« Le programme de Jean Luc Mélenchon n’est pas un délire d’extrême gauche » et il n’est pas étonnant que le candidat du Front de Gauche soit en hausse en France : il propose des solutions réalistes là où le néolibéralisme a échoué.
Superbement ignoré par les médias jusqu’à très récemment, Jean-Luc Mélenchon est maintenant au centre du débat de la campagne présidentielle française. En vérité, tout en essayant d’expliquer sa spectaculaire progression dans les sondages — il est à 17% d’intention de vote, aux dernières nouvelles — la plupart des commentateurs n’ont pu s’empêcher de critiquer le candidat du Front de Gauche.
Une revue des principaux articles récemment publiés dans la presse britannique fournit un cas d’école particulièrement fascinant de préjugés politiques et malentendus. Mélenchon est décrit comme un « anti anglo-saxon avec une voix geignarde » (The Independent), un « populiste d’extrême gauche » (tous les journaux) et « une brute narcissique qui n’est là que pour provoquer » (BBC). Des commentaires plus sympathiques le comparent à George Galloway [1], ou le présentent comme un « provocateur d’extrême gauche », un « franc-tireur » et le « pit-bull de l’anticapitalisme ».
Il est frappant que ces évaluations plus favorables de la politique de Mélenchon restent… à côté de la plaque. Mélenchon est perçu comme un « gauchiste sympathique mais démodé ». Cette analyse ne saisit pas l’essence même de son projet politique. La percée de Mélenchon n’a rien à voir avec la « politique des années 70 » ni « la nostalgie », au contraire elle est la réponse à son positionnement très énergique face à l’actuelle crise du capitalisme. [2]. Il dit au public que la politique d’austérité appliquée partout en Europe est non seulement injuste mais encore contreproductive (même le Financial Times est d’accord avec lui). Le talent d’orateur de Mélenchon sert sa cause, et il est aussi un pédagogue cultivé : un politicien qui en toute dignité n’a jamais pris part à de vulgaires émissions de télé-réalité. De plus, Mélenchon est un républicain (« French Republican », par opposition à un Républicain américain) et un socialiste, pas du tout un marginal d’extrême gauche. Il a passé trente années avec le Parti Socialiste à plaider sans succès pour que ce soit un parti au service des travailleurs, et été ministre de Lionel Jospin.
L’éloquence est politiquement inutile si on n’a pas un message important à faire passer. Mélenchon en a un : le néolibéralisme est un échec, il serait suicidaire de persévérer dans ces pratiques inadéquates. En tant que député européen aussi il avait un programme convainquant. Dans ses discours instructifs ou ses interviews, il se démarque radicalement des politiciens conventionnels en expliquant que la crise économique est systémique, c’est à dire qu’elle est le résultat de nos mauvais choix politiques et de nos priorités erronées. Nos sociétés n’ont jamais été aussi productives et aussi riches qu’aujourd’hui, mais la majorité de la population devient de plus en plus pauvre, malgré le fait qu’elle travaille de plus en plus. Le problème n’est pas la production de richesses (comme les néolibéraux et les sociaux-démocrates de Blair voudraient nous faire croire) mais la distribution de ces richesses.
En France des pontifes déchaînés et des opposants affirment que le programme du Front de Gauche est un « cauchemar économique » ou une « fantaisie délirante ». Ne devrait-ils plutôt utiliser cette terminologie pour décrire la débâcle bancaire et la politique d’austérité à travers l’Europe ? Le nombre croissant de supporters de Mélenchon voit ce programme relever du simple bon sens salutaire : 100% d’impôts pour les revenus au dessus de 360.000€, retraite à taux plein à partir de 60 ans, réduction du temps de travail, une augmentation de 20% du salaire minimum, et la Banque Centrale Européenne devrait prêter aux gouvernements Européens avec un intérêt de 1% comme elle le fait pour les banques. Voilà quelques mesures réalistes pour soutenir des populations appauvries. Est-ce une révolution ? Non, c’est du réformisme radical ; une tentative pour stopper les formes les plus insupportables de domination économique et le dénuement dans nos sociétés. Des gros bonnets pourraient quitter la France, ils seraient remplacés par des dirigeants plus jeunes et plus compétents qui coûteraient bien moins cher. « L’humain d’abord ! » est plus que le titre d’un manifeste, c’est un impératif démocratique : une sixième république à la place de l’actuelle monarchie républicaine, la nationalisation de l’énergie (les sources d’énergie sont le bien public) et, ce dont on parle moins, la planification écologique de l’économie, le cœur du projet politique de Mélenchon.
Mélenchon a rendu encore un fier service à la démocratie française : au cours d’un débat télévisé mémorable [3] il a, pour la première fois depuis trente ans, écrasé l’extrême droite . Passant en revue le détail de la politique du FN, Mélenchon démontra que le programme de Marine Le Pen était rétrograde par rapport aux femmes. De plus, il a réduit en morceaux le mythe du FN qui « aurait à cœur les intérêts de la classe ouvrière ». Le Pen, mal à l’aise, en est restée sans voix.
La campagne de Mélenchon politise la jeunesse. Il attire la classe ouvrière qui, contrairement a ce que certains prétendent, s’était beaucoup écartée de Le Pen et choisissait l’abstention. Pour la première fois depuis des décennies, Mélenchon est en train d’aider la gauche à se reconnecter avec les classes populaires. Pour Mélenchon, le libéralisme ne fonctionne pas et inflige une souffrance inutile au peuple. Aucun autre politicien européen n’est mieux placé que lui pour argumenter sur ce point de manière convaincante.
Publication avec l’autorisation de l’auteur.
Source : © Philippe Marlière, Jean-Luc Mélenchon’s policies are no far-left fantasy, The Guardian, Comment is free, April 15th 2012.
Voir aussi :
Mise en scène néolibérale de l’élection présidentielle française à la BBC (5 avril 2012) ; et Jean-Luc Mélenchon redonne à la gauche sa dignité (29 mars 2012).
Remerciements : Louise Desrenards
Le programme de Jean-Luc Mélenchon n’est pas un délire d’extrême gauche by Philippe Marlière (auteur), Elli Medeiros (traductrice) is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License.
Based on a work at www.larevuedesressources.org.