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Sapiens, comme sage 

mardi 22 septembre 2009, par Michel Tarrier

Je parle de toi, animal humain, désigné comme "espèce élue" et érigé, un peu à la légère, roi de la création.

Homo sapiens fut décrit et élogieusement nommé par Carl von Linné, en 1758.
Tout comme le rat (Rattus rattus) ou le cafard (Blatta orientalis) par le même auteur, à la même date…
Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, c’est en se mirant dans la glace que l’homme Blanc auto-décrivit l’espèce humaine et installa son faciès au sommet d’une curieuse pyramide des races, s’autoproclamant ainsi supérieur et deux fois sapiens.
Inventeur de la nomenclature binominale, dite système linnéen (genre/espèce), Linné est le fondateur de la taxinomie moderne. Dans son œuvre (Systema naturae) il décrivit de son vivant la plupart des végétaux, des animaux (dont nous) et des minéraux, œuvre descriptive considérable évidemment complétée jusqu’à ce jour. L’homme n’est qu’une espèce parmi deux millions d’autres officiellement recensées.

De notre culpabilité et très succinctement…

A vos calculettes :
2 millions de Gaulois assassinés par les Romains ;

Des millions de morts lors des croisades, des pèlerinages armés et dévoyés, durant la Guerre de cent ans et au fil d’innombrables guerres de religions ;

10 à 40 millions de Chinois massacrés par les Mongols au XIIIe siècle ;

Le peuple de Tasmanie liquidé par les Britanniques lors du génocide "le plus parfait" de l’histoire ;

Des centaines de milliers d’Aborigènes australiens décimés par les mêmes colons britanniques ;

Un génocide de 20 à 60 millions d’Amérindiens, depuis la "découverte" espagnole, l’évangélisation et la colonisation, jusqu’à la Conquête de l’Ouest ;

Les traites négrières (orientale, intra-africaine et atlantique) totalisèrent plus de 50 millions de victimes ;

1.200.000 Arméniens périssent dans le premier génocide du XXe siècle ;

40 millions de morts lors de la Première Guerre mondiale et 65 millions durant la Seconde (dont les 5 millions de la Shoah) ;

Le démocide stalinien : 43 millions de morts ;

Le démocide de Mao : 30 millions de victimes et des famines à la chaîne ;

La terreur sanguinaire de Pol Pot : 1.500.000 Cambodgiens.

Rajoutons le million de victimes du Biafra, les 800.000 Rwandais, en majorité Tutsi, ayant trouvé la mort durant les trois mois du génocide au Rwanda, sans omettre les 300 000 morts et les 3 millions de déplacés de la guerre au Darfour.

Depuis l’esclavage du peuple Noir jusqu’au Nouvel Ordre mondial, soit de 1900 à l’aube du troisième millénaire, en passant par Hiroshima, Nagasaki, la guerre au Vietnam, le capitalisme porte à lui seul la responsabilité d’un bilan bien supérieur à 100 millions de morts.

Ces hécatombes, ces holocaustes, ces exterminations, ces pogroms, ces génocides, ces guerres, ces invasions à travers les siècles furent-elles chaque fois dictées par un quelconque comité des sages ?

SAPIENS, COMME SAGE.

Déforestation, productivisme agricole, agroterrorisme, mort biologique du sol, désertification, sixième crise de la vie et extinction massive d’espèces pour causes anthropiques, pollutions, réchauffement du climat, fonte des glaces, montée des océans, tarissement accéléré de toutes les ressources non-renouvelables, la planète bleue est en déliquescence.
20 000 hectares de couvert forestier disparaissent chaque jour. La Terre vue du ciel : bientôt un cimetière, une fosse commune.
Selon un rapport du WWF, nous avons perdu en 30 ans près de 30 % de tout ce qui vivait sur Terre.
L’ours polaire marche sur les eaux, l’aigle impérial fait les poubelles, le vautour s’attaque au vivant, d’autres deviennent cannibales, le panda géant porte un collier-émetteur, l’orang-outan n’a plus de maison, l’orque et le dauphin tournent en rond dans des bassins cimentés, le phoque est une peau, la panthère et le croco se portent dans les beaux quartiers, les oiseaux chantent sur du fil barbelé, les libellules se posent sur des piquets, il n’y a plus rien à butiner, les ruches sont désertées, les papillons sont en volière, la grande forêt est vidée de ses arbres, terriblement silencieuse, le petit bois d’à côté est contaminé et inanimé, le corail est au rayon des souvenirs, mais Total veille sur les océans, Monaco protège la faune... et Areva attend que ça fonde.
Aucun insecte nocturne ne vient plus virevolter autour du lampadaire, on ne voit plus de hannetons, on n’entend plus chanter les grenouilles et depuis longtemps, la chevêche ne perche plus sur le poteau téléphonique.
Où sont le carabe doré, la cétoine verte, les papillons multicolores, la rainette verte, la jolie couleuvre de notre enfance ?

SAPIENS, COMME SAGE.

Veau, vache, cochon, couvée, homme sont chosifiés. Le vivant est industrialisé, mais on dit qu’il pourrait être bio, la belle affaire...
Zoos, cirques, laboratoires, batteries, l’ignoble personnage enferme, dompte, torture, exploite, les espèces compagnes et aussi la sienne.

SAPIENS, COMME SAGE.

En guise de bénéfices :
Cancers, maladies environnementales et génétiques, perte de fécondité (tant mieux !), maladies nouvelles et concoctées de toutes pièces, cent mille molécules chimiques lâchées dans les sols, les eaux et les airs, pesticides et biocides dans la rosée et dans nos urines, un milliard de terriens souffrant chaque année les méfaits de la pollution, recul des terres fertiles, catastrophes "naturelles" plus nombreuses et plus meurtrières, hordes de réfugiés de l’environnement...
D’ici à 2050, on prévoit des sécheresses drastiques susceptibles d’affecter 2 à 3 milliards d’humains.

SAPIENS, COMME SAGE.

Depuis l’an 1 de l’Ère chrétienne, la population humaine est passée de 250 millions à quasiment 6,7 milliards d’habitants.
Pour les trois-quarts de l’humanité, la Terre-nourricière ne l’est déjà plus.
Notre fourmilière humaine comptera 9 milliards d’individus malheureux en 2050.
Plus d’un million de personnes se suicident chaque année, au chômage, au travail, dans les villes, dans les champs, en prison, en liberté…
Honte au néfaste esprit patriotique, honte aux familles nombreuses !
Il est dit que si nous ne décroissons pas, nos maîtres bienveillants vont nous décimer.

SAPIENS, COMME SAGE.

Exterminateur et invasif, Homo sapiens est la seule espèce de grande taille à investir selon une croissance infernale la quasi-totalité des niches écologiques des autres espèces. Nous sommes ainsi les auteurs du plus effroyable laminoir de biodiversité que l’on pouvait imaginer
Nous souffrons d’une incurable cécité écologique doublée d’un besoin maniaco-dépressif d’asservir, de dominer, régner, contrôler, ordonner, gérer, intervenir, décider, nous ne sommes bons qu’à saccager, détruire, modifier, altérer, uniformiser, aligner, nettoyer, vider, couper, tailler, tondre, scalper, raser, décapiter, brûler…, le plus souvent sans comprendre, sans donner, sans admirer… et même sans regretter.
Guerres et discriminations envers et contre tout, contre soi, contre l’homme, surtout contre "l’autre" et "le différent", contre les espèces non rentables, en un mot... contre la nature.
Sexisme contre l’autre sexe, racisme contre les autres races, spécisme contre les autres espèces, pillage du vivant réduit à la notion étroitement utilitaire de ressources, saccage des paysages défigurés en autant de formes géométriques écostériles.
Avec un dépassement de 30% de la biocapacité planétaire, notre humanité s’est octroyé un crédit écologique qui est une fatale fuite en avant. Où est la sagesse ?
Notre politique est bien celle de la terre brûlée. Ne rien laisser derrière soi qui puisse profiter à l’ennemi est une stratégie de guerre…totale. Mais quel est donc cet ennemi si exécré, sinon nous ?!!

SAPIENS, COMME SAGE.
Ou encore intelligent, raisonnable ou prudent !

Sapiens, nos ancêtres cueilleurs-chasseurs (ceux qui laissent) et que nous avons persécutés l’étaient.
Nous (ceux qui prennent, et qui prennent tout), Homo sapiens economicus ou demens, peuple dernier et civilisé, vils urbanistes, économistes imbus, agronomes-valets ou politiques impérieux et fourbes, nous ne le sommes pas, nous ne le sommes plus.

Sans vouloir offenser la mémoire de Léonard de Vinci...
Certain que Jean Ziegler ou Stéphane Hessel partageront cet avis, Homo sapiens n’est qu’une sombre brute.
Sapiens est donc un qualificatif erroné, un nom usurpé, DÉBAPTISONS-LE !

« Notre mode de vie n’est pas négociable  », disait Georges Bush Père, « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie  » réplique Barack Obama.

Dès 2050, notre vie sera invivable. Le clap de fin sera au mieux pour 2100.
La passivité devant le désastre n’a d’égal que la vie anormale des gens normaux.
« Et si l’aventure humaine devait échouer ? » : relire Théodore Monod s’impose.

Signé : l’homme, voyou de la planète.

« Je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute (…) Penser fait la grandeur de l’homme. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. (…) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » Blaise Pascal (Pensées, 1670)

« La principale maladie de la planète, c’est l’homme. » Paul Emile Victor

« Ce qui compte dans la sauvegarde des condors et de leurs congénères, ce n’est pas tant que nous avons besoin des condors, mais que nous avons besoin des qualités humaines nécessaires pour les sauver. Ce sont précisément celles-là mêmes qu’il nous faut pour nous sauver nous-mêmes. » Ian Mac Milan

« Le respect seul, dans la mesure où il nous dévoile quelque chose de sacré… nous protègera contre la tentation de violer le présent au bénéfice de l’avenir, de vouloir acheter celui-là au détriment de celui-ci  ». Hans Jonas

« Il faut résister contre cette dégradation de la dernière beauté de la terre et de l’idée que l’homme se fait des lieux qu’il habite. Est-ce que nous ne sommes plus capables de respecter la nature, la liberté vivante, qui n’a pas de rendement, pas d’utilité, pas d’autre objet que de se laisser entrevoir de temps en temps ? » Romain Gary

« L’homme Blanc possède une qualité qui lui a fait faire du chemin : l’irrespect. » Henri Michaux

1 Message

  • Sapiens, comme sage 5 août 2011 17:36

    Sainte colère. Opposition frontale de deux sagesses.
    Il faut revenir à cette question : "Comment sais-tu que tu es nu ?".

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