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Dans la débine à Paris et à Londres 

mercredi 7 septembre 2011, par George Orwell

 Postamour - 8 [1]. Il s’agit ici de la libre traduction d’un chapitre du livre de George Orwell, Down and Out in London and Paris. En cas de contresens, n’hésitez pas à laisser un message pour permettre des corrections...
 Pourquoi Dans la débine [2] à Paris et à Londres plutôt que Dans la dèche à Paris et à Londres [3], où d’autres ont carrément extrapolé La vache enragée [4] ? Parce que : si le texte anglophone est aujourd’hui dans le domaine public, ses traductions d’éditeur ne le sont pas, même si nul ne peut empêcher quiconque de produire une nouvelle traduction du texte original. En outre, attribuer à l’un des titres de ces livres publiés une traduction externe serait mensonger.
 J’ai donc attribué cet article au titre associant le mot inédit "débine", plutôt que "dèche", d’un livre potentiel qui n’existe pas, excepté le chapitre traduit (mieux vaut une approche qui se déclare approximative, qu’aucune) que je vous livre sans honte, parce que toute traduction professionnelle du même chapitre intégralement cité aurait supposé un long parcours du combattant dans les boîtes d’email des traducteurs et des éditeurs, pour obtenir une autorisation gratuite improbable concernant tant de signes en plusieurs pages — au-delà de la longueur autorisée des citations et des conventions ordinaires des éditeurs et des auteurs.

Il s’agit avant tout du vécu critique propre de l’auteur pendant son séjour d’un an et demi à Paris, depuis le printemps de 1928, lorsque dépourvu de ressources à l’automne de 1929, les cours d’anglais étant insuffisants, il va travailler à la plonge, dans un hôtel chic de la rue de Rivoli. Les vœux ici sont que cette fenêtre donne au lecteur le désir de se procurer l’une ou les deux traductions d’éditeur qui existent dans le commerce, pour découvrir en français ce livre autobiographique et réfléchi d’Orwell, dans l’intégrité actuelle de sa force logique, révoltée et revendicative, face au monde d’il y aura bientôt un siècle.

 Pour des revenus conférant au seuil de pauvreté les tâches ouvrières auxquelles Orwell a été soumis existent encore aujourd’hui dans les caves des restaurants parisiens ; même si les machines ont supprimé l’écouvillonnage manuel, d’autres tâches absurdes les remplacent, et bien sûr qui s’y trouve, parmi lesquels des étudiants, est un roi par rapport aux demandeurs d’emploi ou ceux n’ayant pas le statut d’en réclamer, qui finissent par habiter sur les trottoirs, abrégeant leur vie.

 Beaucoup moins pauvre à Paris, hier. Les députés ont voté à l’appel du gouvernement une mesure de rigueur, une taxation sur les résidences secondaires. Quand on sait qu’elles vont de la cabane prolétaire sur des friches ferroviaires, à quelques kilomètres de la concentration urbaine polluée, pour faire respirer les marmots le dimanche, au manoir ou même au palais en France (et à l’étranger où elles ne relèvent que de la fiscalité locale), alors on peut aigre-sourire en apprenant que seules les propriétés depuis plus de trente ans seront épargnées de cette charge... Si ce n’est pas une loi de classe, ségrégationniste du statut économique et social, de l’âge, des ressources, etc... patrimoniale et non vitale, alors qu’on m’explique autrement pourquoi la majorité régnante est obscène.

à Paris, le 7 septembre 2011, A. G. C.



Dans la débine à Paris et à Londres

Chapitre XXII

Pour ce que ça vaut, je voudrais donner mes impressions sur la vie d’un PLONGEUR [5] à Paris. Quand on y pense, c’est étrange que des milliers de personnes dans une grande ville moderne doivent passer leurs heures d’éveil à écouvillonner les assiettes dans la chaleur des trous souterrains. La question que je soulève est pourquoi cette vie continue-t-elle, à quoi sert-elle, ou encore qui désire qu’elle se poursuive, et pourquoi je ne prends pas l’attitude rebelle simple du FAINÉANT. J’essaye de considérer la signification sociale de la vie d’un PLONGEUR.

Je pense qu’on devrait commencer par dire que le PLONGEUR est un des esclaves du monde moderne. Non qu’il y ait moindrement besoin de se lamenter sur lui, car il est mieux loti que beaucoup d’ouvriers, encore qu’il ne soit pas plus libre que s’il était acheté et vendu. Son travail est servile et sans art ; il est payé juste assez pour se maintenir en vie ; être renvoyé fait ses seules vacances. Il est coupé du mariage, ou, s’il se marie, sa femme doit travailler aussi. Excepté par un heureux hasard, cette vie est sans issue, sauf dans une prison. En ce moment, il y a des hommes titulaires d’un diplôme universitaire qui nettoient des assiettes pendant dix ou quinze heures par jour à Paris. On ne peut pas dire que ce soit une simple faiblesse de leur part, car un homme faible ne peut pas être PLONGEUR ; ils ont tout simplement été piégés par une routine qui rend impossible de penser. Si les PLONGEURS pensaient après tout, ils auraient depuis longtemps formé un syndicat et se seraient mis en grève pour un meilleur traitement. Mais ils ne pensent pas, parce qu’ils n’ont pas de loisir pour cela ; leur vie a fait d’eux des esclaves.

La question est : pourquoi cet l’esclavage continue-t-il ? Les gens ont une façon de tenir pour acquis que tout travail soit fait dans un but sain. Ils voient d’autres personnes faire un travail désagréable, et admettons qu’ils résolvent les choses en se disant que travailler soit nécessaire. Extraire le charbon, par exemple, c’est travailler dur, mais nécessaire — il faut avoir du charbon. Travailler dans les égouts est désagréable, mais il faut que quelqu’un travaille dans les égouts. Et de même concernant le travail du PLONGEUR. Certaines personnes doivent se nourrir dans les restaurants, aussi d’autres personnes doivent frotter les assiettes pendant 80 heures par semaine. C’est l’œuvre de la civilisation, donc incontestable. Considérer ce point vaut la peine.

Le travail du PLONGEUR est-il vraiment nécessaire à la civilisation ? Nous avons le sentiment qu’un travail dur et désagréable soit « honnête », ainsi nous avons fait une sorte de fétiche du travail manuel. Nous voyons un homme abattre un arbre, et nous nous rassurons qu’il réponde à un besoin social, simplement parce qu’il utilise ses muscles ; il ne nous vient pas à l’idée qu’il puisse seulement abattre un bel arbre pour faire place à une statue hideuse. Je crois qu’il en va de même du PLONGEUR. Il gagne son pain à la sueur de son front, mais il ne s’ensuit pas qu’il fasse quelque chose d’utile, il peut ne s’agir que de la fourniture d’un luxe qui, très souvent, n’en est pas un.

Pour exemple de ce que je veux dire par luxes qui ne sont pas des luxes, prenons des cas extrêmes tels qu’on les connaît peu en Europe. Voyez un indien tireur de rickshaw, ou un poney de gharry cab. Dans n’importe quelle ville d’Extrême-Orient il y a des tireurs de pousse-pousses par centaines [6], misérables noirs [7] qui pèsent huit cailloux, vêtus de pagnes. Certains d’entre eux sont malades ; certains d’entre eux ont cinquante ans. Pendant des milles entiers, ils trottent sous le soleil ou la pluie, tête baissée, tirant les manches, la sueur dégoulinant de leurs moustaches grises. Quand ils vont trop lentement le passager les traite de BAHINCHUT [8]. Ils gagnent trente ou quarante roupies par mois, et la toux de leurs poumons après quelques années. Les poneys gharry sont décharnés, marchandises trompeuses qui ont été vendues bon marché comme marquant peu de travail derrière eux. Leur maître considère le fouet comme un substitut pour la nourriture. Leur travail s’exprime dans une sorte d’équation : — le fouet plus la nourriture comme énergie ; elle est généralement d’environ soixante pour cent fouet et quarante pour cent alimentaire. Parfois leurs cous sont cerclés d’une plaie énorme, en sorte qu’ils tirent toute la journée sur leur chair crue. Cependant, il est toujours possible de les faire travailler ; cela se réduit à la question de les battre si durement que leur douleur postérieure dépasse leur douleur frontale. Après quelques années, même le fouet perd sa vertu, et le poney va chez l’équarrisseur. Ce sont d’inutiles assignations au travail, car il n’y a pas de besoin réel de gharry cabs ni de rickshaws ; ils n’existent que parce les orientaux considèrent vulgaire de marcher. Ce sont des luxes, et, selon qui le sait, y étant monté, de très pauvres luxes. Cela permet une petite somme de commodités, qui ne sont pas en mesure d’équilibrer la souffrance des hommes et des animaux.

De même avec le PLONGEUR. Il est roi par rapport à un tireur de rickshaw ou un poney de gharry, mais son cas est analogue. Il est l’esclave d’un hôtel ou d’un restaurant, et son esclavage est plus ou moins inutile. Car, après tout, où est le besoin RÉEL de grands hôtels et de restaurants chics ? Ils sont censés fournir le luxe, mais en réalité ils fournissent seulement une imitation à bon marché, de mauvaise qualité. Presque tout le monde déteste ces hôtels. Certains restaurants sont mieux que d’autres, mais il est impossible d’avoir dans un restaurant un repas aussi bon qu’il soit possible dans une maison privée pour la même dépense. Aucun doute que les hôtels et les restaurants doivent exister, mais qu’ils soient obligés de réduire en esclavage des centaines de personnes n’est pas nécessaire. Ce qui fait le travail en soi n’est pas un objet essentiel, ce sont les ruses censées représenter le luxe. L’élégance, comme on dit, signifie simplement en puissance que le personnel travaille plus et les clients payent plus ; personne n’en bénéficie sauf le propriétaire, qui au prix actuel s’achèterait une villa en première ligne à Deauville. Essentiellement, un hôtel « chic » est un endroit où cent personnes travaillent dur comme des diables afin que deux cents autres puissent payer le prix fort pour des choses qu’ils ne veulent pas vraiment. Si le non-sens des hôtels et des restaurants cessait, le travail étant simplement fait avec efficacité, les PLONGEURS pourraient souvent travailler six ou huit heures par jour, au lieu de quinze.

Supposons d’admettre que le travail du PLONGEUR soit plus ou moins inutile. Alors vient la question : pourquoi veut-on qu’il continue à travailler ? J’essaye d’aller au-delà de la cause économique immédiate et de considérer quel plaisir peut donner à quelqu’un de penser à des hommes dont la vie est d’écouvillonner des assiettes. Là, il n’y a aucun doute que des gens — des gens confortablement placés — éprouvent vraiment un plaisir à de telles pensées. Quand un esclave ne dort pas, dit Marcus Gato, il devrait être en train de travailler. Que son travail soit nécessaire ou non n’est pas grave, il doit travailler, parce que le travail est bon en soi — du moins pour les esclaves. Ce sentiment survit toujours et a accumulé des montagnes de corvées inutiles.

Je crois que cet instinct pour perpétuer le travail inutile est simplement, à la base, la crainte de la foule. La foule tels de bas animaux (selon la pensée courante) qui seraient dangereux s’ils étaient oisifs ; il est plus sûr de les tenir trop occupés pour penser. Un homme riche auquel il arrive d’être intellectuellement honnête, s’il est interrogé sur l’amélioration des conditions de travail, dit couramment quelque chose comme ceci :

« Nous savons que la pauvreté est désagréable ; en fait, puisqu’elle est à bonne distance, nous aimons assez nous torturer avec la pensée de ses désagréments. Mais ne comptez pas sur nous pour faire quelque chose. Nous sommes désolés pour vous, les classes inférieures, de même que nous sommes désolés pour un chat qui a la gale, mais nous allons nous battre comme des diables contre toute amélioration de votre condition. Nous pensons que vous êtes beaucoup plus sûrs tels que vous vous trouvez. L’état ​​actuel des choses nous convient, et nous n’allons pas prendre le risque, même d’une heure supplémentaire par jour, de vous mettre en liberté. Alors, chers frères, puisque vous devez évidemment suer pour payer nos voyages en Italie, suez et soyez damnés. »

Ceci est particulièrement l’attitude des gens cultivés et intelligents ; on peut en lire la substance dans cent essais. Très peu de personnes cultivées ont moins que (ce qu’elles disent) quatre cents livres par an, et naturellement elles côtoient les riches, parce qu’elles imaginent que n’importe quelle liberté concédée au pauvre serait une menace à leur propre liberté. En marxien lamentable prévoyant l’utopie comme alternative, l’homme éduqué préfère garder les choses comme elles sont. Peut-être qu’il n’aime pas beaucoup son riche camarade, mais il suppose que même le plus vulgaire d’entre eux est moins hostile à ses plaisirs, cette sorte de personnes plus que le pauvre, et qu’il ferait mieux de se tenir près d’elles. C’est cette crainte d’une foule censément dangereuse qui rend presque tous les gens intelligents conservateurs dans leur opinion.

La crainte de la foule est une crainte superstitieuse. Elle est basée sur l’idée qu’il y a une certaine différence fondamentale, mystérieuse, entre riche et pauvre, comme s’ils étaient deux races différentes, comme des Noirs et des hommes blancs. Mais en réalité il n’y a aucune différence de cet ordre. La masse des riches et des pauvres est différenciée par leurs revenus et rien d’autre, et le millionnaire moyen n’est que le lave-vaisselle moyen revêtu d’un costume neuf. Changez de place, et jouez le dandy, quelle est la justice, lequel est le voleur ? Chacun s’étant mélangé sur un pied d’égalité avec le pauvre sait très bien cela. Mais le problème est que les gens intelligents, cultivés, des gens dont on devrait attendre qu’ils aient des opinions libérales, ne se mélangent jamais avec les pauvres. Qu’est-ce que la majorité des gens instruits pourrait attendre de connaître la pauvreté ? Dans mon exemplaire des poésies de Villon l’éditeur a pensé qu’actuellement il était nécessaire d’expliquer par une note de bas de page le vers « ET PAIN NE VOIENT QU’AUX FENESTRES » ; ainsi même la faim est à distance de l’expérience de l’homme instruit.

De cette ignorance résulte tout à fait naturellement une crainte superstitieuse de la foule. L’homme éduqué imagine une horde de sous-hommes, ne désirant un jour de congé que pour piller sa maison, brûler ses livres, et le faire travailler à garder une machine ou balayer les toilettes. « N’importe quoi », pense-t-il, « n’importe quelle injustice, plus tôt que cette foule libre. » Il ne voit pas, puisqu’il n’y a aucune différence entre la masse des riches et des pauvres, qu’il n’est pas question de lâcher la foule. La foule est libre de fait et, dès à présent — dans la forme d’hommes riches — a recours à son pouvoir pour monter d’énormes rouages de l’ennui, tels les hôtels « chics ».

Pour résumer. Un PLONGEUR est un esclave et un esclave gaspillé, qui fait un travail stupide et en grande partie inutile. Il est gardé au travail, en fin de compte, à cause du vague sentiment qu’il serait dangereux s’il avait des loisirs. Et les gens instruits, qui devraient être de son côté, consentent au processus, parce qu’ils ne savent rien de lui et par conséquent ils ont peur de lui. Je dis cela du PLONGEUR parce j’ai pu suivre son cas ; cela pourrait également s’appliquer à d’innombrables autres sortes d’ouvriers. Ce ne sont que mes réflexions propres sur le fond de la vie d’un PLONGEUR, faites sans référence aux questions économiques immédiates, et sans doute sont-elles largement des platitudes. Je les présente comme un échantillon des pensées qui se sont mises dans ma tête en travaillant dans un hôtel.

Dans la débine à Paris et à Londres, Chapitre XXII
George Orwell
Traduction volontaire (sous réserve technique)
A. G. C. pour La RdR



P.-S.

 

Down and Out in Paris and London

XII

For what they are worth I want to give my opinions about the life of a Paris PLONGEUR. When one comes to think of it, it is strange that thousands of people in a great modem city should spend their waking hours swabbing dishes in hot dens underground. The question I am raising is why this life goes on—what purpose it serves, and who wants it to continue, and why I am not taking the merely rebellious, FAINEANT attitude. I am trying to
consider the social significance of a PLONGEUR’S life.

I think one should start by saying that a PLONGEUR is one of the
slaves of the modem world. Not that there is any need to whine over him,
for he is better off than many manual workers, but still, he is no freer
than if he were bought and sold. His work is servile and without art ; he is
paid just enough to keep him alive ; his only holiday is the sack. He is cut
off from marriage, or, if he marries, his wife must work too. Except by a
lucky chance, he has no escape from this life, save into prison. At this
moment there are men with university degrees scrubbing dishes in Paris for
ten or fifteen hours a day. One cannot say that it is mere idleness on
their part, for an idle man cannot be a PLONGEUR ; they have simply been
trapped by a routine which makes thought impossible. If PLONGEURS thought at all, they would long ago have formed a union and gone on strike for better treatment. But they do not think, because they have no leisure for
it ; their life has made slaves of them.

The question is, why does this slavery continue ? People have a way of
taking it for granted that all work is done for a sound purpose. They see
somebody else doing a disagreeable job, and think that they have solved
things by saying that the job is necessary. Coal-mining, for example, is
hard work, but it is necessary—we must have coal. Working in the sewers
is unpleasant, but somebody must work in the sewers. And similarly with a
PLONGEUR’S work. Some people must feed in restaurants, and so other people must swab dishes for eighty hours a week. It is the work of civilization, therefore unquestionable. This point is worth considering.

Is a PLONGEUR’S work really necessary to civilization ? We have a
feeling that it must be ’honest’ work, because it is hard and disagreeable,
and we have made a sort of fetish of manual work. We see a man cutting down a tree, and we make sure that he is filling a social need, just because he uses his muscles ; it does not occur to us that he may only be cutting down a beautiful tree to make room for a hideous statue. I believe it is the
same with a PLONGEUR. He earns his bread in the sweat of his brow, but it
does not follow that he is doing anything useful ; he may be only supplying
a luxury which, very often, is not a luxury.

As an example of what I mean by luxuries which are not luxuries, take
an extreme case, such as one hardly sees in Europe. Take an Indian rickshaw
puller, or a gharry pony. In any Far Eastern town there are rickshaw
pullers by the hundred, black wretches weighing eight stone, clad in
loin-cloths. Some of them are diseased ; some of them are fifty years old.
For miles on end they trot in the sun or rain, head down, dragging at the
shafts, with the sweat dripping from their grey moustaches. When they go
too slowly the passenger calls them BAHINCHUT. They earn thirty or forty
rupees a month, and cough their lungs out after a few years. The gharry
ponies are gaunt, vicious things that have been sold cheap as having a few
years’ work left in them. Their master looks on the whip as a substitute
for food. Their work expresses itself in a sort of equation—whip plus
food equals energy ; generally it is about sixty per cent whip and forty per
cent food. Sometimes their necks are encircled by one vast sore, so that
they drag all day on raw flesh. It is still possible to make them work,
however ; it is just a question of thrashing them so hard that the pain
behind outweighs the pain in front. After a few years even the whip loses
its virtue, and the pony goes to the knacker. These are instances of
unnecessary work, for there is no real need for gharries and rickshaws ;
they only exist because Orientals consider it vulgar to walk. They are
luxuries, and, as anyone who has ridden in them knows, very poor luxuries.
They afford a small amount of convenience, which cannot possibly balance
the suffering of the men and animals.

Similarly with the PLONGEUR. He is a king compared with a rickshaw
puller or a gharry pony, but his case is analogous. He is the slave of a
hotel or a restaurant, and his slavery is more or less useless. For, after
all, where is the REAL need of big hotels and smart restaurants ? They are
supposed to provide luxury, but in reality they provide only a cheap,
shoddy imitation of it. Nearly everyone hates hotels. Some restaurants are
better than others, but it is impossible to get as good a meal in a
restaurant as one can get, for the same expense, in a private house. No
doubt hotels and restaurants must exist, but there is no need that they
should enslave hundreds of people. What makes the work in them is not the
essentials ; it is the shams that are supposed to represent luxury.
Smartness, as it is called, means, in effect, merely that the staff work
more and the customers pay more ; no one benefits except the proprietor, who will presently buy himself a striped villa at Deauville. Essentially, a
’smart’ hotel is a place where a hundred people toil like devils in order
that two hundred may pay through the nose for things they do not really
want. If the nonsense were cut out of hotels and restaurants, and the work
done with simple efficiency, PLONGEURS might work six or eight hours a day
instead often or fifteen.

Suppose it is granted that a PLONGEUR’S work is more or less useless.
Then the question follows, Why does anyone want him to go on working ? I am trying to go beyond the immediate economic cause, and to consider what
pleasure it can give anyone to think of men swabbing dishes for life. For
there is no doubt that people—comfortably situated people—do find a
pleasure in such thoughts. A slave, Marcus Gato said, should be working
when he is not sleeping. It does not matter whether his work is needed or
not, he must work, because work in itself is good—for slaves, at least.
This sentiment still survives, and it has piled up mountains of useless
drudgery.

I believe that this instinct to perpetuate useless work is, at bottom,
simply fear of the mob. The mob (the thought runs) are such low animals
that they would be dangerous if they had leisure ; it is safer to keep them
too busy to think. A rich man who happens to be intellectually honest, if
he is questioned about the improvement of working conditions, usually says
something like this :

’We know that poverty is unpleasant ; in fact, since it is so remote,
we rather enjoy harrowing ourselves with the thought of its unpleasantness.
But don’t expect us to do anything about it. We are sorry for you lower
classes, just as we are sorry for a, cat with the mange, but we will fight
like devils against any improvement of your condition. We feel that you are
much safer as you are. The present state of affairs suits us, and we are
not going to take the risk of setting you free, even by an extra hour a
day. So, dear brothers, since evidently you must sweat to pay for our trips
to Italy, sweat and be damned to you.’

This is particularly the attitude of intelligent, cultivated people ;
one can read the substance of it in a hundred essays. Very few cultivated
people have less than (say) four hundred pounds a year, and naturally they
side with the rich, because they imagine that any liberty conceded to the
poor is a threat to their own liberty. Foreseeing some dismal Marxian
Utopia as the alternative, the educated man prefers to keep things as they
are. Possibly he does not like his fellow-rich very much, but he supposes
that even the vulgarest of them are less inimical to his pleasures, more
his kind of people, than the poor, and that he had better stand by them. It
is this fear of a supposedly dangerous mob that makes nearly all
intelligent people conservative in their opinions.

Fear of the mob is a superstitious fear. It is based on the idea that
there is some mysterious, fundamental difference between rich and poor, as
though they were two different races, like Negroes and white men. But in
reality there is no such difference. The mass of the rich and the poor are
differentiated by their incomes and nothing else, and the. average
millionaire is only the average dishwasher dressed in a new suit. Change
places, and handy dandy, which is the justice, which is the thief ? Everyone
who has mixed on equal terms with the poor knows this quite well. But the
trouble is that intelligent, cultivated people, the very people who might
be expected to have liberal opinions, never do mix with the poor. For what
do the majority of educated people know about poverty ? In my copy of
Villon’s poems the editor has actually thought it necessary to explain the
line ’NE PAIN NE VOYENT QU’AUX FENESTRES’ by a footnote ; so remote is even hunger from the educated man’s experience.

From this ignorance a superstitious fear of the mob results quite
naturally. The educated man pictures a horde of submen, wanting only a
day’s liberty to loot his house, burn his books, and set him to work
minding a machine or sweeping out a lavatory. ’Anything,’ he thinks, ’any
injustice, sooner than let that mob loose.’ He does not see that since
there is no difference between the mass of rich and poor, there is no
question of setting the mob loose. The mob is in fact loose now, and—in
the shape of rich men—is using its power to set up enormous treadmills
of boredom, such as ’smart’ hotels.

To sum up. A PLONGEUR is a slave, and a wasted slave, doing stupid and
largely unnecessary work. He is kept at work, ultimately, because of a
vague feeling that he would be dangerous if he had leisure. And educated
people, who should be on his side, acquiesce in the process, because they
know nothing about him and consequently are afraid of him. I say this of
the PLONGEUR because it is his case I have been considering ; it would apply
equally to numberless other types of worker. These are only my own ideas
about the basic facts of a PLONGEUR’S life, made without reference to
immediate economic questions, and no doubt largely platitudes. I present
them as a sample of the thoughts that are put into one’s head by working in
an hotel.

George Orwell

Chapitre XXII intégral
extrait de Down and Out in London and Paris
Source Project Gutenberg Australia

Notes

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POSTAMOUR : mot viatique n°1276 qui indexe les 10 articles de la ligne thématique du 29 août au 11 septembre, fédérée par l’éditorial "Des femmes qui chantent pour un homme", et clôturant le cycle bimensuel de l’été 2011 de La RdR (La Revue des Ressources). A. G. C.

Keyword # 1276 to index listing the 10 thematic articles published since August 29th till September 11th, framed by the editorial " Women who sing for a man ", which close the semimonthly set of the 2011 Summer in The RdR (La Revue des Ressources). A. G. C.

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?mot1276


http://translate.google.com/

http://www.reverso.net/text_translation.aspx?lang=EN


POSTAMOUR — INDEX :

10

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Kneale, Rudolph Cartier

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http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article2107

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Japon martyre du nucléaire

Le 8 septembre 2011 par Hiroaki Zakōji

Postamour. Pièce musicale. Le Japon pour mémoire de 2011. Hiroshima, Nagasaki, Fukushima Hommage à Hiroaki Zakōji Piano piece I, Op.28, (Basel, 7/5/1984) mp3 — cliquez dans l’image Hiroaki (...)

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Dans la débine à Paris et à Londres

Le 7 septembre 2011 par George Orwell

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Le 5 septembre 2011 par Jacques Prévert, Jean de la Bruyère, Victor Hugo

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5

Du Livre du bagne de Louise Michel à L’ordre et la morale de

Mathieu Kassovitz

Le 3 septembre 2011 par Louise Michel, Mathieu Kassovitz

Postamour. Un ebook en streaming + un teaser vidéo. Afin de composer un diptyque mixte avec Souvenirs de la maison des morts, autobiographie de Dostoïevski, envoyé au bagne pour des raisons politiques sous le règne du tsar Nicholas II, (...)

Suite...

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article2101

4

Le nez de DSK, s’il eût été plus court

Le 2 septembre 2011 par Thierry Messan

Postamour. Citation intégrale d’un article externe. « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » Comme la légendaire beauté de Cléopâtre est remise en cause ces jours-ci, certains (...)

Suite...

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article2094

3

Sur la singularité de Carmilla

Le 1er septembre 2011 par Aliette Guibert Certhoux

Postamour. Rediffusion 2011 d’un article de La RdR + ebook. On propose une hypothèse de l’actualité d’un vampire et de sa fiction, au titre éponyme Carmilla, nouvelle post-gothique par l’écrivain irlandais (...)

Suite...

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1475

2

Souvenirs de la maison des morts

Le 31 août 2011 par Charles Neyroud, Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski

Postamour. Un ebook téléchargeable en word. Ce n’est ni le crématorium ni le temple la mosquée ou l’église, mais le bagne. Bagne tzariste sibérien anticipant étrangement le goulag stalinien au travail rédempteur (...)

Suite...

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article2098

1

Des femmes qui chantent pour un homme

Le 29 août 2011 par Aliette Guibert Certhoux

Postamour. Éditorial post-estival. Deux vidéos. Deux femmes glorieuses chantent pour un homme ; les mains en visière protégeant leurs yeux face aux sunlights, elles cherchent à repérer le leur, assis en (...)

Suite...

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article2093

.

[2Débine [debin] nom féminin
étym. 1808 ◊ de débiner v ■ Fam. et vieilli > Misère, pauvreté ; fam. dèche, purée. Être, tomber dans la débine. (Petit Robert en ligne, 2008).

[3Titre de l’ouvrage traduit par Michel Pétris, éd. Ivrea, Paris, 1993 ; coll. Domaine étranger, éd. 10x18, Paris, 2003.

[4Titre de l’ouvrage traduit de l’anglais par R. N. Raimbault et Gwen Gilbert, préfacé par Panaït Istrati, coll. Du monde entier, éd. de la nrf, Gallimard, Paris, 1957.

[5Ce mot, ainsi que tous les mots signalés en majuscules par l’auteur, pour désigner des idiomes régionaux des différents pays évoqués, est en français — comme dans d’autres langues, correspondant à d’autres usages — dans le texte original anglophone.

[6Véhicules de type pousse-pousse couramment appelés en Inde rickshaws ; ils présentent une cabine dans laquelle s’installent le ou les passagers ; autrefois tirés par des hommes — aujourd’hui conducteurs de vespas couvertes détenant une ou deux places à l’arrière.

[7Les tireurs de rickshaw étaient principalement des coolies tamouls, à la peau sombre (venus de Ceylan).

[8Nom d’un plat végétarien épicé cachemiri, populaire parmi les hindous, composé de choux fleur d’épinard et de pomme de terre.

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