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De l’horrible danger d’une parole libre 

lundi 10 avril 2006, par Collectif des Ressources

L’écrivain Jean-Michel Maulpoix, également professeur à l’Université de Nanterre et Président de la Maison des écrivains, vient d’être condamné par la Cour d’appel de Montpellier à 5000 euros d’amende et de frais de justice pour avoir relayé sur son site web personnel un témoignage relatif à des violences policières. Par la même décision, la Cour relaxe le poète Brice Petit, auteur de ce récit largement diffusé sur internet.

Il n’y a eu aucune instruction du dossier. Jean-Michel Maulpoix n’a jamais eu affaire à la justice. Il ne connaissait ni Brice Petit ni les personnes visées par ce texte. Personne ne lui a jamais demandé le retrait de ce texte de son site, ni de la quinzaine d’autres qui l’ont également publié sans être inquiétés. Il a seulement accompli un geste de solidarité citoyenne sur internet.

Dans son texte, Brice Petit reprochait aux agents de police de l’avoir brutalisé et mensongèrement accusé d’outrage. Il a été relaxé de l’accusation d’outrage par la même décision qui condamne Jean-Michel Maulpoix. Il a aussi été relaxé des poursuites engagées contre lui pour avoir affirmé que les policiers l’avaient brutalisé. C’est donc qu’il disait la vérité et c’est donc la vérité que le texte publié sur internet dénonçait.

Mais Jean-Michel Maulpoix, simple internaute solidaire, a lui été condamné grâce aux règles procédurales de la diffamation qui lui interdisent de démontrer qu’il a dit la vérité et qu’il était de bonne foi. On lui a appliqué à la lettre une loi obsolète au bénéfice de policiers dont les mensonges et la brutalité ne sont pas démentis par la même décision de justice.

Existe-t-il une liberté d’expression si elle ne protège pas une personne qui dit la vérité et est de bonne foi ?

Régis Poulet, pour le comité et collectif de rédaction, réagit en proposant ce texte : "De l’horrible danger d’une parole libre".

Nous, Jules Casoar, par la vertu du Respectable jurisconsulte de la Glorieuse République, probe parmi les probes, élu entre les élus, à tous les citoyens qui liront cet édit, courage et génuflexion.

Or donc Mirliton Adada, ci-devant ambassadeur de la Sublime Constitution vers un petit Etat nommé Ferney, situé entre la Parenthèse et le Jourdhui - ainsi que Férule Atalonete, ci-dessous Grand Ordonnateur de la Pure Pression, son rémora, ont rapporté parmi nous le nocif usage de la liberté de parole ; ayant consulté sur cette nouveauté nos augustes experts et conseillers, et surtout nos amis, connus pour leur zèle contre l’équité, il a semblé bon au Grand Epicier et à nous de vaporiser, punir et persécuter ladite séditieuse liberté de parole, pour les raisons suivantes :

1. Cette habitude de dire ce que l’on sait nuit évidemment à l’injustice, qui est le compost et le ferment des Etats bien policés.

2. Il est à redouter que, parmi les propos diffusés sur l’Etoile, il ne s’en trouve quelques-uns sur la solidarité et sur les moyens d’améliorer la justice sociale, lesquelles opinions pourraient à la longue, ce qu’à Poum ne plaise, réveiller le génie de nos concitoyens et électeurs, et leur inspirer quelque bienveillance, quelque amour de la chose publique, dispositions en tout contraires à la doctrine sacrée de l’Epididyme.

3. Il arriverait à la fin que nous aurions des masses libérées de la résignation qui entretient la nation dans une heureuse stagnation. On aurait dans ces déclarations l’impudence de distinguer les bonnes et les mauvaises actions et de recommander la justice et l’amour du peuple, ce qui est notoirement contraire aux usages de notre caste.

4. Il se pourrait même, à l’avenir, que de misérables poètes, écrivains ou philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.

5. Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour la démocratie, et en affirmant scandaleusement que les élus doivent ouïr leurs ouailles après les élections, diminuer la consommation d’antidépresseurs, au grand dam de leur santé mentale.

6. Il arriverait sans doute qu’à force de lire ces auteurs qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous préserver de la peste grise, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres du Marché.

A ces raisons et autres, pour le profit des citoyens et pour leur bien-être moral, nous leur défendons de jamais s’aventurer à faire part de leur indignation, sous peine d’antirépublicanisme. Et, de peur que la tentation gauchiste ne les prenne de défendre l’équité, nous interdisons aux pères et mères d’inculquer le sens de la justice à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément d’avoir une opinion, sous les mêmes peines ; nous enjoignons à tous les vrais républicains de dénoncer quiconque aurait prononcé sans permission officielle quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un jugement moral ; nous ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’usage prescrit par Poum.

Et pour empêcher qu’il n’entre quelque justice en contrebande dans la fière République, nous nommons spécialement le premier maçon de sa Hautesse, lequel maçon, ayant déjà écrasé sous son béton armé maintes fleurs de rhétorique, est intéressé plus que personne à prévenir toute nouvelle introduction de graines dans le pays ; nous lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute parole contestataire qui se présenterait sur papier ou sur toile aux frontières, et de nous amener ladite parole pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira.

Donné dans notre palais de l’iniquité, le jour de l’opinion, l’an 213 du calendrier républicain.

P.-S.

Pour la rédaction, Régis Poulet

(Pastiche du texte de Voltaire "De l’horrible danger de la lecture", 1765)

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