Nous voici à l’aéroport. Il est une heure du matin. Les passagers pour Casablanca embarquent. Dans une heure nous nous envolons. L’atmosphère est très calme. On vient de saluer les parents et les amis qui sont venus nous accompagner. Aya voulait rester et moi abréger ce moment que je trouve toujours très dur. Tim, lui, ne veut pas partir. Il me demande déjà quand on va revenir.
Fièrement il épelle son deuxième prénom africain, celui qu’il refusait quelques semaines plus tôt. Je crois qu’on a gagné quelque chose d’important en faisant ce voyage. Tim a rencontré cette part inconnue et s’y est senti bien. Moi j’ai découvert quelque chose à la fois de très proche et de très lointain.
Les couloirs de l’aéroport sont longs. Passé le premier contrôle nous faisons peser les bagages. Une valise est trop lourde. Il faut enlever des cadeaux et les mettre dans une autre. Finalement on y arrive. On traverse un deuxième barrage et nous voilà dans un monde déjà différent, aux portes de l’Europe. J’achète des cigarettes et un type me fait un signe malicieux près des toilettes. C’est un technicien de surface qui me prête un briquet et m’indique où fumer. L’aéroport en zone internationale est non fumeur.
Je prendrais bien un bon gin. Je repense aux jours passés. A ce que j’imaginais avant, à ce qui s’est passé, au retour, au film à écrire, aux photos à choisir, aux rushs à regarder. J’ai deux films, voire trois idées de films en tête. Je m’imaginerais bien du coup vivre un an en Côte d’Ivoire pour les faire. Je me sens si léger.
Nous avons pu voir presque toutes les personnes que nous voulions rencontrer. J’ai juste raté un ami vosgien qui s’est installé à Abidjan il y a quelques années.
Nous passons un nouveau barrage. On retrouve la fille des premières vérifications qui fait un grand sourire à ma fille. Elle l’appelle "la belle brune aux yeux bleus" et moi le "beau", comme beau fils. Vérification des passeports et des visas puis des bagages à main. Rien à déclarer. Tout se fait tranquillement. Rien à voir avec Roissy ou Francfort. Ici on nous sourit.
Dans la salle d’attente je repère tout de suite les expatriés. Ils ont pour la plupart la cinquantaine ou la soixantaine et ont une manière d’être qui me rappelle une ancienne voisine pied-noir.
Hier justement nous sommes allés à Grand Bassam, l’ancienne capitale coloniale de la Côte d’Ivoire. On a trouvé un taxi jusqu’à la gare routière de Treichville, là même où Jean Rouch a filmé "Moi un noir". Puis nous avons pris un taxi brousse jusqu’à Grand Bassam.
Là, nous avons pris un taxi communal jusqu’à un petit restaurant-hôtel en bord de mer. La plage était déserte. Quelques Ivoiriens en séminaire mangeaient. Le lieu semblait presque abandonné et en même temps était assez racé par rapport à ce qui se fait chez nous en bord de mer. J’ai pris et filmé les enfants au bord de la mer. Deux types ont couru vers moi me demander si j’étais cinéaste. Ils revenaient d’un mariage et chantaient magnifiquement bien. Ils cherchaient un producteur à Paris. A suivi un petit marchand de bijoux. Aya lui en a acheté plusieurs après 3 heures de négociations. Avec les enfants nous avons marché, couru sur cette plage magnifique, balayée par un vent humide et fort qui soulevait le sable. Plusieurs personnes nous ont remerciés d’être là. Voir un Blanc ici est apparemment bon signe. Bientôt les touristes vont suivre. J’ai ramassé avec Tim quelques coquillages. Notre trésor de Côte d’Ivoire.
Le retour s’est passé simplement. Plus besoin de négocier les taxis brousse. J’ai compris qu’il ne fallait jamais demander le prix dans ces cas-là. Les gens du coin connaissent les prix. Si tu demandes, cela veut dire que tu ne les connais pas. Du coup on demande aux passagers. A Abidjan c’est toujours plus compliqué car nous habitons loin, et vu l’état des voitures, cela décourage beaucoup de chauffeurs qui connaissent le coin.
Nous voilà rentrant dans l’avion. Les hôtesses sont marocaines. Tim dort dans mes bras. Dans quatre heures nous serons au Maroc et si tout va bien nous aurons une correspondance rapide pour Paris-Orly. La Côte d’Ivoire me semble d’un coup encore plus loin. Ce soir, chaque passage, chaque arrêt marque la fin de ce voyage, le retour dans quelque chose de déjà connu qui remplit de mélancolie. On pense aux amis qu’on a laissés à l’aéroport. On pense à des visages comme celui de Béa, des odeurs comme celle des poubelles brûlant au petit matin.
J’enlève le mode avion de mon téléphone. Les courriels arrivent.
Je tombe sur celui-là de A. :
un jour, je verrai les étoiles
Je veux la sidération
Est ce que tu me laisses un peu de temps pour écrire
ce texte ou tu ne peux pas ?
Je comprendrais
Je suis perdue
Je dois retravailler le texte
Je veux être meilleure
Je veux être meilleure
C’est très important
mais ce n’est pas grave
je m’en tiens à ce que tu me dis
merci beaucoup pour ce délais
ce livre me cause du souci
je t’envoie mon brouillon retravaillé dans quelques jours
je relis d’abord le texte
j’écris bizarre
le livre est bizarre
Je reviens vers toi cette semaine je relis d’abord le livre
passe une belle nuit dans cette vie des étoiles
Orange me prévient que je viens de dépasser 50 euros de consommations internet. Je me remets en mode avion, demande une petite de bouteille de vin à l’hôtesse.
Tout le monde dort autour de moi. Je prends l’ordinateur et commence à écrire.