Idéalement dirait-on, la saisissante et déroutante discographie d’Arlt s’ouvre par la bouche et par la rouille, à peine une brèche en vérité, une amertume, un léger trouble arraché au goût de l’amour, une sidération pourtant d’où surgiront bientôt quantités d’éboulements, d’épiphanies, de morts et d’avalanches.
Il y a là sur ta bouche
un je ne sais quoi qui sent la rouille
Nous sommes un éboulis de pierres
Tombons [1]
Allez savoir ce que le désir cache, et comme le langage est miné. Le pistolet qui ouvre lui FEU LA FIGURE s’en étonne et s’en amuse outrageusement. Nous ne sommes, du reste, ni des saints ni des anges : débiles, tordus et contrefaits, inachevés bien plutôt. C’est que la blessure est première, qui tue et fait chanter les hommes. L’étonnement d’être au monde, d’où naissent les histoires et les veillées.
Par des chansons qui sont des danses, des fables, des rites et des offrandes, Arlt rejoue nos essentielles déchirures et les retourne en feux de joie. Nulle nostalgie ici d’un paradis perdu, d’un cocon enveloppant et pur d’interférences, mais au contraire célébration d’une altérité radicale, irréductible, d’une pauvreté donnée pour rien. Le merveilleux ne surgira jamais que d’une bouchée de pain rassis. La beauté du chiendent. Le souffle de nos corps promis à pourriture et déjà corrompus.
D’où vient cette vieille chanson qui brûle
De gueule en gueule ?
Elle a au moins mille ans [2]
Innocemment et sauvagement, Arlt ne cesse de fouiller la matière, l’histoire, d’interroger le ciel, de retourner la terre et de construire des bateaux de fortune avec les débris du vieux monde. C’est une manière de fièvre. Ce qui nous donne de bien curieuses ritournelles, toutes chargées d’échos, de résonances, des comptines idiotes, des chants d’amour et de guerre aussi intenses que saugrenus.
C’est toi
C’est bien toi
Mon premier
Tout premier
Périscope
Si tu savais comme je t’aime
Mon premier périscope [3]
Une manière de fièvre, sans doute, une quête qui est aussi – surtout – une attention ardente et peu commune à la douloureuse beauté du monde et du vivant. Qu’on m’amène celui que Les dents [4] laisserait de marbre, et qu’il nous raconte son histoire.
Il est un art de se laisser toucher, étreindre et remuer, de s’en remettre aussi : les présences traversières, foutraques et lumineuses de Mocke ou Thomas Bonvalet achèvent d’inachever le duo Arlt et l’ouvrent à tous les miroitements. Réjouissons-nous de cet infini possible ; remercions Arlt pour leur culot, leur dignité, leur générosité et leur talent.