I
Manifeste
Le 11 août 2010
AUX MOYENS D’INFORMATION HONNÊTES
A L’AUTRE CAMPAGNE
AUX ORGANISATIONS SOCIALES ET DES DROITS HUMAINS
A LA DIGNE NATION TRIQUI
Compañeras, compañeros, les femmes triquis de San Juan Copala s’adressent à vous afin que la douleur que le puissant destine aux peuples indiens de ce pays soit connue par notre voix. Aujourd’hui, nous voulons dire aussi à ces messieurs de l’Argent que nous nous rebellons, que nous nous soulevons et que nous les accusons avec colère. Que le monde sache que, dans ce pays, nous, les peuples indiens, sommes en résistance : le mauvais gouvernement, obéissant aux ordres du grand capital, a décidé d’anéantir nos peuples pour s’approprier la grande richesse naturelle, que, pendant des siècles, nous avons su conserver pour le bien de l’humanité ; c’est là, le véritable motif de la violence qu’aujourd’hui nous subissons, nous, les Triqui ; c’est pour cette raison que, depuis ces palais de verre où servent aujourd’hui les gouvernements de notre Etat, part l’ordre criminel de nous attaquer avec des armes à forte puissance de feu, peu importe que nous constituions, nous, les femmes, la majorité des victimes.
Nous, les femmes de Copala, sommes les plus touchées par la violence, car outre le fait d’être épouses, sœurs, filles, mères, nous sommes celles qui marchons pendant des heures dans la montagne en transportant des vivres afin que notre peuple ne meure pas de faim ; pour cette raison nous voulons leur dire aux gens humbles et simples de ce pays et en particulier aux femmes vaillantes de l’Oaxaca que nous, les Triqui, avons décidé de sortir dans les rues pour en appeler à votre solidarité car pour être indigènes et pour être femmes, notre douleur est double ; et le mauvais gouvernement au lieu de nous rendre justice est celui qui donne l’ordre que nous soyons massacrées pour le seul fait de résister aux côtés de nos compagnons.
Rien que depuis le 27 avril à ce jour, nous sommes 38 femmes à avoir été agressées pour tenter de défendre la liberté de nous gouverner selon notre histoire et notre culture ; nous savons aussi que dans toute la région bien des nôtres ont été agressées sous prétexte de conflits internes, la femme triqui est transformée en butin de guerre. Aujourd’hui, nous crions YA BASTA ! Que ce soit un « ya basta ! » qui pénètre toute notre région et tout spécialement le cœur de nos sœurs triquis afin que, selon notre coutume, nous prenions en nos mains le destin de nos villages ; nous sommes celles qui pourront avec notre tendresse et notre amour libérer notre peuple du joug de l’étranger, qui, sans connaître notre histoire, s’est consacré depuis des décennies à piétiner notre dignité. Et, disons-le clairement, nous devons aussi nous libérer de ceux qui, étant indigènes, renient leur histoire ou la méconnaissent et louent leur service de tueurs à gages pour massacrer notre peuple. Ceci a été démontré quand, usant du fallacieux prétexte de l’assassinat d’un chef paramilitaire dans notre communauté, des centaines de policiers ont pu cette fois-ci entrer à San Juan Copala. Pourquoi alors la ministre de la justice de l’Etat n’a-elle pas trouvé dangereux d’entrer à Copala ? [1] Comble de cynisme ce furent ces policiers sous le commandement de Jorge Quezada qui ont pris le palais municipal pour le remettre aux paramilitaires de l’UBISORT, et ce furent les balles tirées par des policiers et des paramilitaires qui ont gravement blessé nos compagnes Adela et Selena, âgées de 14 et 17 ans.
Aujourd’hui, en réponse à tant de violence, nous nous installons pour un temps indéfini sur la grande place de la capitale et nous ne nous en retirerons pas. Nous occuperons cette place tant que les conditions ne seront pas réunies dans notre communauté afin que nos compagnons et nos compagnes, qui sont exilés dans notre village, puissent continuer à y vivre. Nous demandons le soutien des compañeros des différentes organisations solidaires ainsi que la vigilance des compañeros des organismes de droits humains non officiels car nous pensons que la persécution dont nous sommes l’objet de la part du mauvais gouvernement peut aussi s’exercer en ce lieu. Nous informerons en permanence de tout ce qui arrivera dans notre région et nous ne nous retirerons que lorsque les criminels qui sèment la douleur dans notre village seront arrêtés et que l’on pourra se déplacer librement à San Juan Copala.
ILS ONT PEUR DE NOUS CAR NOUS N’AVONS PAS PEUR
FEMMES DE SAN JUAN COPALA EN RESISTANCE
II
Mariana
Il n’entrait pas jusqu’à présent dans les mœurs du peuple triqui, pris dans le feu tourbillonnant de la vendetta allumé par le mauvais gouvernement de tirer sur les femmes. Maintenant les jeunes filles ou les jeunes femmes sont abattues, qui osent défier les escadrons de la mort. Quand, au début du mois d’août, les paramilitaires appuyés par une centaine de policiers ont cherché à s’emparer du palais municipal de San Juan Copala, les femmes désarmées ont fait bloc pour les empêcher d’entrer, les policiers et les paramilitaires leur ont tiré dessus. Selena et Adela, les deux sœurs, n’ont pas eu le temps de s’abriter, peut-être ont-elles marqué un temps d’hésitation, un millième de seconde d’incompréhension, Adela, la plus jeune, 14 ans, se trouve paralysée, une balle dans la colonne vertébrale. De l’hôpital d’Oaxaca, elle a été transportée à Mexico dans l’espoir d’une opération chirurgicale, les chirurgiens ne tenteront pas cette opération, trop délicate, alors les Etats-Unis ? Cuba ? L’espoir s’éloigne.
La semaine dernière, Mariana s’est rendue à Copala. Avec un groupe d’une vingtaine de femmes, elle est partie chercher des vivres, au retour elles étaient attendues par des paramilitaires, qui, de l’endroit où ils s’étaient embusqués, firent feu pour leur interdire le passage, ils tiraient, nous dit-elle, à hauteur d’hommes (il serait plus précis de dire, dans ce cas, à hauteur de femmes), dans le but de tuer. Les femmes étaient divisées en trois groupes, un premier groupe a pu passer en courant entre les arbres, le deuxième groupe, dans lequel elle se trouvait, est resté longtemps à mi-pente avant de se glisser furtivement entre les arbres, Mariana nous raconte son aventure d’une voix légèrement passionnée, accentuée parfois par la vigueur d’un souvenir si proche, celui du feulement des balles et de leur impact contre le tronc des arbres. Le troisième groupe, qui se trouvait en haut de la pente, a dû attendre la nuit avant d’oser s’aventurer sur le chemin et les femmes qui le composaient ne sont entrées au village qu’à neuf heures passées du soir.
C’est le quotidien des femmes de Copala quand elles vont faire leurs courses. Leur tort ? Vouloir vivre librement selon leur usage et leur coutume. Leur détermination ? Rester un peuple libre, construisant sa propre histoire. Leur force ? La mémoire.
Mariana est revenue au début de cette semaine avec un groupe de femmes et d’enfants dans le but de participer au plantón, qui s’est installé sous les arcades du Zócalo. Le camion qui les transportait est tombé en panne et elles ont dû passer la nuit à Tlaxiaco, capitale de la Mixteca. A quatre heures du matin, les enfants jouaient dans la rue, elle leur a alors demandé pourquoi ils ne dormaient pas. Ils lui ont répondu qu’il y a si longtemps qu’ils ne jouent plus dehors, qu’ils profitent de l’occasion qui leur est offerte de pouvoir enfin s’amuser librement dans la rue. Quand, dans la matinée, on leur a offert du poulet, ils ont préféré des tortillas avec du sel, les enfants ne changent pas du jour au lendemain leurs habitudes alimentaires !
III
Elles ont repris le palais municipal, les paramilitaires qui l’occupaient ont vite compris qu’ils allaient se trouver isolés et ils ont préféré repartir avec les forces policières, qui, de leur côté, se sont aperçues rapidement qu’elles ne pourraient se maintenir longtemps dans ce village rebelle sans une logistique conséquente.
Bien le bonjour.
Oaxaca le 18 août 2010.
Georges Lapierre
Continuez à faire signer la pétition de soutien !
Notes
[1] La deuxième caravane apportant des vivres à Copala encerclé par les paramilitaires a dû faire demi-tour sous le prétexte avancé par la ministre de la justice qu’elle ne pouvait pas contrôler avec ses policiers les groupes armés qui maintenaient le siège.