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La face cachée du pape François 

Un entretien avec Paul Ariès

mardi 19 avril 2016, par Paul Aries

Question : Vous venez de signer le premier livre critique sur le pape François ou plus exactement sur « l’Eglise du pape François ». Vous expliquez que ce livre n’aurait pas été possible sans le soutien actif des réseaux sud-américains et notamment argentins.

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Paul Ariès : Il est important en effet de renouer avec une critique de l’Eglise alors qu’on assiste à une montée du fait religieux et que les autres langages peinent à exprimer les ressentiments et les espoirs des humains. La gauche comme la science se défilent aujourd’hui devant cette fonction critique et laissent l’Eglise tenir la rue et imposer ses dogmes. Les cathos de gauche sont devenus incapables de tenir un discours critique et reprennent la thèse du bon pape mal conseillé, mal entouré ou simplement empêché d’agir par une Curie qui lui serait opposée. Une Eglise réactionnaire se mordrait les doigts d’avoir choisi un pape devenu subitement par la grâce divine progressiste, social et écolo ! J’aurai aimé participer à cette papamania, mais les faits sont têtus. J’ai toujours revendiqué mon athéisme natif, mais je n’ai jamais considéré que la religion serait uniquement un opium du peuple, bien que l’Eglise, en tant qu’institution me semble être « intrinsèquement perverse ». Elle a toujours pactisé avec les puissants au détriment des peuples. J’ai collaboré depuis trente ans à de nombreuses revues catholiques comme Golias, Relations, revue éditée par les Jésuites du Québec, Lumière et vie, revue dominicaine, je suis même édité au Brésil par les éditions Loyola du nom du fondateur de l’ordre des Jésuites. Ce livre n’aurait pas été possible sans l’aide de multiples réseaux qui n’osent pas, notamment dans l’Eglise, dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas.

Question : Les milieux de gauche croient s’être trouvé un pape en la personne de François… Certains se sont même demandé si ce pontife était « marxiste » et la Curie a dû expliquer qu’il ne l’était pas…

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Paul Ariès : La papamania actuelle dans les milieux de gauche, qui dépasse même ce qu’elle fut lors du court règne de Jean XXIII car la critique du religieux comme aliénation avait encore droit de cité, est d’abord une réponse à la propre crise des gauches mondiales. La gauche aphone croit s’être trouvé un nouveau porte-parole, qui ne dirait pas tout, qui s’arrêterait en chemin, mais irait dans le bon sens. Cette gauche décervelée est devenue l’idiot utile du Vatican. Il ne suffit pas de dire que les pauvres ont le droit d’exister pour être de gauche, ni de répéter que la maison brûle et que nous regardons ailleurs, ni même que notre ennemi c’est la finance internationale pour être de gauche. Nous ignorons ce que nous savons dès que nous abordons le champ religieux, comme s’il suffisait de refuser certains colifichets pontificaux pour être à même de mettre l’Eglise au service de l’émancipation. La meilleure réponse est venue d’Oskari Juunikkala, économiste, lauréat du prix Novak en 2014 qui explique que le pape est tout, sauf marxiste, et que les milieux d’affaires n’ont strictement rien à craindre de lui. La gauche croit que le pape est de gauche, parce qu’elle a oublié qu’existait au XIXe siècle un anticapitalisme catholique aussi virulent que le sien. L’Eglise avait remisé cette dimension anticapitaliste au XXe siècle, car ses adversaires principaux étaient le communisme et le socialisme, mais la gauche mondiale vaincue l’Eglise redevient anticapitaliste à sa façon. L’anticapitalisme de l’Eglise est en fait d’abord un antilibéralisme dans tous les domaines, car comme aime le dire François : « tout est lié ». Vous ne pouvez pas défendre le droit à l’IVG et vous opposer aux OGM ! L’anticapitalisme de l’Eglise de François n’est pas plus émancipateur qu’il ne l’était au XIXe siècle avec Léon XIII le pape de la doctrine sociale. L’Eglise est ce qui reste du Moyen Âge en plein cœur de la modernité. Pas seulement sur le plan du décorum et du rituel, mais de l’idéologie. Sa critique du capitalisme regarde loin derrière, pas devant nous. J’ai donc repris tout ce corpus anticapitaliste, antilibéral surtout, depuis le XIXe siècle et j’ai montré comment il a survécu dans l’Eglise au sein de ses franges les plus à droite, avant de revenir sur le devant de la scène.

Question : Vous mettez à mal l’idée que François serait un pape vert…

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Paul Ariès : L’encyclique Laudato Si est un texte particulièrement brillant, mais du point de vue de l’écologie, c’est une escroquerie intellectuelle. L’Eglise de François instrumentalise l’écologie pour passer en contrebande son idéologie nauséabonde. Je revendique, face à François, le droit d’être écolo et de défendre la contraception, l’IVG , le divorce, le mariage homo, l’athéisme, l’esprit libertaire, la jouissance. La faillite du système n’est pas la conséquence du péché originel. J’explique que le coup de génie du Vatican a été d’abandonner la première version de l’encyclique qui partait de la violation des lois de Dieu pour expliquer les catastrophes écologiques et sociales, puis de réécrire le texte en rejetant à la fin tout ce qui fait désordre. Cette encyclique est donc un attrape-couillon conçue pour duper les gens. François ne dit pas autre chose que Jean-Paul II en matière d’écologie, mais il le fait en bien meilleur communicant pour la bonne raison que l’Eglise a confié sa com, comme une vulgaire entreprise, aux plus grandes sociétés qui travaillent habituellement pour les capitalistes. Cette encyclique a été conçue, produite et vendue comme un produit marketing. Le pape François est donc bien un dangereux éco-tartuffe. Je montre aussi dans mon livre que les réseaux qui ont nourri la pensée du pape viennent tous de la droite et de l’extrême droite de Dieu. Ce sont des rejetons de la « manif pour tous » et du mouvement des veilleurs, mais aussi des proches de Mgr Rey, le fameux évêque écolo, qui ne se contente pas de verdir les évangiles (décroissez et multipliez vous), mais blanchit le F-Haine de Marion Maréchal le Pen..

Question : Vous expliquez que la papamania actuelle serait un aspect du retour du religieux… qui vous fait manifestement très peur...

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Paul Ariès : Le religieux ne revient jamais par la porte de gauche… La droitisation de la société existe aussi au sein de l’Eglise mais lorsque l’Eglise se droitise l’histoire nous a montré où cela conduit toujours. Le succès de François est d’abord celui d’une Eglise qui veut sa part de gâteau du retour du religieux, quitte à accepter en son sein des mouvements sectaires ou des alliances douteuses avec l’UOIF (Union des organisations islamiques de France). Le succès de François c’est celui d’une Eglise qui s’affiche, ces cathos de choc se désignent eux-mêmes comme des « catholiques identitaires ». Ils se nommaient au XIXe siècle des cathos « intransigeants ». Le grand danger aujourd’hui c’est de mêler à nouveau religion et politique.

Question : Vous expliquez que Bergoglio, qui avait raté son élection face à Benoit XVI en raison de son passé sous la dictature, serait devenu pape en raison de son rôle dans la défaite des théologies de la libération.

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Paul Ariès : On voudrait nous faire croire que le conclave, cette assemblée de vieux mâles réacs, aurait choisi un pape progressiste, social, écologiste et pourquoi pas féministe ou autogestionnaire… Je sais bien que l’Eglise a souvent fait succéder dans l’histoire un pape modernisateur à un pape réactionnaire, mais il ne s’agit pas de cela, même si François est prêt à tout changer pour que rien ne change. L’histoire du remariage des divorcés est exemplaire : l’Eglise serait prête à reconnaître la nullité du mariage sous prétexte que les personnes se seraient trompées au moment de leur choix initial et non pas parce qu’après s’être aimées, elles ne s’aimeraient plus. J’ai pu démontrer, grâce à mes amis Sud-Américains, que l’évêque Bergoglio ne doit son élection qu’à son rôle majeur dans la défaite historique des théologies de la libération qui accompagne le déclin des révolutions. Cette victoire de Bergoglio contre la gauche de l’Eglise sud-américaine a été scellée lors d’une conférence des Evêques, tenue, en 2007, dans le sanctuaire marial de l’Aparecida au Brésil. Cette rencontre est l’équivalent pour la théologie de la libération de ce que fut la fameuse controverse de Valladolid qui opposa au sujet des Indiens le dominicain Bartholomé de las Casas et le théologien Juan Gines de Sepúlveda. Les évêques s’affrontaient cette fois au sujet de la théologie des pauvres : fallait-il partir des pauvres et de leurs revendications sociales pour rencontrer le Christ ou faudrait-il partir du Christ pour aller vers eux ? L’évêque Bergoglio remporta la victoire grâce au soutien décisif d’un envoyé spécial du Vatican, Mgr Filippo Santora, membre éminent du mouvement réactionnaire « Communion et Libération ». En remerciements des services rendus, Santoro est devenu archevêque et Bergoglio pape…

Question : François parle pourtant de théologie de la libération…

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Paul Ariès : Il a même reçu certains de ses représentants ,et de l’Opus Dei aux écolos-cathos de droite tous saluent aujourd’hui l’option préférentielle pour les pauvres, mais chacun a la sienne. François utilise les gros mots de la théologie de la libération mais pour mieux les vider de leur charge émancipatrice. Le symbole de ce naufrage est le divorce entre les deux frères Boff, deux théologiens de la libération. Clodovis, après s‘être rallié en 2008 (un an après la rencontre d’Aparecida) à Ratzinger est aujourd’hui un proche de François. Il explique que la faute de la théologie de la libération, premier genre, était de faire de l’Eglise une simple ONG au service des plus pauvres. J’explique comment Clodovis a été « traité », comme on dit, par Filippo Santoro. Léonardo Boff, dénonçant cette pseudo-théologie de la libération, écrit au sujet de son frère : « Cela revient à dire, mon frère, je te plante un poignard dans le cœur, mais sois tranquille, c’est pour ton salut. » L’Eglise opère aujourd’hui avec les thèses de la théologie de la libération de la même façon que la contre-réforme catholique avait opéré au XVIe siècle en devenant, avec l’Inquisition, la championne du puritanisme face aux accusations que lui portaient les réformés. L’Eglise de François joue à « plus populaire que moi tu meurs »…, mais elle reprend la vieille antienne que dieu aime aussi les pauvres et ajoute surtout qu’ils seraient exemplaires car dans leur souffrance ils connaissent le Christ souffrant, comme le dit Pierre Coulanges. L’Eglise de François aime tellement les pauvres qu’elle ne voudrait finalement surtout pas qu’ils disparaissent car ils appartiennent au plan de Dieu…

Question : Vous accusez le pape François de n’avoir pas tout dit sur ses engagements politiques juvéniles…

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Paul Ariès : On m’avait accusé de prendre la défense de Benoit XVI en expliquant que beaucoup de jeunes nazis l’avaient été « malgré eux ». J’estime que les charges qui pèsent contre François sont plus lourdes car jamais l’engagement au sein de ces mouvements ne fut obligatoire. L’Eglise reconnaît certes que Bergoglio a été membre d’une organisation de jeunesse péroniste, mais elle oublie de préciser qu’il ne s’agissait pas de n’importe quel mouvement, mais de la Garde de fer, une organisation d’extrême-droite dont le nom même fut emprunté à un mouvement fasciste roumain de l’entre-deux guerres hyper-violent. Je précise que l’idéologie de la Garde de fer était davantage du côté de Franco et sans doute aussi de Salazar que d’Hitler ou de Mussolini. La carrière politique de Bergoglio ne s’est pas arrêtée là, puisqu’il soutenait encore au début des années soixante-dix une nouvelle structure l’OUTG (Organizacion Unica del Trasvasamiento Generacional) née de la fusion de la Garde de fer avec une autre organisation d’extrême-droite. Il semble que Bergoglio ait largement protégé les membres de l’OUTG sous la dictature au point de leur confier la responsabilité de l’Université del Salvador (du sauveur) qu’il dirigeait alors. Cette université remplira un rôle majeur durant la dictature en se mettant au service de l’amiral Massera, tête pensante de ce régime sanguinaire, formé par la CIA à la lutte antisubversive dans le cadre de l’école militaire des Amériques, membre de la loge P2 et ami de... Bergoglio. J’explique dans mon livre comment ces réseaux tentèrent de créer en Argentine l’équivalent de Solidarnosc en Pologne sous le nom de Solidaridad… afin de détruire les mouvements sociaux de gauche.

Question : Bergoglio a cependant choisi de se nommer François afin de rendre hommage à saint François d’Assise.

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Paul Ariès : Le pape François a d’excellents conseillers marketing, notamment un grand journaliste américain, Greg Burke, senior communications adviser, membre éminent de l’Opus Dei. Ce choix lui a été soufflé par Mgr Hummes, préfet de la congrégation pour le clergé, c’est-à-dire que c’est lui qui dirige les 408 000 prêtres catholiques… Il s’agit donc d’un homme d’appareil, pas d’un franc-tireur provocateur. Hummes apparut sur le balcon aux côtés du pape en violation du protocole. Choisir le nom de François est déjà une bonne opération d’Intox au moment où l’Eglise est prise dans des scandales financiers à répétition, avec des accusations de corruption, de financement occulte, de blanchiment d’argent, d’arrestations, de suicides, de vols de documents, de vatileaks, etc. L’Eglise de François se la joue pauvre alors qu’elle est immensément riche et qu’elle doit une bonne partie de son immense fortune à ses accointances avec des régimes dictatoriaux. Choisir le nom de François est aussi une belle supercherie, car il repose sur un contresens qui fait de François d’Assise un ennemi des riches… Cette légende a été dénoncée depuis longtemps par les spécialistes non seulement de l’histoire des franciscains, mais aussi du capitalisme. Le grand historien italien Giacomo Todeschini explique que François d’Assise et ses proches, loin d’être des ennemis du capitalisme naissant l’ont développé, car ce qu’ils détestaient c’était la thésaurisation. L’argent était fait pour circuler, s’accumuler, pas pour en jouir. Les franciscains ont fourni une large part du vocabulaire de l’économie capitaliste occidentale.

Question : J’aimerais revenir sur la question de l’émancipation. Vous écrivez que l’Eglise reste autant réactionnaire qu’auparavant.

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Paul Ariès : François reprend la théologie du couple élaborée par Jean-Paul II. Il explique que la civilisation serait malade en raison du péché originel et donc aussi de la « falsification » de l’amour conjugal que ne concerne pas d’abord la contraception dite non-naturelle, l’IVG, le divorce, le « mariage homo », mais la « tyrannie du plaisir », c’est-à-dire le fait de regarder avec désir, non pas son voisin ou sa voisine, mais son propre conjoint ou conjointe y compris dans le cadre du mariage religieux. L’Eglise reste coincée par sa propre théologie car le mariage ne serait que la répétition de celui entre le Christ-époux et l’Eglise épouse. La soumission de la femme à l’homme ne serait donc que la contrepartie de la soumission de l’Eglise à Dieu… François se la joue moderne en soutenant que les deux époux doivent se soumettre réciproquement. Certains croyant au miracle font de François un pape féministe, mais c’est oublier qu’il s’agit de se soumettre au charisme propre de l’autre sexe. L’Eglise de François clame que la psychologie masculine serait marquée par la rationalité (sic) et celle de la femme par le cœur (resic) ! Avec cette Eglise, nous ne sommes jamais loin de « papa lit, maman coud ». On comprend mieux que cette Eglise ait inventé une pseudo théorie du genre pour mieux défendre ses propres stéréotypes sexistes. Le meilleur représentant en France de cette Eglise est Yves Semen, Président de l’Institut de théologie du corps, dont le livre sur la sexualité et l’Eglise est préfacé par Mgr Rey, l’évêque pseudo écolo, le même qui offrait en 2015 une tribune à Marion Maréchal-le-Pen.

Question : L’Eglise de François remet en avant sa doctrine sociale.

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Paul Ariès : Cette mal nommée « doctrine sociale » de l’Eglise est l’un des plus gros malentendus de tous les temps…Chacun croit comprendre spontanément une Eglise plus sociale, plus proche des salariés. Le catholicisme social n’est pas une version soft du socialisme chrétien. La doctrine sociale a été conçue par les plus fieffés réactionnaires du XIXe siècle comme la réponse de l’Eglise aux trois principaux maux : le siècle des Lumières, la réforme religieuse et la Révolution de 1789. Ce courant intransigeant a dû mettre du social dans son vin de messe au cours du XXe siècle, compte tenu des rapports de force idéologiques, mais la doctrine sociale reste l’antithèse même de l’idée de lutte des classes. La doctrine sociale c’est la collaboration entre les patrons exploiteurs et les salariés kleenex, au nom des lois de Dieu dans l’économie.

Question : Vous expliquez que la doctrine sociale de l’Eglise c’est avant tout la défense de la propriété privée.

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Paul Ariès : L’Eglise n’a jamais voulu dissocier la propriété privée lucrative, celle des moyens de production, des autres propriétés. Elle soutient que la propriété privée serait conforme à l’ordre divin. La question serait seulement celle du bon usage de cette propriété, celle du bon propriétaire, du bon patron, du bon capitaliste.

Question : François dénonce pourtant le capitalisme financier...

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Paul Ariès : L’Eglise a toujours combattu l’épouvantable usure. L’Eglise de François rappelle seulement que les riches doivent faire bon usage de leur propriété, ils ne doivent pas oublier la part du pauvre, mais ils doivent préserver en même temps le surplus correspondant à leur rang. Cette Eglise justifie toujours le principe des inégalités par le plan de Dieu.

Question : Vous ne pouvez pas nier cependant que l’Eglise de François défend le bien commun…

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Paul Ariès : La conception catholique du bien commun n’a rien de semblable avec celle des peuples, celles des gauches et de l’écologie. Notre bien commun se conjugue toujours au pluriel, car il s’agit d’un certain nombre de droits à conquérir, à construire collectivement, le droit à l’eau, le droit à la souveraineté alimentaire, le bouclier énergétique, la défense des services publics et biens communs. Le Bien Commun à la sauce vaticane se conjugue au singulier et bénéficie de majuscules, car il correspond à la volonté de Dieu… selon l’Eglise. C’est au nom de ce Bien Commun que l’Eglise de François a lâché dans les rues des millions de catholiques qui entendent nous dire qui aimer. J’ajouterai qu’au nom de son Bien Commun qui est une vérité à majuscule cette Eglise prône le refus du dialogue démocratique. Cette Eglise se proclame experte en humanité en oubliant ses crimes historiques et ses dogmes qui font d’un enfant à peine né un pécheur !

Question : L’église de François parle beaucoup du principe de subsidiarité, ce qui devrait séduire moult écologistes…

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Paul Aries : L’église a toujours prôné le principe de subsidiarité mais pas dans le sens d’une décentralisation autogestionnaire et anti-autoritaire. Le principe de subsidiarité à la sauce vaticane, c’est l’affirmation du caractère profondément antiégalitaire de la société avec ses corps intermédiaires, c’est le refus du politique comme permettant de définir conflictuellement donc démocratiquement les normes juridiques. L’Eglise se pense supérieure à l’Etat, notamment en matière sociale. Il faut relire ce qu’écrit la philosophe catholique Chantal Delsol : le principe de subsidiarité, c’est d’abord une machine de guerre contre l’égalité, contre l’intervention publique et le pire c’est qu’elle a raison. C’est l’éloge de l’initiative privée (d’où l’importance de la propriété privée), ce sont a minima les partenariats privé/public, c’est le refus de l’assistanat (sic), c’est un bon libéralisme à la sauce du très catholique Jacques Delors et des traités européens, c’est la casse du Code du travail et de la notion d’ordre public social à la sauce du très catholique Emmanuel Macron, ancien élève des Jésuites, assistant du philosophe Catholique Paul Ricoeur, avant de devenir banquier chez Rothschild…

Question : Vous devriez êtes satisfait puisque l’Eglise dénonce la soumission de l’humanité à la technoscience et à la mégamachine.

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Paul Ariès : La pire des choses en politique, c’est de croire que nous sommes d’accord, alors que nous parlons de choses très différentes. L’Eglise dénonce certes la technoscience, notamment avec la fondation Lejeune autour de la pièce Jeanne et les post-humains de Fabrice Hadjadj, proche de Communion et libération et de la revue Limite… Je ne vais pas dire qu’il fait beau si le pape dit qu’il pleut, mais si le pape dit qu’il pleut à cause de la perte de Dieu, j’ai le droit d’être scandalisé. La soumission aux lois divines serait la réponse à l’hybris technicienne… L’ennemi absolu reste d’ailleurs l’athéisme.

Question : Vous parlez en effet des positions de François à l’égard des athées…

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Paul Ariès : Ce bon pape enverrait facilement les athées au bûcher s’il le pouvait encore. Il explique que l’athéisme et l’antisémitisme seraient deux grands dangers actuels. Faut-il lui rétorquer que l’antisémitisme est un délit, mais qu’être athée est un droit aussi absolu que celui d’être croyant. J’invite les lecteurs à découvrir ce qu’écrivent aujourd’hui les soldats de Dieu à propos des athées, pas seulement des athées militants, mais des agnostiques, des indifférents… L’oubli de Dieu, ce serait un athéisme pratique responsable de tout ce qui ne va pas. Voilà ce que l’église de François entend par un « mai 68 à l’envers ».

Question : Vous appelez à dénoncer la béatification prochaine par le pape François d’un prêtre français antisémite du XIXe siècle…

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Paul Ariès : Ce bon pape François s’apprête en effet à béatifier le père Léon Dehon, qui fut non seulement une plume de l’antisémitisme, comme je le prouve en citant ses propres textes, mais un ennemi acharné de la franc-maçonnerie et des mouvements socialistes. Cette béatification est un signe politique donné aux catholiques identitaires pour qu’ils reprennent la rue et imposent la loi de Dieu, car Léon Dehon fut le fondateur de la congrégation des prêtres du sacré cœur. Ce symbole religieux ne fut jamais celui des cathos de gauche, mais bien celui des cathos de droite, car ils appellent à marier religion et politique.

Question : Vous dénoncez la responsabilité des catholiques identitaires et des écolos-cathos dans la dé-diabolisation du FN.

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Paul Ariès : L’Eglise de France a longtemps fait barrage au FN, même si des passerelles ont existé entre cathos tradis et extrême-droite. Nous ne sommes plus cependant dans ce cas de figure, car les cathos pratiquants qui votaient moins FN que le reste de la population votent aujourd’hui plus volontiers Front national et ceci sans état d’âme. L’invitation de Marion Maréchal le Pen par l’évêque de Fréjus est un signe annonciateur d’un basculement qui est en train de se produire. La dédiabolisation du FN et plus largement de certaines idées d’extrême-droite passera nécessairement par la case Eglise comme je le montre.

Question : Vous écrivez que François sera l’équivalent pour le continent sud-américain de ce que Jean-Paul II fut pour l’Europe de l’Est…

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Paul Ariès : Si Jean-Paul II a effectivement contribué à la chute du stalinisme et à l’impossibilité de faire naître un vrai socialisme (comme le voulurent le printemps de Prague, mais aussi Gorbatchev), François a pour mission d’en finir avec le « socialisme bolivarien du XXe siècle ». L’Amérique du Sud étant le dernier continent où le socialisme se conjuguait encore au présent, il fallait un pape de ce continent pour parvenir à mettre fin à ces expériences extrêmement contagieuses. J’expose, dans le livre, comment cette nouvelle Eglise s‘est mise en marche sur les décombres de la véritable théologie de la libération et son rôle dans les premières défaites de la gauche au Venezuela, en Argentine… François sera le fossoyeur de l’éco-socialisme.

Question : vous dressez le portrait d’un pape autoritaire, très conservateur, croyant par exemple au diable…

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Paul Ariès : Le pape François renoue avec les vieilles tentations de l’Eglise non pas parce qu’il serait originaire d’Amérique latine comme je l’entends parfois, mais parce qu’il est profondément réactionnaire. Le pape François croit au diable comme on y croyait au Moyen Âge. Conséquence : les adversaires de l’Eglise ne seraient pas seulement dans l’erreur mais seraient des suppôts de satan avec lesquels il conviendrait de ne plus dialoguer. Il faut lire ce qu’écrit son éminence, le cardinal Sarah, préfet de la congrégation pour le culte divin : le diable serait à l’œuvre derrière le planning familial, les unions homosexuelles, les femen, l’islamisme politique, l’esprit libertaire, etc.

Question : L’Eglise de François vaut ce que valent ses bataillons ?

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Paul Ariès : Le pape François n’est pas d’abord celui des mouvements d’action catholique aujourd’hui en déclin, mais des nouveaux croisés qui font l’Eglise du XXIe siècle, Communion et Libération, les charismatiques, l’Opus Dei, les Chevaliers de Colomb, même les Légionnaires du Christ, etc., bref des organisations très à droite et ultra autoritaires. J’ai montré les liens entre Communion et Libération et François, il n’a pas seulement été fait pape par la grâce de Filippo Santaro… Bergoglio était un habitué des meetings de Rimini. Communion et Libération, c’est le retour du religieux en politique, mais contrairement à l’Opus Dei, il ne s’agit plus de gagner les puissants, mais de construire un grand parti populiste à la façon de Berlusconi. Communion et Libération est l’un des principaux laboratoires idéologiques de François avec la dénonciation du capitalisme financier, du capitalisme international (apatride), de la christianophobie, avec sa nouvelle théologie des pauvres…

Question : Vous évoquez aussi les liens de François avec l’Opus Dei

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Paul Ariès : Bergoglio a toujours su travailler avec l’Opus Dei et exprimer ses sentiments favorables les plus profonds, comme lorsqu’il se recueillit 45 minutes sur la tombe du fondateur de l’Opus… Son élection a d’ailleurs été accueillie avec « une joie profonde » (sic) et l’Opus a mis ses jeunes au service de sa théologie écologique (sic). La gauche se laisse souvent duper, car elle a une image partielle de l’Opus Dei. Je veux dire que nos ennemis les plus farouches ne ressemblent pas toujours à l’image d’Epinal qu’on choisit de se construire. La gauche n’a jamais pu admettre que Mgr Romero, le « martyr des pauvres », assassiné en pleine église par un commando, était beaucoup plus proche de l’Opus Dei, qui le revendique comme un compagnon de route, que des théologies de la libération qu’il combattait férocement. L’Opus Dei fournit aussi à François quelques notions essentielles pour la « reconquista » comme la référence aux marginalités…

Question : Vous évoquez aussi les Chevaliers de Colomb…

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Paul Ariès : l’Eglise combat officiellement la franc-maçonnerie, mais elle a son propre mouvement discret, l’Ordre des chevaliers de Colomb. Je rends compte, dans mon livre, des documents confidentiels auxquels j’ai pu accéder et qui donnent le visage de cette organisation très puissante aux Etats-Unis et très implantée dans les bases militaires. J’ai pu montrer aussi que cet Ordre est devenu une source essentielle de financement de l’Eglise capable de la tirer des mauvaises passes. Grâce à lui, l’Eglise ne désespère pas de créer le principal fond financier international, pour peu que les systèmes de retraite soient déconstruits. Les liens entre le Vatican et les Chevaliers de Colomb déjà forts sous Jean-Paul II et Benoit XVI se sont renforcés avec François. Ce sont ces bonnes relations qui expliquent que le pape François ait canonisé, lors de son voyage aux Etats-Unis, le Père Serra, considéré par l’Eglise comme le principal évangélisateur de l’Ouest, mais dénoncé par les peuples autochtones comme un prêtre coupable de génocide. J’avais signé la pétition internationale suppliant le pape François de renoncer, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, à cette canonisation, mais, dans ce domaine aussi, François a fait pire que pire...

Question : Vous parlez de papamania, mais on pourrait vous rétorquer que le nombre de participants aux audiences du pape a chuté de 50 % en trois ans, passant de plus de six millions à trois millions…

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Paul Ariès : Je reprends en effet ces chiffres officiels du Vatican qui doivent faire passer des nuits blanches au petit quarteron de Messeigneurs qui entourent le pape et dont je parle dans le livre. Une première explication serait de dire que les gros bataillons de la droite catho bouderaient le pape, car il serait beaucoup trop à gauche… Je ne nie pas que ces mouvements aimeraient que le pape aille encore beaucoup plus vite et plus loin dans une réaffirmation identitaire. Le pape est cependant conscient du danger d’un divorce trop grand de l’Eglise avec les peuples réels, il donne donc des signes contradictoires. D’un côté, il mobilise certains marqueurs d’une Eglise progressiste, pour ne pas dire de gauche, afin de ne pas se couper des peuples, mais il sait le faire sans danger et avec l’espoir même d’achever le malade, car les cathos de gauche n’existent pratiquement plus, après les pontificats de Jean-Paul II et Benoit XVI et son propre rôle dans la défaite historique des diverses théologies de la libération. D’un autre côté, François est conscient du nouveau rôle politique que l’Eglise peut jouer, grâce à la peur de l’islamisme politique, dans le contexte d’un retour du religieux et de la peur qui s’est emparée de l’Occident. François sait que ce pape ne pourra être que celui d’une Eglise revancharde, d’une Eglise antisocialiste, antiféministe, d’une Eglise qui ne parle que de faire son « mai 68 à l’envers » en attendant de s’en prendre à 1789, une Eglise qui rêve de réinventer son Moyen-âge.

Question : Vous expliquez que la fameuse histoire du lobby gay au sein du Vatican relève davantage du contre-feu que de la réalité…

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Paul Ariès : Une nouvelle preuve du coup de génie en termes de com. Non pas qu’il n’y ait pas d’homosexuels au sein de l’Eglise, mais là n’est pas le problème. L’église de François prise dans des scandales financiers, politiques, sexuels (je veux parler des crimes pédophiles) choisit de dégager en touche en désignant un bouc émissaire facile, le milieu homosexuel qui serait le mal infiltré au sein de l’Eglise. Elle en profite non seulement pour en faire oublier les véritables affaires mais pour réaffirmer le lien scandaleux entre homosexualité et pédophilie. L’église souffrirait finalement des mêmes maux que le reste de la société, ce qui lui permet de se donner comme plus blanche que blanche. Ce système de défense du Vatican a été largement développé par Massimo Introvigne, qui lave l’Eglise des affaires de pédophilie, ce militant d’extrême-droite est bien connu comme défenseur des sectes (notamment de la scientologie). Enseignant au Regina Apostolorum Atheneum appartenant aux Légionnaires du Christ, membre de la fondation Respublica fondée par Berlusconi, dirigeant de l’Alliance catholique, il est aussi l’auteur d’un livre (Il secreto di papa Francesco) à la gloire de Bergoglio/François.

P.-S.

En logo, un tableau d’Adolfo Bimer intitulé « But in fact the glorious beings which they had produced were tortured ».

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