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Unplugged d’Alexandra Varrin : Voyage au bout du web. 

mardi 25 août 2009, par Robin Hunzinger

Le net est une énorme révolution. Après la musique, la littérature est aujourd’hui touchée de plein fouet : Kindle, blogs, auto-édition via lulu.com.
De jeunes écrivains tentent aujourd’hui leur chance sur internet via un blog ou des sites communautaires littéraires.
C’est ce qu’a bien compris l’éditeur Léo Scheer via son blog, et la collection de livres "m@nuscrits" virtuelle, puis papier. Le livre d’Alexandra Varrin raconte le parcours de la narratrice, Priscilla, qui écrit, et qui va vivre au cœur d’une communauté virtuelle d’aspirants écrivains ses premières expériences, réellement, physiquement.

Priscilla a une vingtaine d’année. Elle commence une mauvaise année 2009. Ennui. Dépression.

Pour s’extraire de la platitude de sa propre vie, elle va s’en créer une autre, via internet et le blog d’un éditeur.

Elle écrit : "Un blog, c’est bien mais ça ne suffit pas. Il faut un épithète à accoler à ma définition de la blogosphère, il me faut devenir élément d’une plus vaste partie, je dois graviter autour du leader de mon secteur, appartenir à un réseau, avoir des amis, tisser des liens et renvoyer des URL et, quand j’aurai trouvé ma place et fait entendre ma voix, il me faudra aussi des ennemis, des gens que je pourrai railler, sur des forums puis par blogs interposés, soutenue par mes amis qui me serviront d’alliés dans la guerre cybernétique."

Unplugged est le récit de l’envers du décors de l’aventure lancée par Léo Scheer. Dans le livre cette aventure a un nom : ’’Les "bibliothécaires en rut".

Comme le dit un membre sur le blog de l’éditeur : "C’est une communauté virtuelle, qui s’articule principalement autour d’un espace de discussion où les maîtres des lieux postent des sujets qui sont ensuite commentés par chacun des membres, membres d’autant plus impliqués qu’ils ont la possibilité d’uploader un ou plusieurs manuscrits de leur composition, qui seront ensuite lus et commentés par d’autres membres. "

Toujours sur le blog de l’éditeur, ce commentaire : "La carotte, c’est l’espoir de la rétropublication, et ça transparaît dans tous les commentaires, soignés, chiadés, tout sauf spontanés, qui vont toujours dans le sens de ceux des éditeurs, quitte à ce que ces pauvres âmes en arrivent à se contredire elles-mêmes publiquement...’’

Car la narratrice écrit. Et là, elle va découvrir une pléthore de personnes en quête de publication dont deux, Bischop et le Carver.

Curieuse, elle va les rencontrer en vrai, tout les deux. Ecran. Miroir. Le réel arrive. Etrange réel comme le dit ce commentaire très juste du blog de l’éditeur : "Pour avoir vécu des rencontres en vrai, issues d’Internet, j’ai frémi à la scène avec Bishop. Plusieurs fois, je me suis trouvé dans son rôle, lorsque l’on voit dans le regard de l’autre un malaise troublant et qu’on a la brusque sensation de fondre : c’est donc « ça » mon « âme soeur » avec qui j’ai correspondu des heures, a qui j’ai confié mes plus intimes pensées... et puis cette solitude sidérale qui suit, lorsque l’on reprend le chemin du retour, parfois durant des heures, dans le compartiment d’un train surpeuplé. On communique avec des mots et jamais autant mieux que sur Internet, mais dans la réalité on est confronté au physique de l’autre, à sa présence qui peut provoquer la répulsion. Alors toutes les relations sur Internet sont-elles vouées à l’échec ? A lire le livre d’Alexandra Varrin, il semblerait bien que cela soit fréquent."

Priscilla rencontre donc le Carver. Nuit avec lui. Scène magnifique et violente du corps à corps. Désir. Frustration. Incompréhension.

La narratrice parle : " Mes yeux sont fermés et les souvenirs dansent sous mes paupières les souvenirs les pas glorieux les pires ceux que je voudrais effacer ceux où je suis pathétique pitoyable lamentable où y’a plus rien à faire pour sauver les apparences sauver la dignité je me rabaisse et voir ça ça m’excite[...]"

J’ai pensé à Camus, un Camus de 2010 qui lui aussi pourrait dire :

« L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde »

L’auteure écrit sur son blog :

" Peut-être que les choses les plus évidentes sont les plus pertinentes ; je veux un VIE, c’est possible que ce soit une clef pour en avoir une. De vie. J’ai l’impression d’écrire pompeux-facile comme tous ces nouveaux ou anciens cons qui intellectualisent tout – même Facebook. Ca m’énerve ça, faudra que je me défoule là-dessus un de ces jours aussi. Avant ça, je dois trier, jeter, nettoyer, ranger les armoires. Dans la collocation, on devient trop nombreux. Les habits, les livres, les DVD et moi, on commence à plus pouvoir s’encadrer tellement on est à l’étroit."

Chez Camus, la révolte, voici la manière de vivre l’absurde. La révolte c’est connaître notre destin fatal et néanmoins l’affronter, c’est l’intelligence aux prises avec le silence déraisonnable du monde, c’est le condamné à mort qui refuse le suicide.

Alexandra Varrin, elle, écrit : "Je crache. Rouge vif. L’arbre vibre sous les paumes de ma main. Electrochoc, réaction, je recule."

Tout n’a plus l’air normal : " tout a l’air sain, tout a l’air significatif, mais, sous l’abri vacillant du mot, talisman naïf, gris-gris biscornu, vois, un chaos horrifiant transparaît, apparaît : tout a l’air normal, tout aura l’air normal, mais dans un jour, dans huit jours, dans un mois, dans un an, tout pourrira : il y aura un trou qui s’agrandira, pas à pas, oubli colossal, puits sans fond, invasion du blanc. "

Le récit bascule après la rencontre avec Le Carver, qui ne lui donne plus de nouvelles et qui le jour ou l’éditeur annonce qu’il va publier dans sa revue une nouvelle d’Alex (Priscilla), va se mettre à la tuer virtuellement.

Pricilla va vivre un voyage au bout de l’enfer S. écrit sur le blog de l’éditeur : "Alex, je salue, du fond de ma misère de prolétaire du verbe, très humblement, comme il se doit, non point votre talent d’écriture, à peu près nul pour ce que j’en ai lu, en public et en privé, mais votre capacité étonnante à systématiquement nous orienter vers les textes les plus pertinents de la Toile."

Alex répond : "Mon très cher […], mon adorable, mon mignon, ma raclure de bidet mytho-maniaco impuissante à moi que j’ai... Et si tu te cherchais toi même une compagnie à la hauteur de tes ambitieuses expectatives au lieu de répéter ici en boucle ta sempiternelle et épuisante litanie ?"

Mais le flux des messages des frustrés continue, et se nourrit de ses propres frustations. Il en devient cauchemardesque. Pugilat. On cherche le bouc-émissaire. La communauté s’amuse. Facile, si facile de s’en prendre à l’inconnue, celle qui n’a pas publié. Alex ne répond plus. L’éditeur s’amuse. Il sent le buzz. Priscilla - Alex prend des coups. Plus de 600 messages, souvent abjectes, misérables. Cauchemard. Photocopies, décalques, découpes, avant de redessiner par-dessus ce qui les arrangent. Les "bibliothécaires en rut" prennent le pouvoir de la parole. L’éditeur n’intervient toujours pas. C’est le grand absent. Miroir d’un groupe virtuel, ou tout le monde se cache derrière des pseudos et peut cracher le venin de ses propres frustations. Si petites. Si lâches.

Alexandra, Alice "post-moderne", va traverser, seule, le miroir du web avec force et dérision. Car pour oser à vingt et quelques années écrire et partager un texte avec une communauté qui ne pardonne rien, il faut être forte.

"C’est quand même pathétique de se dire qu’on est non seulement une ombre mais une ombre-cliché"

Surtout lorsqu’on est blonde, jolie, et jeune de surcroit. Surtout si ce premier texte va être publié par la revue de l’éditeur comme « littérature du net ».

Frustations des uns et des autres. Vengeances, traitrises, injures. Rien n’est epargné à la narratrice. L’éditeur ne filtre rien dans les commentaires du blog.

Elle fini par dire : "c’est terminé. C’est enfin terminé. Game over."

. "404 Error/File not found“.

Pas de "story telling" dans ce livre mais un récit peu bavard, direct, cauchemardesque, intelligent. C’est un livre presque cinématographique, car visuel et l’auteure arrive à cela. Images et mots se croisent, s’entrechoquent, et le montage parallèle du récit (entre mails et réflexions de la narrratice) prend au fur et à mesure de la force.

Après avoir lu ce livre, j’ai parcouru le blog Alexandra Varrin et j’ai regardé cette vidéo où, enfantine, espiègle, elle joue, devant son ordinateur.

Et là, après avoir regarder Alexandra jouer dans sa vidéo, après avoir lu le livre et parcouru le blog des "bibliothécaires en rut" je me suis interrogé sur ses instantanés via webcam qu’on offre au monde entier... On s’arrête l’intime, la vie privée, jusqu’ou peut-on s’exposer au monde ?

Nous ne pouvons pas fermer les yeux. Nous avons les yeux fixes. Nous ne pouvons pas les détourner. Nous devons regarder. Nous sommes happés. Proximité absolue. Enfouissement du regard dans l’écran de la vision. Hyper-vision en gros plan, dimension sans recul, promiscuité du regard à ce qu’il voit. Le miroir n’est plus juste un miroir. Le miroir d’Alice est cette caméra sur l’ordinateur.

Pourquoi se filme-t-on à vingt ans sur le net ? Pourquoi rêve-t-on ? Pourquoi l’écriture peut transcender toutes ses questions ?

Lisez "Unplugged". La réponse est dedans. A lire absolument.

P.-S.

Le blog d’Alexandra Varrin :Alex in Wonderland

Sur la revue des ressources : Essais de critique littéraire en ligne concernant le roman Unplugged d’Alexandra Varrin"

Le livre : Unplugged par Alexandra Varrin, éditions Léo Sheer, 10 euros.

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