît indemne de la main de l’homme, relève de la naturalité, du cosmos. C’est l’immensité cohérente où, jusqu’au microcosme et à l’ADN, tout est ordre, organisation, où rien ne semble chaotique, bien que le fruit d’un certain et quasi divin hasard. L’entendement que nous percevons de la nature, notre rapport à la nature, détermine la qualité de notre relation à cette nature, que celle-ci soit de l’ordre de la prédation (pour ceux qui prennent), de la destruction (pour ceux qui pillent), de la coexistence, ou mieux dit de la fusion (pour ceux qui laissent, tels les cueilleurs-chasseurs-pêcheurs).

Était-il dans la nature humaine de faire la guerre à la nature ? Non, finalement non !

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