Sous le titre, emprunté à un manifeste Dada, de Littérature et le reste, les éditions Gallimard publient un recueil d’écrits de Philippe Soupault rédigés entre 1919 et 1931. Pas exactement des inédits, mais des textes jamais jusqu’à présent réunis en volume, et donc soit devenus introuvables ou quasiment, soit à rechercher dans quantité de livres différents, certains consacrés à leur auteur, d’autres plus génériquement dédiés à Dada ou au surréalisme, d’autres encore figurant ici ou là dans divers ouvrages rassemblant sous un mode thématique des écrits épars, d’autres enfin dans des livres dans lesquels on ne songerait pas forcément à les chercher - ainsi cette lettre à Marcel Proust que seule jusqu’alors rendait accessible la Correspondance de l’auteur du Temps retrouvé. Un petit nombre des textes proposés ici ne sont du reste pas de Soupault « en personne », mais par exemple d’Éluard ou de Breton écrivant à son sujet, donc bienvenus dans le contexte de ces années 1920, et ce d’autant qu’ils n’étaient plus consultables ailleurs que dans les œuvres de ces derniers. En résumé, le lecteur de Philippe Soupault se voyait obligé, avant la publication du présent livre, de remuer pour avoir accès aux textes ici rassemblés une bibliographie tellement considérable, sans même mentionner qu’elle est en partie indisponible, que la tâche en eût été probablement au-dessus de ses forces.
On imagine donc sans peine l’ampleur du travail éditorial que représente la publication d’un tel recueil. Il faut aussi en saluer la qualité. En notes sont scrupuleusement données pour chaque texte des références précises, lieux et dates de publication, accompagnées le cas échéant de compléments utiles et érudits, avec pour les détails un souci pointilleux au point, par exemple, de souligner le fait que la ponctuation donnée en 1926 par Soupault citant Lautréamont « diffère légèrement » de celle de la version qu’on connaît aujourd’hui. La préface, l’avant-propos et les « repères » historiques et biographiques placés en fin d’ouvrage redessinent avec application la personnalité de l’auteur, en lien constant avec le contexte littéraire et historique de son époque. Plusieurs index enfin permettent de localiser dans l’ouvrage n’importe quel texte à partir de n’importe quelle de ses références, et si l’absence de tout sommaire déconcerte au premier abord, elle n’en est pas moins justifiée par le fait que l’organisation générale du livre, privilégiant une approche chronologique plutôt que thématique, rendrait non pertinentes ici les informations généralement données par un sommaire
La publication de Littérature et le reste comble donc un manque indéniable, ne serait-ce que du fait qu’après tout l’auteur des présents textes n’est pas n’importe qui. Pilier de Dada en France, il s’illustra ensuite comme cofondateur du surréalisme, inventant au passage l’écriture automatique, avant de se détacher de toute école, de tout mouvement excepté le sien propre, en continuant d’écrire des livres plus qu’intéressants dans des domaines aussi divers que la poésie, le roman, l’essai, l’autobiographie, la critique littéraire, cinématographique ou picturale, sans se soucier une seule seconde du fait que l’histoire de la littérature ait perdu un peu hâtivement sa trace après des débuts dans l’avant-garde plus spectaculaires il est vrai. Mû par une sorte d’éclectisme prolifique davantage que par l’ambition de laisser ce qu’on appelle en général une œuvre, Philippe Soupault, si attentif à celles des autres, semble ne s’être jamais soucié du destin de ses propres productions, au point de ne pas même relever qu’en republiant certains de ses écrits dans l’édition complète et cosignée des Champs magnétiques en 1920, André Breton faisait de lui par le fait même le coauteur de textes dont il aurait pu légitimement revendiquer la seule paternité. Pendant la douzaine d’années couverte par ce livre, il avait d’autre chats à fouetter, en l’occurrence écrire sept recueils de poèmes, neuf romans, treize récits ou nouvelles, quatorze essais, quatre préfaces, une traduction et plus de trois cents articles pour plus de quarante revues différentes, pour ne mentionner que son activité d’écrivain. Des romans, des essais, furent édités sur le moment, mais ce ne fut pas avant 1937, à l’âge de 40 ans, que Philippe Soupault se préoccupa de rassembler ses textes poétiques en une unique anthologie, non sans lui donner le titre facétieux de Poésies complètes, plus ou moins irrégulièrement remise à jour jusqu’à l’ironique publication en 1981 d’un complet volume de Poèmes retrouvés. D’autres critiques ou chroniques reverront par la suite le jour au sein d’ouvrages conçus par thèmes sous les titres par exemple d’Écrits de cinéma et Écrits sur la peinture, mais pas avant 1979 et 1980 pour ces derniers. Quoi d’étonnant dans ces conditions à ce que nombre de textes de l’époque, critiques et portraits littéraires en particulier, soient restés inédits en volume et donc méconnus ? L’oubli est réparé : Littérature et le reste est à la fois une somme et une référence.