- Peux-tu présenter cette nouvelle structure ?
Les Éditions du Zaporogue sont une micro-structure d’inspiration libertaire, qui a pour but de publier des textes de qualité qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux.
C’est une maison d’édition à but littéraire uniquement et non-lucratif - les textes sont téléchargeables gratuitement et les lecteurs qui désireraient une version papier ne doivent s’acquitter que des frais d’impression et de port auprès de l’imprimeur, lulu.com.
Les auteurs restent les propriétaires de leurs textes, qui ne sont que « prêtés » au Zaporogue pour un temps indéterminé - le temps, on espère, qu’ils trouvent leur place chez un « véritable » éditeur.
La gratuité ici n’est qu’un moyen, pas un but. Si les écrivains pouvaient aujourd’hui réellement vivre de leur plume et être sûrs d’une véritable reconnaissance, cette structure n’aurait pas lieu d’être.
Ce que je veux, avec les Éditions du Zaporogue, c’est redonner une valeur symbolique (mais réelle) au travail d’écriture, sous quelque forme que ce soit.
Il y a évidemment un choix après une lecture, choix qui repose sur mes épaules et que j’assume. Si le Zaporogue doit un jour exister de manière moins confidentielle, ce sera par la qualité des textes publiés.
C’est une aventure, et comme toutes les aventures, on ne sait pas où elle mènera - aux palais dorés de la gloire ou dans les précipices profonds de l’oubli...
Mais je pense qu’elle vaut la peine d’être tentée.
Et je crois bien que je ne suis pas le seul...
- Pourquoi avoir choisi Lulu ?
J’ai découvert Lulu il y a quelques années, dans un article de Libé. Sur le moment, je n’en ai pas pensé grand-chose, mais peu à peu, l’idée de conserver mes manuscrits sous forme de livres m’a intéressée - en particulier pour des textes difficiles voire impossible à faire publier de manière commerciale, comme la poésie, par exemple.
C’est mon départ pour le Danemark qui m’a ouvert les yeux sur les possibilités réelles offertes par ce site qui n’est, je le rappelle, qu’un gigantesque service d’imprimerie.
Depuis longtemps, j’ai constaté qu’en France, l’édition souffrait beaucoup économiquement (et cela sans le problème du piratage peer-to-peer !) et l’écrivain encore plus.
De plus, il est de plus en plus difficile pour un écrivain d’obtenir une reconnaissance réelle, puisque bien souvent, pour entrer dans le cercle des « écrivains reconnus », il lui faut des ventes que généralement il lui sera impossible d’obtenir, (environ 2000 ou 3000 exemplaires), sauf s’il a de la chance (ce qui arrive parfois) ou qu’il ait un réseau dans les médias qui soit prêt à l’aider (ce qui arrive parfois aussi).
Mais la condition de l’écrivain, aujourd’hui, me semble beaucoup plus défini par ses ventes que par son travail d’écriture.
Je me suis donc dis que si on pouvait libérer l’écrivain de son lien vicieux avec la réussite commerciale, on pourrait découvrir tranquillement de nouveaux auteurs, de nouvelles formes, de nouvelles aventures littéraires.
Mais il fallait absolument passer par un nouveau rapport éditeur-écrivain, où la situation serait partagée, c’est-à-dire que si l’écrivain ne gagnait rien (sinon une juste reconnaissance pour son travail et un public éventuel), l’éditeur ne devait rien gagner non plus.
D’où l’idée des « Editions du Zaporogue, maison d’édition à but non-lucratif ».
Dans cette perspective - travailler directement avec un imprimeur qui vous laisse votre entière liberté quant au format et au design des livres, qui ne coûte rien à utiliser et vous évite d’avoir du stock mort - lulu.com me semblait être le bon choix.
– Quel est le type de licence utilisée avec Lulu.com, sachant que c’est un des problèmes de ce site. Pour avoir une distribution globale, il faut être publié par lulu en Europe ?
La licence recouvrant le droit d’auteur de lulu.com est un copyright standard, qui ne protège les écrivains ni plus, ni moins qu’une édition en ligne. Mais comme les œuvres sont gratuites en téléchargement et que le prix que l’on paie pour avoir une copie imprimée est celui de l’impression uniquement, le problème de « droits d’auteurs » se pose différemment. Tout est toujours plus simple quand on ôte la notion de profit. De plus, les écrivains que je publie gardent tous leurs droits et si, par chance, leur texte trouve preneur dans une maison « officielle », il est immédiatement ôté de ma liste. Le contrat est tacite et non contraignant. Un contrat social, en quelque sorte, pour le bien de la culture générale.
- Y aura-t-il une mise une place en librairie ?
Non, puisque c’est une maison d’édition à but « non-lucratif » et que je vois mal des libraires accepter de « vendre » des livres qui ne rapportent rien et que l’on peut télécharger gratuitement sur le Net.
Par contre, je suis convaincu que pour réussir dans sa mission d’interface le Zaporogue doit absolument s’incarner dans des évènements réels et ne pas se cantonner au virtuel.
La maison n’ayant encore qu’un mois d’existence, je ne sais pas encore quelles formes pourraient prendre ces incarnations, mais je trouverai et suis ouvert à toutes suggestions.
Les livres sont proposés gratuitement au format numérique, rejoignant l’expérience des lybers des éditions de l’éclat. Crois-tu au format numérique ? Aux liseuses comme la Sony ou celle d’Amazon ?
Je crois que l’avenir du livre, en effet, passera par le numérique - après tout, la littérature est passée par bien des métamorphoses de son support au cours des siècles, des tablettes d’argile au papier recyclé, en passant par le papyrus et le parchemin.
Je comprends les angoisses des lecteurs attachés à l’objet livre, mais pour moi c’est comme les amoureux du vinyle par rapport au CD ou au format MP3 - c’est bien que les passionnés existent, mais il faut aussi accepter l’avenir.
En cela, je me sens très proche des éditions de l’Eclat, mais aussi de Publie.net, d’autant plus que ces deux maisons recherchent aussi des voix nouvelles ou des formats différents.
Quant aux e-books ou liseuses numériques, oui, bien sûr que j’y crois. C’est comme les CD ou les DVD par rapport aux vinyles et aux cassettes, il faudra encore un peu de temps pour que cela devienne la norme et que les coûts baissent, mais cela viendra.
Par contre, je crois que la plus grande révolution ne tiendra pas dans l’écriture elle-même, qui elle évolue en fonction du zeitgeist plutôt que de la technique, mais dans les rapports entre écrivains et éditeurs, lecteurs et produits.
En effet, quand je vois que les livres téléchargeables sont vendus quasiment au prix papier et que les droits d’auteurs sont encore réduits, cela tient du à la fois du meurtre (pour l’écrivain) et du suicide économique (pour l’éditeur ). A l’époque du peer-to-peer, il est évident que des prix de téléchargements élevés vont inciter à la piraterie.
Il faut donc que les éditeurs traditionnels révisent leurs rapports avec les écrivains sur le front numérique. Si j’avais les moyens, il me semble qu’un minimum de 50% de droits pour les écrivains serait juste, sur des téléchargements à deux euros, les coûts de distributions ayant été réduit quasiment à néant.
Quant aux libraires, je pense qu’il va se poser de vrais problèmes.
As-tu choisi lulu pour privilégier l’objet papier par rapport au format numérique ?
Pour privilégier, non, mais parce que je suis quand même un lecteur traditionnel et que je pense qu’offrir les deux possibilités est un plus. D’autant plus que le travail de l’imprimeur est impeccable - j’ai commandé tous les ouvrages que j’ai publiés et suis plus que satisfait du résultat.
Combien de livres prévoyez-vous de publier chaque année ?
Les Éditions du Zaporogue ont un petit mois d’existence et j’ai déjà publié trois ouvrages, bientôt quatre, avec deux de plus dans les prochaines semaines.
Je n’ai pas d’idées précises - cela va dépendre des textes qu’on m’envoie, du retour des lecteurs, du soutien des réseaux capillaires... D’un côté je pourrais publier facilement 50 ouvrages par an, de l’autre il faut que les textes existent et qu’une identité se crée autour de la maison, ce qui exige un choix plus restreint.
Mon espoir est que certains des textes soient présentés et/ou critiqués sur des sites culturels, voire dans des médias traditionnels. Pour moi, la littérature ne peut être que virtuelle. Il faut absolument qu’elle déborde dans le réel, dans le vivant. Il ne faut pas qu’elle survive. Il faut qu’elle vive.