"Mes livres en couleurs : Raturés par moi, ouverts la nuit, enterrés dans le sable, repris ! Comme d’humbles fétiches ! En un sens, un joli coup de pied au cul de l’art moderne qui n’a jamais su en inventer un seul.
Etranges livres : parfois faits de signes, de traces. L’Afrique appelle les signes et non pas le récit."
François Augérias sous le pseudonyme de Abdallah Chaamba
Quatre jours ont passé depuis notre arrivée à Sakassou en Côte d’Ivoire.
Quatre jours pleins. J’ai relu Augérias :
"Le sud exaspérait mon goût des couleurs, des espaces inconnus. Quel lieu au monde, quel acte humain, quel accent décisif affirmaient la maîtrise des l’homme, la noblesse de l’homme. Mon drame – ou ma chance au XXe siècle – était de n’être pas un artiste, devoir trouver dans le réel, à mes risques et périls, un style de vie qui tienne face à la splendeur des astres. La prise de conscience de l’histoire humaine me hantait, j’avais rencontré la folie admirable d’un homme, d’un solitaire en Afrique."
Nous nous levions à 5 heures du matin, un peu avant le soleil. Souvent les enfants dormaient dans la cour sur une natte. L’une des soeurs s’occupait du feu pour le café puis nous préparait une omelette incroyable (oeufs, oignons et tomate mélangés dans une bonne louche d’huile, le tout cuit sur feu de bois) pendant que l’autre préparait les enfants pour l’école.
On se lave, on refait ses nattes, on mange un peu de riz, puis du lait, du pain. On met les uniformes scolaires, et cela tout en jouant.... A 7 heures quarante-cinq, tout le monde est prêt. Suite à la guerre, les cours ont étés prolongés tout le mois de juillet.
Levé dès les premiers bruits je m’installe avec le casque, l’enregistreur sonore et la caméra laissant mon ami l’ingénieur du son dormir.
Lui est parti hier. Il aurait aimé que nous rentrions ensemble à Abidjan mais j’ai préféré rester encore un peu afin de profiter de ce lieu unique. Je connais déjà Abidjan, sa fournaise, ses bouchons, sa pollution. J’ai tout à apprendre ici.
L’ami français est donc rentré hier. Il ne voulait pas faire la route seul. Il avait peur. L’un des frères de ma belle l’a accompagné jusqu’à Abidjan avant de le mettre dans l’avion. Léa, une tante, s’est moquée un peu de lui le soir du départ le trouvant fragile et enfantin. Les hommes ne disaient rien. Ils connaissent les dangers de la route.
L’ami a fini par m’avouer que l’Afrique ce n’est pas pour lui, qu’il avait peur et qu’il sentait qu’il ne pouvait jamais maîtriser les situations tendues. Léa riait en disant qu’il avait peur des noirs.
J’ai acquiescé comprenant très bien ce qu’il ressentait, exactement la même chose que ce que j’appréhendais en France. Etrangement ici c’est l’inverse qui est arrivé pour moi. Très vite j’ai pris confiance, j’ai totalement oublié la couleur de ma peau et je me suis plongé dans cette vie si différente de la mienne cherchant à la comprendre, à la filmer, à l’entendre.
Pour l’ami c’est normal... Je suis venu en famille contrairement à lui.
J’ai laissé l’ami et ai repris le livre :
"Plus que jamais j’avais envie d’écrire. A nouveau, en arrêt devant la librairie, je me demandais si je n’étais pas un sauvage en plein XXe siècle, occupé uniquement à fabriquer des esprits."
C’est encore la saison des pluies et il arrive que nous soyons réveillés la nuit par des trombes d’eau qui n’en finissent pas. On éteint le ventilateur et on se serre les uns contre les autres.
Le matin la terre fume et nos pieds nus dans la terre glaise font de beaux dessins. La lumière est splendide.
On part à Bouaké en taxi brousse avec le grand frère. Je fini par m’arrêter dans le marché à la recherche de statues baoulés. J’en trouve deux. On me dit qu’il s’agit de la reine et du roi. Pas sûr, mais elles ressemblent à celles que j’ai vues dans le livre de Jacques Maquet, Les civilisations noires.
Je repense à ces mots de Sédar Senghor sur les statues baoulés : "Deux thèmes de douceur y chantent un chant alterné. Fruits mûrs des seins. Le menton et les genoux, la croupe et les mollets y sont également fruits ou seins. Le cou, les bras et les cuisses, des colonnes de miel noir."
Mangé du miel sauvage pour la première fois. Pris dans la terre deux jeunes manguiers afin de les ramener. Bu du gin local. Mangé des carpes sauvages grillées au feu de bois.
Et surtout.
Aujourd’hui, la famille a pour la première fois été entièrement réunie depuis plus de dix ans. Tous les frères et soeurs se sont retrouvés ensemble avec leur père.
Moment très fort que cette réunion de famille où tout le monde a dit ce qu’il pensait et désirait. J’avais installé la caméra pour faire un plan très large et je me servais de la deuxième caméra pour faire des plans plus serrés.
Ensuite je me suis adressé au plus jeune frère d’Aya qui s’est adressé à Jean-Marcel qui lui-même s’est adressé à l’aîné avant de parler au père.
Officiellement ce soir-là, j’ai demandé la main de ma belle.