A l’heure où seul le livre résiste à un support papier, nous constatons que les écrans numériques envahissent notre vie quotidienne. Aussi regarderons-nous du côté de ces écrans afin de mieux comprendre leur évolution et leur impact sur les habitudes de lecture.
L’invention de la première écriture électronique remonte à l’invention du tube de Crookes (1832-1919) qui le premier réalisa une image avec un tube sous vide. Ce tube atteint sa réelle fonctionnalité par l’invention de Ferdinand Braun qui eut le prix Nobel de physique pour son invention du tube cathodique. C’est à partir de ce tube au départ rudimentaire que commence la grande aventure de l’affichage électronique.
Ce tube cathodique sera utilisé pendant de longues années pour la télévision, les oscilloscopes, les radars, les équipements médicaux, etc. Puis vinrent ensuite les écrans à cristaux liquides et ceux à plasma. Cette lente évolution, qui n’est du reste pas finie, a complètement bouleversé nos pratiques quotidiennes. Il n’est plus un appareil qui ne comporte un écran d’affichage , que cela soit pour les distributeurs automatiques de billets de banque ou de la caisse enregistreuse du supermarché, en passant par les montres digitales. De plus en plus d’objets d’utilisation courante incorporent un mini écran fournissant plus d’informations que de simples voyants lumineux. De miniaturisation en miniaturisation nous en sommes arrivés aux téléphones portables, aux tablettes, aux notebooks et à tout un tas d’équipements toujours plus nombreux qui communiquent entre eux et avec Internet.
Ce qui nous intéresse ici n’est pas seulement le foisonnement des écrans d’affichage mais ce que peuvent afficher ces derniers. Au départ, avec par exemple les premières montres numériques, nous avions simplement des chiffres. Puis sont venues les lettres de l’alphabet pour pouvoir former des mots puis des phrases. Pour les écrans cathodiques ce ne fut pas une trop grande difficulté. Par contre pour les écrans LCD l’évolution se fit plus lente. Il fallut toute une série d’ingénieurs pour perfectionner lentement ces affichages que nous voyons aujourd’hui sur nos ordinateurs portables et nos smartphones. Et comme l’a remarqué Paul Virilio, nous vivons de plus en plus dans un univers électro-optique.
Sur les téléphones portables s’est développé ce que nous appelons les SMS qui est l’acronyme de Short Message Service. Pour citer un chiffre, en 2007 il a été envoyé 50 000 SMS par minute dans le monde. C’est dire l’ampleur que prend la messagerie électronique, même rudimentaire. Le premier SMS a été envoyé en décembre 1992.
La caractéristique particulière de ces SMS est qu’ils sont bien souvent rédigés dans une forme d’argot composé d’abréviations et d’écriture phonétique. Le plus innovant est l’invention des émoticônes. Au départ construits avec les symboles ordinaires du clavier, comme ceci : :-), avec le développement des écrans à haute définition nous en sommes arrivés à de véritables petits dessins qui dépassent nettement les simples caractères du clavier.
Nous entrons ici dans le domaine de la sémiologie avec tout un système symbolique pour signifier des états d’âme, des actions, des objets, etc. Ainsi avec l’informatique est née une pléiade de signes censés signifier quelque chose, comme les panneaux de la route signifient au conducteur un code de conduite.
Le signifiant et le signifié
Nous devons à Ferdinand de Saussure l’établissement des fondements de la sémiologie actuelle. C’est lui qui a démontré « l’arbitraire du signe » avec l’association d’un signifiant et d’un signifié, comme il le fait avec l’exemple du dessin d’un arbre et du mot arbre.
Il y a donc un lien qui unit une image et un signifié. Cet aspect a largement été exploité dans les icônes des logiciels. Cependant, le lien est là beaucoup plus flou qu’avec le langage naturel. En effet si un « smiley » fait comprendre immédiatement au lecteur de quoi il retourne, un symbole comme : « X » reste plus problématique. Selon le contexte la croix peut signifier une case à cocher, un document à supprimer, une fenêtre à fermer, etc.
D’autre part intervient dans le « dialogue » avec les logiciels la notion d’interactivité. Qu’en est-il exactement de cette interactivité où la machine renvoie des caractères ou des symboles selon que l’on clique sur telle ou telle icône ?
Réactivité, interactivité et langage
Plutôt que de parler d’interactivité dans les logiciels, peut-être faudrait-il plutôt parler de « réactivité » . Car l’interactivité fait appel à une véritable communication entre l’homme et la machine ; ce qui est loin d’être réalisé.
Selon Yves Jeanneret, la notion d’interactivité est définie comme « une interprétation actualisée dans un geste ». Ce geste se manifeste dans le déplacement du regard, dans la compréhension d’un message, ou lorsqu’on fait par exemple pivoter un objet avec la souris ou diverses autres manipulations.
S’il n’y a pas encore de réelle communication entre l’homme et la machine, malgré tous les abus de langage, on peut cependant parler de réactivité homme-machine. L’évolution de cette réactivité fait par là-même évoluer les langages en informatique. Par ailleurs il y a toute une panoplie de figures de style entre la vie réelle et l’utilisation d’un ordinateur. Ainsi par exemple les termes de « dossier », « arborescence », « répertoire », etc. jouent avec les figures de style de la langue et la transforment. Cela jargonne tellement que dans certains cas la communication devient très difficile entre les individus. Des dictionnaires d’informatique sont créés et grossissent à chaque nouvelle édition. L’interaction homme-machine se solde par l’apprentissage de tout un vocabulaire qui rebute beaucoup de gens.
Ce qui est le plus recherché dans cette réactivité homme-machine n’est pas une simple commande robotique d’un organe quelconque, mais plutôt le traitement du langage humain par la machine. Une bonne partie de l’intelligence humaine relevant de l’utilisation de la parole et des langues, il est donc normal que cela soit mis en avant dans les programmes de recherche. Les systèmes experts et de diagnostic en sont un exemple. Dans le journal Le Monde du 09 mars 2010 un article retentissant annonce que des ordinateurs peuvent écrire des articles sportifs. La performance est due à un programme d’intelligence artificielle baptisé Stats Monkey appartenant à un laboratoire nommé Infolab installé sur le campus de l’université du Northwestern. Ceci n’est bien entendu qu’une caricature de l’intelligence humaine, mais nous montre néanmoins l’orientation prise par l’informatique. La capacité à analyser, à synthétiser, à théoriser, est bien l’objectif visé par les laboratoires d’intelligence artificielle.
Les machines de plus en plus sophistiquées nous obligent à infléchir et modifier notre langage. Ainsi des expressions comme « A+ » ou bien « @+ » pour dire « à plus tard » font désormais partie de notre quotidien.
Ainsi toute une correspondance par mails se trouve radicalement modifiée par rapport à ce qu’est la correspondance papier. Par ailleurs la facilité avec laquelle on envoie un e-mail (plus de timbre, d’enveloppe et de bureau de poste) a grandement démocratisé l’échange écrit sur la planète. En outre, ces messages sont rédigés dans la langue du Net, c’est-à-dire en ayant subi de profondes transformations par rapport à l’échange épistolaire traditionnel. Bien que la longueur des textes soit plus courte, il est difficile de dire que l’écrit soit moins riche qu’une lettre envoyée par la poste. Nous pouvons néanmoins constater que les codes sont différents. Le style est plus direct et haché, il y a moins de figures de style, pas d’imparfait du subjonctif, bref, du courrier électronique qui ressemble plutôt à une lettre de lycéen. Nous sommes là bien éloignés des lettres célèbres des grands écrivains. Écrit-on réellement plus mal pour autant ? Nous ne le pensons pas. C’est plutôt l’explosion de l’expression écrite par tous les âges de la population et de toutes les couches sociales qui fait émerger ce qui avant demeurait caché. Les sites web pullulent et mettent en avant une quantité considérable de textes qui avant Internet n’étaient pas visibles.
La sémiologie des icônes en informatique
Comme le rappelle Roland Barthes dans L’aventure sémiologique, tout ce qui relève du domaine des objets, y compris les objets picturaux que sont les icônes et les différents systèmes symboliques comme la peinture ou les symboles utilisés en informatique passe de plus en plus par un système qui ne fait pas appel en clair au langage naturel. Ainsi on comprend immédiatement à quoi sert un curseur que l’on peut déplacer pour régler par exemple le volume sonore d’un fichier son, ou régler le contraste ou la luminosité d’une image, etc. En informatique, il y a une surenchère du visuel en laissant le texte au second plan. La fameuse mise en avant du tout intuitif par certains éditeurs de logiciels passe par un développement tout particulièrement réfléchi de son interface visuelle. Le plus mystérieux dans cette évolution, est de constater comment les individus s’adaptent justement intuitivement à ces interfaces graphiques sans qu’aucune explication ne leur soit donnée.
En procédant à une analyse un peu attentive, nous constations que l’utilisateur cliquant pour la première fois sur ces icônes regarde en même temps les info-bulles qui lui sont associées. Et après quelques clics de souris, le regard ne se porte plus sur les info-bulles mais cherche directement l’icône ; l’association texte/icône ayant été mémorisée. Ce qui accélère grandement la navigation sur l’interface graphique. Car l’œil perçoit par groupes de lettres le texte des info-bulles, ce qui ralentit notoirement la lecture. Or cet inconvénient disparait avec les icônes. D’autre part, un grand effort est réalisé par les concepteurs d’icônes pour les rendre facilement lisibles. Toutefois certaines icônes n’induisent en rien une compréhension directe et ne sont lisibles qu’à l’aide des info-bulles à mémoriser. Si les symboles des toilettes homme et femme sont facilement compréhensibles par tous, il n’en est toutefois pas de même avec tous les symboles. Parfois une analogie n’est pas possible avec le concept voulu. Et nous nous en remettons dans ce cas entièrement au texte joint à l’icône.
Pour conclure, nous dirons que notre évolution va vers le tout visuel où le langage naturel est de plus en plus étoffé. Le pictogramme remplace avantageusement le langage naturel. Mais nous ne savons pas si cette évolution est réellement bénéfique pour la lecture. Seul l’avenir de l’utilisation de ce procédé de communication nous le dira ■