La Revue des Ressources

Opus Incertum : Éphémérides 

(extraits)

samedi 13 mai 2023, par Hugo Roussel

Photographie : Hugo Roussel par Arnaud-Hussenot

OPUS INCERTUM : ÉPHÉMÉRIDES

(extraits)

À l’aube
19.03.2017

L’odeur de l’aube s’engouffre délicatement
à l’intérieur. Au loin, le chant des passereaux
résiste encore au bourdonnement imminent
des chevaux mécaniques. Le ciel hésitant,
ni de nuit, ni de jour, s’embrase peu à peu.

Puis l’espèce humaine s’éveille, indélicate
et gauche, et contamine toute la scène.

Pièce pour Dominique
29.05.2017

Amplis à burne
guitares en berne

Tu sens sur ta nuque
la tunique des monolithes
leurs souffles électriques

Nos pensées s’évaporent
en flux contenu
dans un brasier sonique

Et les mots
assis à nos côtés
restent silencieux

Mirage
16.07.2017


dans le mirage d’un souvenir flou
je redessine tes contours
je te rapièce
te réinvente
comme une évasion.

Brume
17.09.2017

Ce matin,
l’horizon avait disparu,
englouti par la brume.

Et puis, peu à peu,
il est réapparu,
méconnaissable.

Silure
08.01.2018

Dans les profondeurs du Fleuve,
une bouche béante dépourvue de miséricorde
s’ouvre comme une herse sur l’obscurité.

Elle rôde à la lie
dans les recoins d’eaux troubles
et traque sans relâche
les esprits maudits
drapés de fangeuses volutes.

Comment finir
02.02.2018

Il y a là
une forêt hirsute
baignée dans la lueur
d’une lune pâlotte
en manque de soleil.

Tu portes mon cadavre
réduit en cendres
au pied d’une montagne
que j’ai connu jadis.

Et tu me sous-poudres
sur ses plaies ouvertes
comme l’adieu soigné
à un ami.

Le géant
06.02.2018

Un géant de béton
aux mille iris scintillants
surplombe la vallée.

On devine derrière les rétines
de sa silhouette géométrique
des intérieurs de vies grouillantes.

Immobile
comme accoudé au temps
il trempe ses pieds dans la forêt.

Un souvenir incertain
01.04.2018

Elle portait une robe de brume,
emmitouflée dans des secrets vaporeux.

Et une nuit fine tombait sur la ville.

Drame à l’épiderme
24.04.2018

Bras ardents
et nuque flambée,
le soleil me rissole.

Et les montagnes alentour
à moitié dénudées
compatissent.

Copie vide
08.05.2018

Le voilà,
ce sentiment de n’être qu’une copie de soi,
qu’un tracé grossier sur une feuille de calque
flottant comme une coquille vide
à l’orée du réel.

L’empire des sciences
09.05.2018

Et puis un jour
toutes les beautés du monde
furent réduites à des théories,
des certitudes.

Les gens sur Terre
devinrent des scientifiques,
des savants,
et les poètes se dissipèrent.

Rénovation
17.05.2018

J’ai repeint
les murs de ma tanière
du sol aux bas-fonds.

J’ai remonté
le moral de la clôture
couchée par les dernières tempêtes.

J’ai semé
des graines dans le jardin
pour fleurir l’estomac des oiseaux.

Et dans le soleil posé sur l’horizon
comme un ballon sur un velours verdoyant
j’entrevois la paix qui se ramène
à dos de mobylette trafiquée.

De l’eau en vain
20.05.2018

Hier,
je me suis évaporé
dans les mirages
d’alcools fantaisistes.

Et aujourd’hui,
la gravité
a la main lourde.

Tricot
16.06.2018

Souvent les idées s’emmêlent
dans des pelotes de mots
et les paroles ressemblent alors
à un pull biscornu.

Aube agrume
25.07.2018

Quelques nuages
oubliés des vents
errent en épaves
dans un ciel pamplemousse.

Ils s’évaporent
imperceptiblement
comme des promesses abandonnées.

Nouveau proverbe
29.07.2018

Pas de carotte
sans retour de bâton.

Exil
30.07.2018

Je m’exile
des travers
des tranchées.

Je m’évapore
comme une pensée,
fanée de tout.

Je me dérobe
à la mariée
à sa rivière royale.

Je me soustrais
en somme
de tout calcul.

Tête foraine
02.08.2018

J’ai
un parc d’attractions
dans la tête.

Ses petits manèges
me jouent des tours,
son palais des glaces
me laisse de marbre.

Des vestiges festifs
y jonchent les allées
et se délitent dans la boue.

Le dernier voyage de Gulliver
18.08.2018

C’était un moustique énorme,
pas du genre qu’on écrase
du genre qu’on abat.

erikm
01.09.2018

La voiture trace des lacets
sur un serpentin de bitume solitaire
bordé de champs blondinets.

Par les fenêtres ouvertes en stéréo
se faufile la musique électronique
de grillons a cappella.

Des bois
01.09.2018

Des bruits étranges
se terrent dans le bois
pointant parfois leurs museaux
à la lisière de l’obscurité.

Ils m’observent,
m’examinent, me jaugent,
m’évaluent, m’expertisent.

Je me fige
en drapeau blanc,
me suspends
en signe de paix.

Contamination
10.11.2018

Tandis que,
du fond des mers à l’exosphère,
dérivent du capitalisme
les déchets du pouvoir d’achat.

Défilé nocturne
04.12.2018

Des nuages lourds d’orages
défilent en flotte martiale
comme des navires partant en guerre
contre l’horizon.

Ils effleurent au passage
de leurs coques renflées
les déjections lumineuses
d’une cité en éruption.

Givre
28.12.2018

Au loin,
les arbres feutrés de givre
ont brodé à la forêt
une robe lunaire délicate
à la dentelle complexe.

Chalet fictif
20.01.2019

À l’extérieur,
sur le toit boursouflé de neige
un nuage hâve dansotte,
noué à la cheminée
comme une écharpe séraphique.

À l’intérieur,
où le silence ne pèse rien,
le feu crépite d’oisiveté
et les mots en boule sur la chauffeuse
marmonnent dans leurs sommeils.

À grande eau
25.01.2019

J’ai laissé à la rivière
les questions sans réponse,
les ai regardées
dévier des rives et dériver,
coaguler dans les criques
comme un limon de certitudes
en suspension.

Hésitation
31.01.2019

Mais jamais
le moment venu
n’est venu.

.../...


P.-S.

Extraits du recueil
Hugo Roussel / Opus Incertum : Éphémérides
Février 2019, 200 pages, 50 ex.
hugoroussel.com

Photographie : Hugo Roussel par Arnaud-Hussenot

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