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L’Apocalypse est une starlette 

(...) en France vers 2017 &

samedi 5 novembre 2016, par Pacôme Thiellement





« La fin du monde, c’est comme Hollande : même ceux qui n’en attendaient rien ont été déçus. Quatre ans après, il va falloir se rendre à l’évidence : l’Apocalypse n’est pas une mariée qui soulève son voile, c’est une starlette qui menace de se suicider pour qu’on fasse attention à elle. »



L a fin du monde, c’est comme Hollande : même ceux qui n’en attendaient rien ont été déçu. Quatre ans après, il va falloir se rendre à l’évidence : l’Apocalypse n’est pas une mariée qui soulève son voile, c’est une starlette qui menace de se suicider pour qu’on fasse attention à elle. 2012, c’était maintenant ou jamais. Tout le monde en avait marre. Le soir du dernier jour, nous étions dans une fête comme dans la chanson de Prince, et nous dansions. La fête n’était pas si gaie ; les néons bleu et rose ambiance années 80 n’éclairaient qu’une scène clairsemée, avec une vingtaine d’invités dansant dans des chemises pelle à tarte et des pantalons pattes d’éléphant. Soudain la vitre qui nous séparait de la rue était brisée et volait en éclats. C’était un homme qui s’était projeté dans la fête. Énorme, électrique, une tête de bébé plein de rage, il semblait sorti d’une gravure médiévale, avec une armure composée d’une centaine de couteaux pointus, et il bondissait sur moi. Je me réveillai en sursaut de cet hatsuyume [1].

Depuis, nous survivons, mais ce n’est pas le recommencement. C’est plutôt le lent pourrissement d’un monde sans boussole. Tous les jours la chanson de Zappa se fait plus exacte : « La planète n’explosera pas, elle ne disparaîtra pas, mais elle aura l’air dégueulasse pour des millénaires. » [2] Et on n’arrête pas d’y penser. Depuis décembre 2012, on pense au dernier jour tous les jours. Ce qui est infernal dans le fonctionnement de l’esprit humain, c’est qu’on ne peut pas simplement décider de ne pas penser à ce qu’on ne veut pas penser. On essaie de toutes nos forces d’oublier une personne ou une humiliation, mais c’est impossible. Plus on veut en finir, plus elle nous obsède. S’il y a bien une raison de développer un yoga approprié à notre cas, c’est celle-là : ne pas être prisonnier de nos propres obsessions. Et, pour commencer ne pas être prisonnier des obsessions dont on ne veut même pas ! On ne parle que de ce qui ne va pas. On s’accroche à ce qui nous résiste, quitte à en crever. On gratte sempiternellement une petite plaie purulente qui ne cicatrise pas.

« Je me fiche de me faire tuer. En revanche je déteste qu’on me prévienne avant. » Cette vanne de Bob Dylan est plus profonde qu’elle n’y paraît. La fin du monde, non seulement on s’en fiche, mais elle nous serait peut-être très agréable. On serait peut-être très heureux au moment d’en finir, comme Justine dans Melancholia [3]. On serait peut-être soulagé de ce monde qu’on porte sur nos épaules tous les jours comme un fardeau. C’est le grand supermarché des annonces de la fin des temps qui est pénible. Entendre sans arrêt parler de « ce qui va venir », de la « menace qui vient », nous immobilise, nous paralyse et nous anéantit. A d’autres, l’étoile Absinthe [4] !

Il y a pire. C’est le monopole absolu sur l’univers de l’information que représentent les élections. Et les primaires amplifient encore ce monopole. Ça rallonge le cauchemar de six mois. On n’a rien demandé, mais les polices du cerveau occupent notre âme pendant presque un an par des élections dont on sait qu’elles ne changeront rien à notre monde, à part l’empirer. Et je ne parle pas des « livres » des « politiques » qui occupent le devant des librairies de façon désormais quasi-permanente. Hollande, Valls, Sarkozy, Macron, Juppé, Copé, Mélenchon, Montebourg, NKM, Le Pen, De Villiers, et puis qui encore ? Quand ce n’est pas leurs livres de débiles mentaux écrits comme s’ils parlaient à des ânes, ce sont des reportages sur eux dévoilant leurs plans machiavéliques pour gagner de prochaines élections, ou les raisons pour lesquelles ils ont perdu les précédentes... Sans compter toutes les séries « politiciennes », de West Wing à House of Cards, en passant par Games of Thrones... Passer notre temps à observer les manæuvres d’une bande de tocards : quel enfer. Bientôt ils raccourciront encore la durée d’une présidence, et rallongeront celles des primaires, de sorte qu’avant même qu’un président ne commence son mandat, on nous demandera déjà de voter pour les primaires qui suivent. Si on commençait à être un peu sage, on leur répondrait : « Je me fiche d’être dirigé par un connard. En revanche je déteste qu’on me demande de choisir entre deux d’entre eux. »

« You can’t hurry love. You juste have to wait. » [5] Ça ne sert à rien de chercher l’amour, c’est quand on n’y pense même plus qu’il nous tombe dessus. Peut-être qu’en arrêtant de nous soucier de leurs gueules de crétins, par la puissance de notre indifférence, face à l’iceberg de notre désamour, la classe politique coulera comme le Titanic, son emprise cessera de s’exercer sur nous et les choses s’amélioreront. Peut-être qu’en commençant à vivre comme si nous étions au début d’un nouveau cycle, alors le précédent cessera sans même qu’on ait besoin de s’en rendre compte. On se souvient du logion de Kafka : « Il n’est pas nécessaire que tu sortes de chez toi. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends, simplement. N’attends même pas, soit pleinement calme et seul. Le monde va s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut rien faire d’autre, il va se tordre extasié devant toi. » [6] Il n’est pas nécessaire qu’on se soucie des décisions de la classe politique. Faisons notre vie et attendons. N’attendons même pas. Occupons-nous de nos brothers et sisters comme si les crapules au sommet de l’État ne pouvaient rien contre nous. Le jour où on cessera de croire à leur pouvoir, ils se tordront extasiés devant nous, puis disparaîtront.

On met très longtemps à se rendre compte qu’une chose a disparu. La plupart du temps, elle ne manque pas. Simplement un jour, quelqu’un nous dit, au détour d’une conversation :

— Tu as vu ? La fin de ce monde a eu lieu quand on était occupé à faire autre chose. Elle s’est accomplie en silence à l’instant exact où nous avons commencé à vivre.


À Paris, le 5 novembre 2016, 1 h du matin
Pacôme Thiellement
(source FB, avec l’autorisation de l’auteur et sous son copyright)



Pacôme Thiellement vient d’achever un livre sur le gnosticisme et le monde contemporain à paraître en 2017 aux PUF dans la collection Perspectives Critiques (dir. Laurent de Sutter).


P.-S.



En logo, le portrait photographique de Pacôme Thiellement est de © 2012 Arnaud Baumann.
Le site du photographe :
http://www.baumann-photo.net/

Le site de Pacôme Thiellement (conception Pierre Poutrelle) :

http://www.pacomethiellement.com/


Quelques liens sur les dernières activités de l’auteur :

France Culture, dans la série Cinq fois de Marie Richeux, en octobre et novembre 2016
(écoute en différé et podcast) :
 Pacôme Thiellement, 1/5 : « La fin des carnavals ».
 Pacôme Thiellement, 2/5 : « L’Antechrist »
 Pacôme Thiellement, 3/5 : « L’étoile absinthe »
 Pacôme Thiellement, 4/5 : « La grande prostituée de Babylone »
 Pacôme Thiellement, 5/5 : « A qui profite l’Apocalypse ? »

La première inaugurale des deux premiers films de la tétralogie sur Tout (et ses monstres), Stupor Mundi, écrite et réalisée par Pacôme Thiellement en collaboration avec Thomas Bertay, eut lieu à La Gaieté lyrique à Paris le 13 mars 2016. Stupor Mundi 1. « Rituel de décapitation du Pape » et Stupor Mundi 2. « Les hommes qui mangèrent la Montagne » poursuivent d’être diffusés dans le cadre d’événements artistiques, poétiques, ou cinématographiques, en France et à l’étranger, pendant que les auteurs préparent les deux films suivants.

Gro guest du 5ème Festival du Film Grolandais (FIFIGROT 2016) de juin à septembre 2016, à Toulouse, Pacôme Thiellement a entre autre donné une conférence sur la revue Le grand jeu (1928 - 1932) avec des lectures des poètes René Daumal et Roger Gilbert-Leconte par Hermine Karagheuz ; c’était le 20 septembre :



Le dernier ouvrage de librairie paru de Pacôme Thiellement est Cinema Hermetica, Paris, Super 8 éditions, (janvier 2016).
Au moment de la sortie du livre une installation lui a été consacrée dans La revue des ressources et comporte un extrait toujours accessible : « Le cinéma est un fantôme de la nuit ».


Notes

[1Hatsuyume - 初夢 - est le mot japonais pour le premier rêve de la nouvelle année.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hatsuyume.

[2Citation en français de « Dumb All Over », une des chansons de la face trois du double album de Frank Zappa You Are What You Is (1981).

[3Il s’agit du film Melancholia (2011) de Lars von Trier, créateur auquel Pacôme Thiellement a fait une large place dans ses ouvrages et dans la Presse parmi laquelle l’article « Le rideau troué de la fin des temps » dans le No 697 des Cahiers du cinéma dédié au cinéaste (février 2014).

[4C’est l’étoile de l’Apocalypse, elle tombe du ciel quand le troisième ange sonne et devenant Satan elle empoisonne le tiers des eaux qui transformées en absinthe causent la mort d’une partie de l’humanité. L’Étoile-Absinthe est aussi le titre de la revue des amis d’Alfred Jarry créée en 1979, un des auteurs de référence de Pacôme Thiellement auquel il a notamment consacré la conférence « Viens, étoile Absinthe, » au Cirque électrique, dans le cadre de son cycle Satan Trismégiste en résidence à la librairie-galerie Le Monte-en-l’air en 2013, à Paris, et à laquelle il réfère ici.

[5 « You Can’t Hurry Love », fameuse chanson des Supremes créée en 1966 sous le label Motown et souvent reprise.

[6Franz Kafka, Réflexions sur le péché, la souffrance, l’espérance et le vrai chemin, traduit par Bernard Pautrat, Paris, éd. Payot et Rivages, coll. Rivages poche, Petite bibliothèque, 2001, p. 77.

1 Message

  • L’Apocalypse est une starlette 13 novembre 2016 17:29

    Très bon article , qui pour ma part , m encourage .. etrangement ! il est dans le fond hyper positif car il va droit au coeur sans detours et sans mensonges.
    Je vais exprimer mon avis et mes croyances qui n appatiennent qu à moi bien sur ! ( j’ai un avis très prononcé sur une soit disant apocalypse).
    Des années qu on parle de fin du monde sans aucun changement, en effet , si ce n est un monde figé, et une lente agonie qui présage un avenir flou et toujours plus incertain ..
    Personnellement Ce monde ne me manquera pas , je ne m’y accroche plus , je préfère prendre du recul.
    Je suis convaincu que la fin de ce système aura bien lieu et qu il faudra choisir son chemin , le bon pour soi mais aussi pour ceux qu on aime ,et qu une aide Divine changera bientôt ce monde.Je reste convaincu que ça va péter tôt ou tard.
    Mais je pense aussi sincerement que la bonté d’un Dieu est meilleure que la vie et j’ai l audace d y croire , je crois en Dieu tout puissant et Je suis sûr qu il est caractérisé par la compassion L’amour et la miséricorde , qu’il n a pas détourné son regard de la misère ni de la souffrance , qu il ressent des émotions et des sentiments et qu’il est intelligent , qu il a agit , agit , et va le faire ,je crois qu il est comme un feu sacré, ardent , dévorant et bien réel en volonté et puissance , je ne peux croire en un createur si absent et égoïste qui regarde avec paresse ce monde ... je crois que la vérité a une autre explication sur notre monde , bien fondée malgré tout ..
    Je parle de cela car je pense qu on a besoin de se raccrocher à du positif surtout dans notre époque , votre article fait terriblement réagir sur certaines choses ,et je pense aussi qu’il y a assez de negatif et de peur dans notre société.
    Je parle simplement , je n ai pas de religion je les ai laissées je crois juste en Jesus et Dieu mon espoir je l’ai placé en eux , même si ma patience se refroidit de plus en plus et que je manque souvent de foi je l avoue.
    Mais des articles comme le vôtre m encourage !
    Pour reagir encore a cet arcticle je crois dur comme fer que ce système ne durera pas , qu il y aura une tempête qui va éclater sur la scène mondiale et qu après quelque chose de plus beau attend l homme.
    Je pense que pour l instant le monde est peut être destiné a son propre échec, c’est peut être pour moi une manière de vouloir être humble et lâcher prise ... l homme aura toujours domine l homme a son detriment , lhistoire est peut être écrite à l avance , et ce monde sans Dieu , et rempli de fausses religions construites a limage de lhomme s ecroulera en beauté ! C’est sur ce n’est qu’une question de temps.
    La vérité sortira toujours au grand jour, tôt ou tard.
    En attendant Saimer les uns les autres restera une force inestimable ainsi que de trouver ce qui est vrai et digne de confiance.
    Il faut en être persuadé il faut se ressourcer aussi auprès d’un être plus puissant que tout ,surtout plus digne de confiance que l homme , et plus sain que ce monde , c’est mon humble avis.
    J’ai trouvé un Dieu qui me console , celui de Jésus, et je tombe sur des articles comme le votre , à mon avis de personnes ouvertes d esprit, avec un regard très lucide sur le monde et cela m aide beaucoup.
    Pour finir c est Peut etre un peu hors sujet mais un des films qui m a marqué ces derniers temps est x men apocalypse , s’accepter , s affirmer et être fort , s ouvrir a " son monde " et aux autres , et enfin deployer son vrai potientiel , sa lumiere , tout en etant dans un monde figé gouverné par la peur et le chaos .. cest paradoxal mais cest un message puissant que j ai trouvé tout à fait adapté a notre époque.Bonne continuation a vous , merci pour cet article fort en paroles , et fort intéressant.
    Jonathan.

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