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Citizen Data 

dimanche 19 juillet 2009, par Philippe di Folco

Où il est question d’une certaine mainmise par les entreprises de communication multinationales sur l’ensemble des bases de données existantes et à venir, qu’elles soient composées de textes, d’images ou de sons. Où il signifiera bientôt pour chacun de se définir quant à une éthique que l’on adaptera en cas de conflit entre ceux qui détiennent les capitaux pour immobiliser les flux informationnels et ceux qui consciemment ou non les alimentent en données stratégiques. Où l’individu se retrouvera enfin atomisé comme il se doit et transformé en bétail à consommer en attendant de finir consumé dans la marmite du Grand Recyclage.

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Qu’est-ce qu’une donnée stratégique ?

Un exemple : nos modes de consommation intéressent les grandes surfaces et les distributeurs (17% de la richesse nationale en 1999) qui tentent de les capter, de les bloquer via des filtres électroniques, des sondages, etc.
Soit l’on choisit de se retirer du processus de statistiquation de nos écarts et de nos moyennes personnels en nous interdisant l’usage de la carte bancaire (c’est possible, demandons aux interdits bancaires, aux SDF et autres auto-endettés avec la complicité de leur banque) évitant ainsi d’emprunter les circuits traceurs électroniques ; soit nous utilisez "à contre courant" l’outil de paiement électronique en brisant radicalement nos habitudes (retirer du cash deux fois par mois et tout régler en liquide : un véritable luxe de liberté qui présuppose le désendettement !) — dans les deux cas, nous polluons les statistiques des organismes de contrôle, de tri, de classification du monde puisque, 1/5 du monde où nous vivons appartient à la Distribution des biens marchands.

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Comment lutter, quelques principes de base

La première règle est d’ordre psychologique : la paranoïa est notre alliée. Oui, nous aurions tort de ne voir là qu’une passade de quelques financiers bons enfants à la recherche de liquidités ou de faciles ressources documentaires. Non, malade nous ne sommes pas : simplement le monde est plus simple qu’ils ne veulent bien le laisser paraître. En surface, les grilles d’accès au monde réel se ferment les unes après les autres. Demain les portails électroniques du net, aujourd’hui les bases de données, les bibliothèques de prêt, l’enseignement de qualité, le prix des livres, l’esprit de corps des universitaires et des ingénieurs et le lobbying exclusif qui en découle - nous avons raison de vous révolter pour réclamer plus d’accès libres aux savoirs, moins de mouroirs solitaires. La limite consiste en notre propre capacité-volonté à puiser dans ces savoirs-matières, à devenir plus forts pour lutter contre notre réification.

La deuxième règle passe par le secret : nous sommes un corps vivant et pensant et donc à ce titre, l’un des piliers naturels de l’ordre documentaire. Apprenons la furtivité, la ruse, l’échappatoire et l’art du mystère. En aucun cas, l’on ne peut nous forcer à nous dévoiler. Le secret est le sel de l’anecdote et l’anecdote détruit l’ennui lié à la contingence, fruit d’une société consumériste appauvrie. L’anecdote prélude aux mythes nouveaux. Ne laissons pas les multinationales peupler nos mythes à notre place, les remplir d’objets sans histoire, d’objets clean, d’objets lisses, d’objets d’objets. Un monde de marque sans remarque. Des logos mais sans le Logos.

La troisième règle consiste en un parasitage systématique de la contingence : cet exercice est hautement difficile et exige de nous une discipline de fer journalière. Dès lors, réfléchissons à tous nos actes quotidiens, listons-les, et munissons-nous pour ce faire d’un carnet de notes.
Calculons nos propres algorithmes et inventons des routines simples à tendance brownienne qui ne tolèreront aucune échappée vers les "médiateurs" : ceux qui cherchent à nous représenter, nous itérer, vous réifier sont ceux qui, bien souvent, nous proposent leur aide.

Quatrièmement, élaborons notre infra-réseau : stockons de l’information comme d’autres du sucre ou de l’e-cash mais sur des disques isolés, loin des circuits du type câble ou satellitaire. Méfions-nous même du cuivre télécom. Les piles sont nos amies. Les lettres postales sont lentes mais sûres.

Cinquièmement, notre logique de guerre émerge. Mais elle aura besoin de s’affiner au contact des autres membres de notre condition de résistant à l’affadissement documentaire généralisé. Souvenons-nous qu’une base de donnée contrôlée par un réseau se défend au même titre qu’une base militaire. Connaître l’ennemi - en tant qu’initiateur/renforceur/isolateur de base - utiliser ses armes, parasiter ses sources et ses canaux de distribution : certes, mais au-delà des règles clauzewitziennes basiques, sachons-nous taire. Notre silence, notre mépris le rendra fou. L’englobera.

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De l’intranquilité

La net-galaxie n’est pas "cool" : à l’intérieur, nous assistons à l’émergence et à la stratification de nouvelles zones lumpen-prolétarisées. Axe économique nord-sud (info-riches/info-pauvres) mais apparition aussi d’un quart-monde au sein même des pays suréquipés (faux riches d’infos).
Ramollir les fibres optiques, jeter de l’huile sur le feu électrique, débrancher, ne pas parler, se méfier sont des attitudes anti-cool bienvenues. "Etre cool" appartient au registre discursif néo-libertarien.
Il ne peut être, en aucun cas, celui des exploités documentaires. La rancune, le ressentiment n’ont que peu à voir avec cet état de fait qui consiste tout simplement aujourd’hui à réclamer son dû à des sociétés qui pompent sans vergogne l’ensemble des sources informatiques de la planète, les plombent et les cloîtrent. La libération des bases de données pour tous et la non-transformation du monde en base de données exploitables doivent être le double objectif, le reste est tromperie sur la marchandise.

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De la morale

La sphère privée doit rester privée. Qui vous oblige à vous dévoiler face aux caméras, face aux yeux du monde ? Qui vous oblige à remplir trente feuilles de questionnaires sur vos besoins alimentaires ? Personne sinon l’illusion que vous être seul au monde, que vous avez besoin d’une religion. L’altruisme qui vous guide à l’instant de dire "oui" au sondeur-violeur est un acte criminel. Quelles que soient vos pratiques privées, le foyer, votre tête, votre corps, sont des espaces libres et irréductibles. Les nouvelles technologies doivent épargner ces univers. Vous devez lutter pour une écologie de la psyché et du foyer. L’égoécologie, que cette hygiène sous-tend, implique deux principes : l’excitation provoquée par l’offre documentaire pauvre, pornographique, commerciale ou autre, prendra fin à partir du moment où vous saurez dire non. Enfin, cette logique de guerre et la paranoïa idoine, qui sont constitutives de la liberté.

La seule façon d’échapper aux structures panoptiques du monde virtuel et documentaire : en sortir et se situer dans l’infra-observation silencieuse, les ressorts ectoplasmiques se dissoudront alors dans l’agôn perpétuel d’une génération d’humains adultes, connaisseurs et libres.

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Magic Box

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De quelques principes simples sur ce qui attend l’ensemble des objets et corps passés, présents et à venir, représentés ou non, et des méthodes pour éviter le contrôle par quelques-uns sur l’ensemble des informations contenues et déductibles de ces mêmes objets et corps.

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1969, baby !

Nous avons énoncé un certain nombre de règles, désigné les pratiques de certaines communautés vulgaires appelées "multinationales" qui tentent de sérier et de conserver pour leurs usages mercantilistes univoques les formes de représentation du monde tel qu’il est. L’un des buts inavoués serait de transformer le monde actuel en un monde virtuel, accessible uniquement via des porte-réseaux et uniquement au moyen d’unités de paiement. Car nul n’ignore plus maintenant que le but ultime de ce système économique est d’organiser le monde à partir d’une boîte - appelons-la "magic box" en hommage à Lewis Carroll - reliée aux bases de données de l’univers. La mise en boîte du monde et sa commercialisation sont effectives depuis le 21 juillet 1969. En vertu du principe d’épuisement généralisé du monde et de sa transformation en un immense supermarché, la lune fut appelée lune et son exploration conféra à l’homme sur icelle un droit d’exploitation illimité. La différence majeure entre la situation marchande de 1969 et maintenant est que le lapin d’Alice fait semblant d’avoir du temps-libre, que la potion permettant l’exploration du monde du miroir s’appelle dans 75% des cas "Lexomil", et que l’érotisme virtuel remplace désormais le toucher. S’il est trop tard pour empêcher la fabrication des Magic Box, point s’en faut d’en limiter et détourner l’usage au profit de la possibilité de lui dire non.

Il se peut que cette Magic Box fût tout simplement notre cerveau.

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Les fabricants de paradis

Ces sociétés de contrôle des données du monde se nomment Vivendi, Lagardère, LVMH, Générale des Eaux, ATT, Microsoft, Bertelsmann, AOL-Time-Warner, etc. et par extension, tout individu qui se rendrait complice de l’une de ces entités.

Ces portes ne sont pas celles du Paradis. Le Paradis étant en soi une porte devant laquelle je peux demeurer sans jamais oser passer au-delà, l’on comprendra que ces sociétés promettent sans jamais tenir, montrent sans jamais consoler, excitent sans jamais indiquer à nos désirs exacerbables à l’infini la porte de sortie. La "magic box" voit le jour mais l’on se doit d’en écrire la préhistoire éthique.

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Actions de résistance et de défiance

Nul ne peut vous obliger à dire la vérité. Souvenons-nous de la deuxième règle : le secret, garant de l’essence du quotidien. La scannérisation, procédé qui consiste à analyser molécule par molécule toute structure et à en proposer une représentation transparente, ne peut être imposée à un individu contre son gré. Pour l’instant. Scannériser à distance, furtivement, sous le couvert de la sécurité, arrive déjà. Cela fonctionne grâce au courant électrique. De même que le monde pourrait être envahi de scanners intelligents, de même le citoyen averti saura débrancher. Ne pas jouer le jeu de l’audité. Se fermer les yeux et les oreilles quand l’agent lui demandera "pour son bien" de les lui ouvrir. Réduire à rien leur chance de nous transformer en données. Pour passer à travers le faisceau du scanner, il suffit d’être incomputable et d’emprunter des chemins de traverses : la dérive, la bifurcation, la spontanéité comme autant de sentiments citoyens imprévisibles pour les contempteurs de la Base de Données générale du Monde (BDDGM).

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Exemple d’objets et d’actes facilitant la scannérisation de l’être :

- la carte de crédit et ses différentes pratiques/lectures (les "relevés" de nos déplacements financiers, sorte de psychogéographynancière dont se sont emparés les distributeurs violant les principe de protection des données privées) ;

- la carte verte "vitale" (nous verrons qu’un Etat fut-il républicain et français peut être tenté par l’exclusion d’une partie de la population qu’il jugerait indigne d’être couverte) ;

- la carte d’identité électronique (ici, la réalité dépasse la SF : mais les auteurs de SF ne sont-ils pas devenus les seuls vrais prophètes qui comptent ? Relisons Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley et rions jaune...) ;

- la prise de sang (notre ADN nous appartient mais où va tout ce sang donné gratuitement, ces placentas, ces organes prélevés chaque jour en milieu hospitalier ?) ;

- les rayons X, l’infra rouge, la scanner dans les lieux publics (les "sas" se multiplient : "Attentif, ensemble", car nous sommes tous de dangereux terroristes tant que nos pratiques n’auront pas été totalement circonscrites ou rendues prévisibles) ;

- les micros d’écoute, les caméras de surveillance reliées à des enregistreurs vidéo (même si des panneaux nous préviennent de leur présence, cette normalisation consistant bien en un recul de la liberté de se déplacer hors champs, sans témoin, sans être en représentation) ;

- le téléphone portable et son ami le Wap (limitons les options, résumons-les à nos amis proches : le télétravail permet de liquider la question de la plus-value en la maintenant à distance) ;

- la télévision interactive (la push TV est la porte ouverte au chewing gum des yeux) ;

- les "cookies" offerts pour chaque visite de site internet (on peut encore leur dire non mais combien le savent ?) ;

- tout type de sondage (même si c’est parfois payé) ad libitum.

Bientôt chaque élément du monde tel qu’il est sera représenté par une image électronique propriétaire, elle-même produit par un système privé et fermé. C’est déjà le cas pour des sociétés comme Corbis (Microsoft) qui numérise plus de dix millions "d’objets". Le spectre va des couleurs de l’arc-en-ciel à la clef ADN de chacun.

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La défiance / le retrait

"Est-il encore temps d’arrêter ?", telle est la question que l’Honnête homme se pose aujourd’hui à chaque fois qu’il fait usage des nouveaux instruments de domination du désir que sont les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). La scannérisation du monde géographique s’achève : des fosses marines jusqu’aux moindres millimètres de désert, le Nautile et le procédé SPOT terminent de porter les surfaces d’ombres en pleine lumière. Si seulement cette lumière abreuvait l’ensemble des citoyens ! Non pas, elle gît entreposée, entre deux surfaces numérisées, sous clefs. Réserver l’accès à la représentation du monde permet le commerce de celle-ci et donc l’accumulation du capital servant à constituer des empires propriétaires de Bases de Données (BDD).

Une véritable révolution de portée universelle parce qu’ayant la liberté de tous pour principe, consisterait à briser ces usages. Est-ce LA révolution ? N’est-il pas vrai que la révolution en ce cas précis se doit d’être permanente ?

"LA REVOLUTION TOUT LE TEMPS POUR QUE LE TEMPS NE DEVIENNE PAS UNE MARCHANDISE ET NOUS DES SPECTRES !"

Ce genre de cri doit bien avoir cent cinquante ans : Marx n’écrit pas autre chose dans les Gründrisse (1857). Mais nul n’est prophète en son temps. Pourtant nul ne doit s’interdire de donner aux autres à voir ce qu’il croit juste de voir.

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L’Univers masqué par une couche logicielle

Les multinationales ont les moyens d’aller vite et bien pour accumuler des données sur le monde, sur l’univers et d’en réserver tous les accès. Pas de problème d’espace-mémoire, de petites mains ouvrières qui saisissent ces données et les transportent dans des espaces relationnels. Les moyens techniques mis en oeuvre pour verrouiller l’information correspondent à une couche logicielle enrobant le monde. Aucune fenêtre ouverte sur le monde tel qu’il est, aucune issue n’est présente sinon ces portails donnant accès à une surreprésentation/interprétation et non à l’essence du monde.

Nous parlions de l’Univers. "Tel qu’il est" ne peut se voir, s’écrire. Nous supposons : un ensemble de molécules, de cristallisations, de formes. Toutes les formes. Le monde en tant qu’ensemble de molécules constituées implique un ensemble de données que l’homme peut aujourd’hui interpréter et ranger/classer en bases. Des cabinets de curiosités à Britannica-on-line en passant par Pankoucke et Bescherelles, Bouvard et Pécuchet, le beau souci qui essaye de nommer, inventorier, classer, comprendre la Nature ! Aujourd’hui la Nature réelle n’existe plus. Même les enfants ne cherchent plus l’herbe ou la mer vraies. L’espace numérisé permet d’installer entre moi et le monde une couche logicielle de plus en plus épaisse et verrouillée.

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La représentation de l’ensemble des BDD

Qui dit base implique stratégie, protection, militarisation des environnements, accès réservés : autant de tropes indésirables. Car la liberté est l’espace universel : "ce qui est donné".

Inventorier consiste à nommer le monde. Les inventaires et ceux qui les pratiquent feraient bien de réfléchir à leur situation et à leur condition : nommer ce qui n’existe pas, enfermer sous code les données des corps et des choses dans des bases, recevoir en échange de l’argent issu d’une économie virtuelle qui les condamne au silence, à l’abnégation, à une complicité pour détournement de données réellement libres.

Donc :
1/ Puisque l’ensemble du monde tel qu’il se conçoit est quantifiable : l’homme est libre de ranger/ordonner ces quantités en bases de données ;
2/ Nul être humain ne peut s’arroger le droit à fermer l’accès à l’une de ces bases, l’une de ces données.
3/ Mais l’individu est aussi libre de ne pas transformer le monde en BDD.

Il suffit d’un seul individu et d’un seul pour détourner une BDD à son profit, en outils stratégiques de guerre par exemple. L’individu peut créer maintenant sa BDD avec des outils informatiques documentaires simplississimes et adopter une logique de guerre pour résister à l’achat, au rachat, à l’absorption, à l’étouffement ou aux OPA de la médiocratie sur l’esprit. Nul ne peut garantir l’usage neutralisant des données du monde transformées en BDD, en revanche, il suffit néanmoins d’un seul individu et d’un seul pour dire NON au principe de transformatisation : la dataïfication succède à la réïfication, mais elle échoue sur le refus d’un seul individu : sa non-participation suffit à briser l’élan.

"Je ne préfère mieux pas" permet aux "corps donnés" d’objurer cette métamorphose du monde en séries strange.

Exemple de bases constituées :
- la liste des humains vivants sur la Terre
- la liste de leur séquence ADN
- leurs habitudes de consommation heure par heure
- la liste des malades contaminés par le virus de type HIV
- la liste des entreprises ayant participé aux différents génocides durant le XXe siècle
- le répertoire de l’ensemble des objets imprimés depuis Gutenberg

L’analyse et le décryptage des molécules constituant les éléments du monde permet d’en dresser les cartes géographiques, écologiques et génétiques.

Exemples d’abus :

- le trou dans la couche d’ozone
- le réchauffement planétaire
- la disparition des espèces sauvages végétales et animales vivantes
- la disparition des tribus humaines nomades
- la transformation abusive des minéraux et corps naturels et les déchets en résultant
- l’élimination des communautés plaçant la spiritualité au-dessus des valeurs normatives.

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Faut-il libérer certaines bases et comment ?

Le monde est une immense base de données mais non une marchandise. En libérant certaines bases de données l’on condamnerait le système marchand actuel à disparaître en renversant le rapport rare/cher.

Certaines de ces bases doivent être rendues aux citoyens, devenir elles-mêmes citoyennes. Rendues aux citoyens, si l’on veut, par le biais du réseau. La valeur d’usage importe peu ici : l’usage, s’il n’en est pas citoyen, condamne à l’excès, aux pressions, à l’oppression voire à la terreur. De ça nous ne voulons.

Mais les Etats ne sont plus les garants des abus et des détournements opérés à partir de ces bases. L’éducation se fait complice des dérives mercantilistes du monde en BDD. Par définition, les Etats se voulurent longtemps garants d’une portion de l’univers telle que le peuple lui octroyait un principe d’autorité et d’unité afin de l’aider à mieux répartir les richesses induites dans ce territoire. Les lois antitrusts frappant certaines multinationales ne suffiront pas à briser l’élan transformateur du monde en BDD générale.

Cependant, sous peine de devenir simple consommateur aveugle, le citoyen se doit de récupérer par tous les moyens l’accès aux données du monde, car celui-ci a été volé, ce vol établi permet de spolier tous les habitants présents et à venir par la seule volonté de quelques-uns mais avec notre complicité.

"Par tous les moyens", car tous les moyens furent utilisés par les communautés industrielles pour exercer cette spoliation : nous entendons même en retour exercer une certaine forme de radicalité. A savoir : le hacking, le parasitage, les manifestations, les menaces de grève citoyenne (jour de non-consommation, puis semaine, mois...). Les accusés parleront de "terrorisme". Les complices que nous sommes signeront de tels actes car s’associer à ces actions mettra un terme à notre mise en esclavage volontaire.

Le possible de cette radicalité, son possible seulement, pour un seul homme et un seul, fait de lui un citoyen libéré des données : un exercice de liberté inaliénable, un don gratuit fait à soi, l’essence même de ce que certains appellent l’amour, si ce mot possède encore un sens politique et non uniquement spectaculaire. Nous y reviendrons .

Il s’agit bien d’un paradoxe libérateur : le but n’est pas un total libre accès à toutes les données mais l’abandon du principe même de BDD. En libérant totalement ces données prisonnières d’un système économique marchand l’on peut objecter que ceux (hormis les multinationales avançant masquées) qui disposent d’instruments capables de stocker et de gérer ces mêmes données, s’empresseront de les détourner, à des fins publicitaires (dont une portion ridicule de la population mondiale profite, les publicitaires ressemblent par leur arrogance aux fermiers généraux de l’ancien régime). Il s’agit donc de veiller à proscrire le principe même de transformation en BDD. Pour les bases existantes, doit se poser d’urgence
le principe de traçabilité :
- d’où vient cette information ?
- qui me la délivre ?
- quel usage vais-je en faire (où la déposer ?)
- que va-t-elle devenir ?

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Pas de trace

Afin que nul consortium, nulle entreprise transnationale n’en vienne à utiliser les BDD pour sculpter mes désirs aux seules fins de me revendre des objets épuisants, je ne dois pas laisser d’empreinte. Dès que l’on rentre en contact avec un autre système, le principe de contamination officie. Un simple regard suffit. Un souffle. Une molécule. L’individu devient un champ de données exploitables. Le but, on le connaît : peaufiner la "magic box" qui saura lutter contre l’ennui, maladie des civilisations de loisirs, des civilisations en général.

Car l’ennui n’existe pas sauf en publicité : inventé par celle-ci pour forger maladroitement des postures iniques, transmises à l’individu passif, l’on ne s’ennuiera qu’en stoppant le jeu de la révolution permanente.

Devenir un citoyen adulte, rusé, intègre et libre face aux producteurs de camelotes mondialisantes et démoralisantes, ennuyeuses et coûteuses, doit devenir le corpus général duquel se nourrit notre nouveau système de vie.

Nous devons tout faire pour empêcher par exemple l’utilisation des corps dans un devenir cannibale de l’homme : mon corps est à moi, mes productions corporelles aussi, mes membres, mes organes, mon ADN itou. Mon corps n’est pas une usine à jouir mais un espace de jeux et de séduction. Mon ADN n’est pas manipulable impunément. Je me lève et je me tire de côté afin d’échapper aux classifications et aux typologies, aux numéros et aux rangs d’oignons. Je ne veux pas pleurer : l’eau est gratuite, le soleil est gratuit, se déplacer est gratuit.

Copyright free sur les biens fondamentaux de l’Univers.

P.-S.

La totalité de cet essai a été publié aux éditions Sens et Tonka.

Première publication sur la Revue des ressources en Septembre 2002.

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