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De nouveaux espaces pour la littérature ? 

dimanche 2 août 2009, par Rédaction (Date de rédaction antérieure : 3 novembre 2008).

L’ année 2008 aura vu l’ apparition de nouvelles formes d’ édition en ligne d’ œuvres littéraires. Prenant acte du fait que les maisons d’ édition avaient globalement renoncé à éditer de la littérature expérimentale (celle-ci débordant largement le cadre du roman formaté et édité en fonction d’ un public donné), François Bon a crée au début de cette année Publie.net, une structure éditoriale en ligne proposant des textes contemporains qui, dans le contexte actuel, ne pourraient être publiés sous forme de livre-papier. Quelques textes sont ceux d’ auteurs confirmés (Roubaud, Chevillard par exemple), la plupart sont l’ œuvre d’ écrivains peu connus. Les livres au format pdf sont vendus via un système de paiement sécurisé au prix de 5,50 euros, la moitié revenant à l’ auteur.

Une autre démarche est celle de l’ éditeur Léo Scheer. En novembre 2007, il met en ligne le manuscrit de Géraldine Barbe intitulé Rater mieux, créant du même coup une nouvelle collection, M@nuscrits. Très vite d’ autres textes sont proposés en ligne, sans sélection préalable. L’ idée est d’ offrir le manuscrit à l’ état brut, en permettant à l’ auteur de reprendre et d’ améliorer celui-ci sur Internet (ce qui, à ce jour, n’ est pas encore le cas, essentiellement pour des raisons techniques), et de voir son texte commenté par les lecteurs. Les manuscrits en ligne sont téléchargeables gratuitement au format pdf. On peut aussi en découvrir les dix premières pages, selon une présentation qui rappelle intelligemment celle du livre-papier.

Les deux démarches sont très différentes. La première privilégie encore le travail de collaboration entre un éditeur numérique et un auteur, il y a donc édition du texte. La seconde permet à des auteurs en herbe ou plus confirmés d’ être lus sans travail éditorial préalable, mais avec une certaine validation littéraire (ou pseudo-validation, cela reste à discuter) par la présence des textes sur un site d’ éditeur qui, en outre, a engagé le dialogue avec lecteurs et auteurs (mais pas seulement) sur un blog très fréquenté.

Phénomène intéressant, Léo Scheer décide quelques mois plus tard de publier le récit de Géraldine Barbe sur papier, dans une nouvelle collection intitulée M@nuscrits... Ce passage du Net au papier est baptisé « rétropublication » par l’ éditeur, ce qui nous amène à nous questionner sur la signification réelle que peut avoir la mise en ligne de manuscrits à l’ état brut. S’ agit-il d’ un moyen pour l’ éditeur de remplacer le manuscrit-papier dont la gestion représente une dépense de temps et donc d’ argent considérable pour le secrétariat de la maison d’ édition ? Il semble en effet que la lecture en ligne des manuscrits permette un gain de temps important, même si on peut se questionner sur l’ absence de réponse de la part de l’ éditeur que cela implique, le comité de lecture éditorial étant remplacé par une série de commentaires faits par des « non professionnels » pas toujours bien intentionnés... D’ où l’ apparition de prétendues « critiques » à la mise en ligne hebdomadaire des M@nuscrits qui ne laissent aucune place à une véritable argumentation, « critiques » qui pourraient, avec le nombre de lectures en ligne, influer sur la possible rétropublication... On serait face à un phénomène de « Star Académie » littéraire qui sonnerait le glas d’ une littérature exigeante.

Il y a cependant une seconde lecture possible de cette démarche inédite, lecture qui n’ annule pas la précédente : ce mode d’ accès direct au manuscrit, sans filtre éditorial, permettrait l’ apparition de nouvelles formes d’ écriture, celles de blogs. C’ est ce qu’ affirme Léo Scheer dans sa présentation de la collection M@nuscrits :

« Après l’ avènement de l’ imprimerie, il y a cinq siècles, la planète Gutenberg a permis l’ accès du plus grand nombre à la lecture. Après l’ avènement du numérique, depuis une dizaine d’années, une nouvelle et rapide mutation se déroule sous nos yeux qui permet l’ accès du plus grand nombre à l’ écriture. Nous assistons à l’ éclosion, sur l’ Internet, d’ une multitude d’ écritures, véritable explosion de ce qu’ on désigne parfois comme la blogsphère, terme qui vient de l’ écriture quotidienne des blogs, particulièrement répandus dans notre pays.
Comment faire rencontrer la blogosphère et la planète Gutenberg ? C’ est une des questions majeures pour l’ édition de demain. »

Il en irait donc d’ un renouvellement de la littérature s’ épuisant dans la marchandisation de livres conformes aux attentes d’ un public encore large, mais qui pourrait bien se détourner des choix qu’ éditeurs et critiques font pour lui. La littérature numérique serait une remise en cause du roman formaté publié par la grande majorité des éditeurs-papier, mais en même temps elle permettrait une réactivation de la littérature expérimentale devenue trop confidentielle. C’ est une hypothèse : dans cet afflux sauvage de manuscrits, hors de tout contrôle éditorial, surgiraient bien quelques textes de haut vol, imparfaits certes, mais insufflant peut-être le goût de la littérature comme expérimentation absolument personnelle. Privilégions cette hypothèse, sans savoir bien sûr ce qui adviendra.

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