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Avec Abdel Krim Benalouach (Krimo) 

mars 2008, par Delphine Maza

Pour Abdel Krim Benalouach, employé en France depuis 8 ans, travaillant sans salaire depuis 2 ans, porter plainte aux Prud’hommes, c’est retourner la loi contre soi avant même un procès. Aussi est-il arrêté, dans le but d’une reconduite à la frontière. D’abord reconnu comme sans-papiers, son expulsion s’impose, tandis que son employeur pourra vaquer sans plus d’ennuis. Comment ? Lui qui n’a pas le droit de séjour pourrait en plus réclamer son salaire ? Pour Krimo, c’est la fin de tout : et le début d’une grève de la faim.

J’ai entendu de nouveau il y a peu la thèse de Francis Fukuyama, philosophe, datant de 1989, sur la fin de l’histoire. La démocratie libérale étant la forme la plus naturelle de système politique et économique, il peut proclamer que les événements à venir ne sont désormais qu’ajustements de ce système... Oui. Le libéralisme est naturel. Ce qui a permis cette situation de précarité telle qu’au bout de dix ans l’Etat français vous renvoie en vous retirant votre permis d’exister, des papiers, c’est bien un système rétablissant de purs rapports de force entre minorités migrantes, pauvres ou pourchassées, ou les deux, et majorité consentante. Entre travailleurs sans droits et employeurs sans devoirs, tout n’est affaire que de régulation, tandis qu’une révolution est impensable, à tout le moins inopérante.

Nous n’entendons pas la plainte de Krimo - aux Prud’hommes-. Ceux que l’on appelle les étrangers ne sont jamais aussi loin que lorsqu’ils travaillent ici. Sans doute pensons-nous que le droit ne les touche pas. Nous connaissons leur peine, mais nous savons aussi leur désir de rester. Nous ne devrions à vrai dire nous appeler « Français » dans l’esprit que lorsque nous sommes prêts à être des étrangers. Ou bien ce ne sont que des idées, un monde d’idées. Alors, quand le réel survient, quand la loi s’impose, c’est pour apprendre qu’elle est indiscutable, sauvage, nécessaire.

Je ne voudrais pas que l’on juge, un homme sans : sans papiers, sans salaire, sans droits, pendant que nous resterions avec des yeux reposés, avec un esprit volontiers magnanime. Je voudrais que l’on m’explique le pourquoi de cette reconduite à la frontière quand il s’agit de faire valoir que l’on n’est pas esclave, au pays des Droits de l’Homme. Je voudrais que l’on entende la plainte de Krimo comme une faim de l’histoire, l’envie d’espérer et de faire, plutôt que subir la loi dans la peur et la fatalité.

Oui, nous sommes dans un climat d’insécurité. D’ailleurs nous nous cachons derrière nos écrans d’ordinateur, derrière nos pseudonymes légers. Qui en première ligne, pour offrir ce seul café que Krimo ingère depuis 13 jours ? Mais le virtuel nous protège-t-il ? Nous évoluons dans ce monde sans règles à nos dépens. Que faire ? demande l’internaute, déjà prêt à mailer des pétitions, faxer au nom du comité de soutien des lettres polies.

Que faire ? Peut-être attiser en nous le feu de l’injustice. Et se lancer contre l’expulsion comme des feux-follets. Brûler nos propres papiers, immigrer dans nos forêts humaines, raconter l’histoire de la faim, selon ses moyens. Peut-être prier, quel que soit son Dieu, pour nous-mêmes, nous autres civilisation vieillissante dont l’agonie, selon la loi naturelle, s’annonce avec des spasmes violents. Surtout, éclairer de nouvelles voies, un autre monde possible avant la fin.

Tout plutôt que de laisser embarquer de force un homme complètement affaibli, de révoquer le droit, celui de vivre comme celui d’être payé pour son labeur. Face à la grève de la faim de Krimo, je déclare que nos têtes sont vides. Et moi aussi je souffre et j’ai faim de l’histoire.

P.-S.

Malheureusement, Krimo a été expulsé, comme bien d’autres victimes de la politique du "chiffre", alors que peu après des travailleurs sans-papiers sont entrés en grève pour que soit mis fin à l’indignité de leur situation. BG

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