Roule, roule, n’arrête jamais ta course, chaque tour de roue t’emporte loin de toi.
Ceci n’est pas une automobile. Les formes sous la houppelande sont parlantes mais sans les roues qui dépassent un brin, comment serait-on sûr ? Est-ce que ça roule une voiture si bien déguisée ? Justement, la voiture ne roule pas, elle repose. Son maître, comme on dit d’un propriétaire de chien, est parti au loin, il a franchi des routes, des montagnes, il a connu des pays, des ambiances, des guerres. Pendant ce temps la voiture reposait. De temps à autre il revenait lui dire bonjour, lui flatter l’aile, peut-être même l’écouter respirer, stéthoscope en main.
Ou encore la voiture serait la seule richesse du clan, aussi aurait-elle droit à tous les égards. L’emmener sur les routes, pas question, ou juste pour un petit tour de piste. L’essentiel est de la protéger des cacas d’oiseaux et autres souillures, peut-être même des regards indiscrets. Pudeur oblige, seuls les initiés auront le droit de voir l’objet, de savoir ce qu’elle a dans le ventre.
Dès la première photo, voiture habillée de bleu contre un mur peint en rose vif, on remarque l’ironie de la composition. Ici les couleurs claquent, provocantes, annulant toute référence, sinon les quelques lignes en arabe sur le mur. Sur la photo suivante, une tenture répercute dans son balancement le drapé de la housse qui habille la voiture. Etrange, cette voiture installée sur un sol caillouteux, dans un lieu sans nom et sans âme, avec pour seule trace de vie ladite tenture sur piquets de bois, ballotée par le vent, alors que la housse bleue qui recouvre la voiture est toute pimpante, avec ses motifs rouges.
Rayures en écho, teintes contrastées, la voiture occupe chaque fois l’espace et l’avale. Signe des temps ? Plus le décor est pauvre, maisons croulantes, murs délabrés, plus la voiture sous sa bâche de couleur semble défier le sort, jusqu’à ce modèle, sans queue ni tête, et même sans roues apparentes, emmailloté dans une sorte de patchwork aux couleurs vives, et posé là, en pleine ville comme un animal de foire. A chacun sa bétaillère !
J’apprends qu’il s’agit d’un véritable reportage en Egypte. Les voitures ainsi bâchées existent bel et bien dans leur contexte réel. Nul besoin de fiction, nous sommes dans l’art brut. Le récit de chaque photo en est d’autant plus fort.
Marie-Louise Audiberti