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A propos de "Sur Autofiction : pratiques et théories"  

vendredi 12 avril 2013, par Arnaud Genon

Sur Autofiction : pratiques et théories. Articles. Mon Petit Editeur, coll. Essai, 2013.

Qu’est-ce que l’autofiction ?

Un genre à la mode investi par les Narcisse germanopratins entend-on souvent… Si l’autofiction n’était que cela, en parlerait-on autant ?

C’est en 1977 que Serge Doubrovsky invente le mot autofiction pour désigner sa propre pratique initiée dans Fils (Galilée, 1977), qu’il vient alors de publier. Dans son prière d’insérer, il note, afin de définir son travail et de le distinguer de la traditionnelle autobiographie, qu’il s’agit d’une « Fiction, d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. » Par opposition, il évoque l’autobiographie comme « un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style ».

L’autofiction se caractérise par la présence d’un pacte autobiographique, défini par Philippe Lejeune en 1975 qui impose « l’homonymat » entre l’auteur, le narrateur et le personnage et d’un pacte romanesque dans la mesure où ces textes se voient estampillés « roman » sur la première de couverture. Il s’agit donc d’un pacte contradictoire, que Serge Doubrovsky résume à travers différentes formules telles que « Ma fiction n’est jamais du roman. J’imagine mon existence » [1] ou encore « Si j’essaie de me remémorer, je m’invente » [2]. En fait, ce que met à jour l’autofiction, c’est l’impossibilité de l’autobiographie. En effet, depuis l’avènement de la psychanalyse, il parait illusoire de vouloir se dire, se « capter » dans la mesure où le moi est insaisissable, multiple, fragmenté. L’écriture de soi devient dès lors une entreprise incertaine sur laquelle pèsent les légitimes soupçons du lecteur.

Si l’autofiction existe avant que Serge Doubrovsky n’invente le néologisme (chez Colette ou Céline par exemple), le genre se développe de manière spectaculaire, en France principalement, au début des années 80. Participant d’un retour du sujet consécutif de la fin des avant-gardes, l’autofiction rassemble des écrivains aussi différents que Serge Doubrovsky, Hervé Guibert, Guillaume Dustan, Christine Angot, Camille Laurens, Chloé Delaume, Christophe Donner, Patrick Modiano, Mathieu Simonet ou Abdellah Taïa pour n’en citer que quelques-uns.

Depuis le début des années 2000, l’autofiction souffre d’une mauvaise presse. Le terme, employé de manière approximative, s’est vulgarisé et est désormais utilisé pour désigner – à tort – un ensemble de textes dans lesquels les auteurs se livrent à des confessions et des aveux relevant davantage du sensationnel que d’un véritable travail sur soi, sur la mémoire, l’identité... De son côté, la critique universitaire cherche à cerner et à définir les frontières de ce nouvel objet littéraire parfois problématique comme le démontrent les nombreuses publications récentes. Au-delà du phénomène de mode – et l’exportation du terme à l’étranger en témoigne – l’autofiction semble être devenue la forme postmoderne du questionnement du sujet, de son identité, de son intimité, de son intériorité.

Dans Autofiction : pratiques et théories
que je viens de publier, j’essaie d’expliquer, en m’appuyant sur les pratiques et les théories liées au genre, ce qu’est l’autofiction… En voici l’avant-propos :

Depuis plus de dix ans, je m’intéresse à ce « mauvais genre [3] » qu’est l’autofiction. C’est en approchant l’œuvre d’Hervé Guibert que j’ai été amené à m’interroger sur cette notion qui nourrit régulièrement le débat critique, opposant les « avocats du diable » et les défenseurs de la « noble » fiction.

Ainsi, j’ai souvent été sollicité ou me suis proposé pour rendre-compte des nombreuses parutions autofictionnelles et des essais qui se penchent sur cette problématique. Durant ces dix années, j’ai donc rédigé une cinquantaine d’articles, parus tour à tour sur des sites de recensions, des revues électroniques, des revues papier associatives ou universitaires. Ces articles, que je décide aujourd’hui de réunir, constituent à mes yeux une cartographie de l’autofiction. Ils permettent en même temps de se faire une idée à propos des écrivains qui illustrent le genre, de mieux connaître leurs textes, au-delà peut-être des clichés véhiculés ici ou là, et de mesurer par ailleurs l’enjeu théorique du néologisme créé par Serge Doubrovsky, en 1977.

Autofiction : pratiques et théories se compose de deux parties. La première regroupe des articles qui portent sur ceux que l’on pourrait appeler les « autofictionnistes » contemporains. Les articles et notes de lecture y sont classés par auteur, en suivant l’ordre alphabétique. On y retrouve analysées, souvent de manière assez brève pour ne rien imposer au lecteur et laisser à réfléchir, les dernières parutions d’écrivains emblématiques de l’écriture de soi tels que Christine Angot, Christophe Donner, Camille Laurens ou Ann Scott mais aussi celles de figures plus confidentielles dont les œuvres n’ont pas encore eu les faveurs des grands médias.

Le second volet envisage l’autofiction à l’intérieur même du débat théorique qu’elle suscite. C’est l’occasion de revenir sur les publications qui questionnent le genre sous différents angles – historique, génétique, politique… – ou qui en font un outil d’analyse permettant l’étude du travail d’écrivains aussi différents que Proust, Colette ou Frédéric Beigbeder. Pour l’organisation de ces articles, j’ai choisi de procéder en traitant d’abord des ouvrages les plus généraux et théoriques pour arriver à des essais qui se penchent sur des écrivains particuliers, dans les relations qu’ils entretiennent avec l’autofiction. Par conséquent, il ne s’agit pas, dans ce deuxième temps théorique, de proposer une nouvelle définition de l’autofiction – elles sont déjà bien nombreuses – mais plutôt de montrer le dynamisme et la richesse d’un « concept » qui dérange tout autant qu’il suscite l’engouement.

A travers ces pages, je souhaite avant tout offrir des clés à ceux qui pensent que la « chose » est bien trop complexe et proposer une synthèse des différentes acceptions du terme et du bouillonnement théorique dont il est l’origine, à ceux qui la caricaturent… Ne pas contribuer à une certaine confusion, ne pas ouvrir de nouveaux débats : juste mettre cartes sur table et ouvrir le « je ».

Chacun prendra alors conscience, qu’on la défende ou qu’on l’accuse, que l’autofiction a ce mérite-là : en faisant parler d’elle, elle fait parler de la littérature. Cette « notion » n’est donc pas, quoi qu’en disent les « déclinistes », la manifestation de la dégénérescence de l’art littéraire, mais le simple indicateur d’une de ses mutations. Le signe rassurant de sa vitalité…

Arnaud Genon

http://www.monpetitediteur.com/librairie/livre.php?isbn=9782342004243

Notes

[1Serge Doubrovsky, La Vie l’instant, Paris, Balland, 1985.

[2Serge Doubrovsky, Le Livre brisé, Paris, Grasset, 1989.

[3Jacques Lecarme, « L’autofiction : un mauvais genre ? », in Autofictions & Cie. Colloque de Nanterre, 1992, dir. Serge Doubrovsky, Jacques Lecarme et Philippe Lejeune, RITM, n°6.

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