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Note de critique sur Je voulais grandir davantage d’Emmanuel Hiriart 

jeudi 1er février 2007, par Michèle Duclos

Une enfance inachevée

Comment entendre le cri, ou le souhait, formulé par le titre du dernier recueil de poèmes d’Emmanuel Hiriart ? Il semble moins qu’il s’agisse de devenir ce qu’on appelle un « adulte » que de continuer d’élargir une approche du réel, du monde, en faisant se rencontrer, dialoguer, le monde imaginaire « non-euclidien » de l’enfance avec la rationalité scientifique aujourd’hui censée être notre seul réel - mais qui ne laisse pas d’ « induire/ une tristesse légère ». Et ce après Einstein, qui, non content de « redessiner l’univers », savait aussi « Tirer la langue pour la photo ». Toute la première section du livre tire des parallèles existentiels imaginaires entre la science mathématique pure et ce que le scientifique de la relativité appelait ailleurs « les délicieuses tranches de vie ».

Comme dans un récit autobiographique déguisé, le volume se déroule par étapes autour d’une succession d’images-métaphores où transparaissent des influences qui ont bercé l’adolescence du poète (et qu’il reconnaît sans entrer dans les détails à la fin du volume) :depuis la Bible abordée avec irrespect jusqu’à Jules Verne dont les héros se prêtent dans la dernière partie à de nouvelles brèves aventures. On retrouve en filigrane Rimbaud et ses Villes fantastiques, et surtout sa technique du récit allégorique des Illuminations ; un mode narratif qui conforte la revendication d’Yves Bonnefoy qu’ une pensée poétique doit sortit de l’ étroitement conceptuel. L’image allégorique du saltimbanque rappelle Baudelaire et Mallarmé mais elle est ici plus concrète : dans un recueil antérieur Hiriat a dit déjà sa fascination pour le cirque, pour les acrobates qui réalisent le rêve d’échapper à la pesanteur en se livrant à des « Jeux Icariens ». Mais aussi on retrouve Kenneth White en son périple amérindien, « Ivre d’idées » réalisant « Le bond dans une autre logique ...Idées-poissons, idées-oiseaux » (La Route bleue, p.79), Hiriart, dans un tout autre contexte littéraire et s’octroyant de taquiner occasionnellement le lecteur par des vocables rares mais très concrets, « Dans la folie des abordages/...Colle des « poissons poèmes/ Comme des rémoras/Dans le dos des vainqueurs » (p.51) en hommage à Defoe. Dans son amour des mers, orientales, bibliques ou païennes, - n’a-t-il pas « Ecumé les Caraïbes » et « Entrouvert le Mer Rouge (P.50) ; le poète en jeune pirate « marie le verbe et la vague » (p.47).

Dans son rejet de la coupure épistémologique entre la science et la vie de la psyché, il retrouve les Grecs qui savaient concilier géométrie cosmos et aventure en divisant leur monde entre « Les vivants, les morts et ceux/ Qui partent sur la mer » (p.24).

Hiriart vit « Dans l’amitié des arbres » (p.78). Ici aussi - grandir oblige - il faut que « l’arbre/ Echappe au botaniste » : « Ne dis pas l’arbre/ Fais-le / si tu peux » (p.75). [Bashô disait : Learn of the pine from the pine » (« pour connaître l’arbre, approche-toi de l’arbre)] L’arbre représente une approche immédiate du réel : Le grand arbre cosmogonique ne se contente pas de relier le chtonien à l’ouranien par l’intermédiaire de la terre, il offre ses branches aux oiseaux et à l’immanence sensorielle du monde. Il rejoint l’ acrobate comme modèle de vie poétique présocratique : « Vivre de peu/ Comme un vieil arbre,/ En équilibriste,/ Chaque matin plus vaste,/ Content de la terre et du ciel » (p.81).

Les Surréalistes parisiens voulaient retrouver une réalité ontologique plus riche en ouvrant grandes les vannes de leur inconscient ; mais en écartant la rationalité humaine ils ont mis en valeur le côté sombre et inquiet de la nature humaine et privilégié le fantastique sur le merveilleux - comme Ted Hughes après eux. Plus proche des surréalistes belges, Hiriart, s’il est sensible comme ses Saltimbanques favoris à la précarité de la destinée humaine et de l’inspiration, comme Kenneth White réunifie les deux hémisphères de la psyché humaine pour retrouver un « Chemin de chamanes » » joyeux. cher à l’Ecossais.

Les poèmes qui constituent le volume, tous très courts et en vers libres eux-mêmes courts ou en prose simple, bénéficient des encres pleines de clarté de Robert Brandy.

P.-S.

Emmanuel Hiriart est né en 1966. Il a publié des poèmes dans de nombreuses revues, en France et à l’étranger, et plusieurs recueils aux éditions Edinter. Son dernier recueil s’intitule Je voulais grandir davantage.

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