La Revue des Ressources
Accueil > Masse critique > Photographie > Jean-Michel Delage / Symphonie

Jean-Michel Delage / Symphonie 

mercredi 15 octobre 2008, par Marie-Louise Audiberti

Roule, roule, n’arrête jamais ta course, chaque tour de roue t’emporte loin de toi.

© Jean-Michel Delage

Ceci n’est pas une automobile. Les formes sous la houppelande sont parlantes mais sans les roues qui dépassent un brin, comment serait-on sûr ? Est-ce que ça roule une voiture si bien déguisée ? Justement, la voiture ne roule pas, elle repose. Son maître, comme on dit d’un propriétaire de chien, est parti au loin, il a franchi des routes, des montagnes, il a connu des pays, des ambiances, des guerres. Pendant ce temps la voiture reposait. De temps à autre il revenait lui dire bonjour, lui flatter l’aile, peut-être même l’écouter respirer, stéthoscope en main.
Ou encore la voiture serait la seule richesse du clan, aussi aurait-elle droit à tous les égards. L’emmener sur les routes, pas question, ou juste pour un petit tour de piste. L’essentiel est de la protéger des cacas d’oiseaux et autres souillures, peut-être même des regards indiscrets. Pudeur oblige, seuls les initiés auront le droit de voir l’objet, de savoir ce qu’elle a dans le ventre.

Dès la première photo, voiture habillée de bleu contre un mur peint en rose vif, on remarque l’ironie de la composition. Ici les couleurs claquent, provocantes, annulant toute référence, sinon les quelques lignes en arabe sur le mur. Sur la photo suivante, une tenture répercute dans son balancement le drapé de la housse qui habille la voiture. Etrange, cette voiture installée sur un sol caillouteux, dans un lieu sans nom et sans âme, avec pour seule trace de vie ladite tenture sur piquets de bois, ballotée par le vent, alors que la housse bleue qui recouvre la voiture est toute pimpante, avec ses motifs rouges.

Rayures en écho, teintes contrastées, la voiture occupe chaque fois l’espace et l’avale. Signe des temps ? Plus le décor est pauvre, maisons croulantes, murs délabrés, plus la voiture sous sa bâche de couleur semble défier le sort, jusqu’à ce modèle, sans queue ni tête, et même sans roues apparentes, emmailloté dans une sorte de patchwork aux couleurs vives, et posé là, en pleine ville comme un animal de foire. A chacun sa bétaillère !

J’apprends qu’il s’agit d’un véritable reportage en Egypte. Les voitures ainsi bâchées existent bel et bien dans leur contexte réel. Nul besoin de fiction, nous sommes dans l’art brut. Le récit de chaque photo en est d’autant plus fort.

Marie-Louise Audiberti

P.-S.

La série les « Egyptiennes » est le premier travail documentaire à dimension plastique de Jean-Michel Delage. Elle présente des voitures recouvertes de bâches. Ces bâches découpées par leurs propriétaires dans des morceaux de tissus aux couleurs et aux motifs différents ont pour rôle de protéger les voitures de la poussière et des éraflures. Ainsi parées, les voitures ne disent plus rien du niveau social de leurs propriétaires et deviennent des objets ludiques, comme relevant d’un art urbain spontané.

Né en 1964, Jean-Michel Delage vit en région parisienne. Journaliste, photographe et réalisateur, il travaille pour la presse écrite en France et à l’étranger, ainsi que pour la télévision. Sa pratique évolue au fil des sujets qu’il aborde (la santé, l’immigration, les gitans, le tourisme), témoignant de son ouverture et de sa curiosité. Après avoir travaillé l’information sur des médiums différents, il expérimente aujourd’hui la photographie dans une direction plus artistique que journalistique, lui conservant toutefois une dimension documentaire. La série présentée est le premier travail effectué allant dans cette nouvelle direction. Depuis, il s’est engagé dans deux projets : avec ses « Portraits dyonisiens », il photographie la population de Saint-Denis dans son studio ambulant, il travaille parallèlement avec des slamers.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter