Un an déjà... Aaron Swartz avait créé le code des premières licences Creative Commons pour Lawrence Lessig (en 2001) et restait à l’inspirer. Peut-être avait-il approché la NSA ?
Qu’avons nous compris depuis la disparition de celui que tous appellent Aaron, qu’avons-nous perdu, qu’est-ce qui a changé ? (11 janvier 2014).
Pour mémoire, Aaron Swartz s’est suicidé le 11 janvier 2013
« Le MIT a le devoir de se mettre à genoux et de supplier pour que ces poursuites s’arrêtent. » Richard M. Stallman (The Chronicle, 31 juillet 2011).
« Il s’est suicidé au moment de l’anniversaire de son arrestation. Je pense que cela rend assez clair que le procès fut la cause. » Richard M. Stallman, sur une des mailing listes du groupe indien de Linux, après la mort de Aaron Swartz (EFY Time, 15 janvier 2013).
Dans son intervention au Memorial de Washington D.C. le 18 janvier, Tim Berners-Lee, le fondateur du web public et du World Wide Web Consortium (W3C), qui a suivi l’évolution de Aaron Swartz depuis ses premiers mots dans un forum où se retrouvaient les développeurs, au moment de la naissance du RSS, a en quelque sorte évoqué deux temps pragmatiques de l’engagement organique de Aaron Swartz (qui a toujours intégré ses idées sociales et ses performances techniques).
Dans un premier temps Swartz encore teenager a pensé que l’Internet pouvait accomplir la démocratie virtuelle et que celle-ci pouvait avoir un impact sur la société démocratique, il a donc cherché à développer des outils sociaux sous l’angle de leur fourniture d’information par les utilisateurs entre eux, et l’a fait dans un travail partagé. Dans un second temps il est passé à l’activisme social de terrain sur la défense des droits avec un engagement personnel requérant son savoir technique, sans se départir du travail partagé et de l’organisation collective pour donner sens des moyens et amplifier l’action.
L’interview proposée ici en vidéo situe une période intermédiaire entre ses deux temps d’engagement.
Depuis le début de l’année, au retour du 23e congrès du Chaos Computer Club qui se tenait à Berlin à la fin de décembre 2006, il s’est fait exclure de Wired. On entend dans ses explications la conviction d’une nécessité démocratique de disposer de la plus large masse d’informations possible, en terme de volume et de diversité. Grâce à une diffusion non sélective, la consultation aléatoire donne une chance de faire remonter les informations déclassifiées, (non qu’elles soient secrètes mais disqualifiées, enfouies à cause de leur manque de pertinence selon les critères des hits), à travers la sensibilité singulière des utilisateurs. Ainsi, son corpus prenait-il en charge à la fois les données et les métadonnées.
Il existe un troisième enjeu (complémentaire du second cité par Tim Berners-Lee), c’est celle de l’autonomie de la recherche aux fins de la connaissance publique. Or on sait bien que les laboratoires universitaires américains de l’informatique et de la linguistique mathématique, et notamment ceux du MIT, sont essentiellement financés par la recherche militaire. Aaron Swartz fut un chercheur indépendant qui souhaitait ouvrir cette possibilité à tout citoyen qui se serait désigné pour faire de même. Cela pourrait en partie expliquer la menace potentielle à l’encontre du pouvoir universitaire, du moins ressentie de façon paranoïaque dans la hiérarchie administrative de l’institution, au titre de laquelle la direction du MIT (non la direction responsable des enseignements), ait pu faire le pacte du diable avec le FBI pour abattre Aaron Swartz.
Dans une interview sur le droit d’auteur, en 2012, autour des rencontres de « Freedom To Connect » où il fit l’exposé How we stopped SOPA, il dit qu’il avait lui-même entrepris une étude sur les archives judiciaires qui avaient été libérées lors de l’action PACER, (et on voit très bien comment, depuis son intuition éprouvée par quelques observations en amont, et ses capacités techniques personnelles et en commun, il était compétent pour le faire). Il va de soi que travailler sur les paradigmes, les constantes, et les exceptions, exprimés en tendance particulière dans tel ou tel ensemble d’information, demande la masse la plus exhaustive possible du corpus parvenu à un moment donné. Notamment aussi bien le corpus culturel des archives de JSTOR auquel, même si elles étaient libérées une par une chacun resterait à ne pas avoir d’accès massif (non pour collectionner mais pour étudier). Pour tracer le profil de la culture sociale et intellectuelle d’une époque informée par le pouvoir de la connaissance (représenté par les universités et les académies), depuis des paramètres effectifs, Swartz était menaçant pour les institutions de recherche qui n’y avaient pas encore procédé (non seulement pour des raisons de coût et de rentabilité mais aussi de contrôle politique de ce qui aurait pu en émerger).
Cela donne sens aux deux grands hackings qui vont suivre l’exclusion de Reddit : le téléchargement de plus de deux millions de documents judiciaires légaux archivés dans le cadre de PACER [1] (Public Access to Court Electronic Records), et suite au commencement de son étude sur ce corpus d’archives, l’idée d’un téléchargement massif de la bibliothèque numérisée de JSTOR (98% des fichiers semble-t-il, dont un grand nombre considéré par les bibliothécaires comme inintéressants — sauf pour un Swartz selon sa conception de l’égalité des informations entre elles et de la recherche)... à ceux qui se demandaient encore pourquoi avoir tant téléchargé dans la boutique de JSTOR, voilà le décryptage de la réponse anticipée par le protagoniste même...
Le seul problème c’est que les outils informatiques nécessaires pour faire de telles études en matière d’histoire et de sociologie des institutions, en même temps que l’idée d’y travailler, dans une vision critique, demande une telle puissance d’investigation, et les produire serait d’un coût si élevé, que seules les grandes causes supra-nationales des États pourraient en formuler la commande (par exemple l’accélérateur des particules, la guerre, la partition des ressources dans le monde, etc...). il se trouve qu’aucune université à ce jour n’en dispose à propos de l’analyse institutionnelle ou des disciplines, ni même de son propre corpus historique, ni de leur impact délibéré sur la société. Alors que Swartz avait la capacité technique et intellectuelle pour les concevoir appliqués à des sujets hors d’intérêt pour le pouvoir (mais lequel d’autant plus dans une problématique de sécurité, s’agissant d’un champ en dehors de lui, put l’attribuer à une menace).
Le traitement stochastique des masses de données est notoirement l’un des outils informatiques d’exception de la physique des particules et de la biologie moléculaire. Du CERN au CERN, pour lequel le World Wide Web était né du cerveau et des mains de hacker d’un de leurs informaticiens, Tim Berners-Lee, sous la forme d’un protocole d’information instantanée entre les chercheurs au-delà des océans et des continents, institution par laquelle les outils de recherche informatiques actuels les plus performants en sciences ont été produits, on file le niveau auquel Swartz, producteur de systèmes capables d’absorber de grands corpus, et à l’ouvrage de traiter autrement et de façon indépendante de l’université la production de systèmes de traitement de ces corpus, éventuellement d’inventer de nouveaux logiciels de recherche, avait placé l’intérêt public de l’Open Access autant au-delà du corporatisme scientifique que des intérêts de classe (équivalence dans un même dispositif du pouvoir hiérarchique).
Swartz ne sera pas remplacé en tous cas sur des sujets aussi sociologiques et historiques pour informer la société elle-même et les individus qui la composent. C’était une révolution des connaissances par l’information dans un objectif de partage général, et donc une révolution au sens historique. Mais le cours des vecteurs et du pouvoirs l’utiliseront finalement autrement, en en tirant à leur propre compte les profits basés sur le retrait des corpus et leur diffusion parcellaire, et l’appropriation pure et simple des métadonnées fournies par l’activité des usagers.
Enfin, il serait temps de rappeler que, pour mesurer les disparitions de nos propres droits indépendamment du fait que les socialistes soient maintenant au pouvoir en France, si Aaron Swartz fut exempt de poursuites judiciaires pour l’action PACER ce fut parce que cela concernait, comme le nom l’indique, une propriété du domaine public américain appartenant aux citoyens : au moment où la Bibliothèque Nationale de France elle-même supprime abusivement l’accès libre aux archives numérisées du domaine public, alors qu’elles ne lui appartiennent pas, qu’elle n’en est que la gardienne... qu’en est-il alors de nos archives judiciaires et pénitentiaires ? Ont-elles encore ce statut légal autorisant un libre accès, depuis que messieurs Bauer et Sarkozy ayant restructuré ces services ne les rendant accessibles sauf exception qu’aux experts patentés et aux services secrets de la Défense américaine, au centre d’information des Invalides ? Où en sommes nous depuis ? (L. D.)
Cet article et sa présentation sont une reproduction autorisée [2] de la recension La transformation du réseau / The Network Transformation extraite de www.criticalsecret.net dans le cadre de l’hommage des Carnets de janvier et février 2013 #AaronSwartz.
La transformation du réseau
Il s’agit de l’interview dirigée par Jamie King et enregistrée en 2007 dans le cadre de Steal This Film II, à San Francisco. Interview citée dans l’éditorial de Rhizome dédié à Aaron Swartz, le 17 janvier 2013.
San Francisco, April 2007 // Categories : networks, search ?
« Here Swartz describes the nature of the shift from centralized one-to-many systems, such as broadcast television, to the decentralized many-to-many topography of network communication. The end of scarcity in transmission capacity poses the question of how to finance information production and how people can find their way through the abundance ; search engines and collaborative filtering mechanisms have become both essential tools and points of control. These systems paradoxically exercise a renewed centralizing influence due to the social entrenchment of the ’hit’ phenomenon. Can technical design help to counteract this tendency ? »
San Francisco, Avril 2007. Catégories : réseaux, recherche ?
Ici Swartz décrit le caractère du passage de la centralisation des systèmes un-vers-plusieurs, tels que la télévision, à la décentralisation plusieurs-vers-plusieurs, telle la topographie du réseau de communication. La fin de la rareté dans la capacité de communication pose la question de savoir comment financer la production de l’information et comment les gens peuvent trouver leur chemin à travers l’abondance ; les moteurs de recherche et les mécanismes de filtrage collaboratifs sont devenus les deux outils essentiels et les points de contrôle. Ces systèmes paradoxalement exercent l’influence d’une centralisation renouvelée en raison de l’enracinement social du phénomène du « hit » : est-ce que le design [la conception] technique peut aider à contrer cette tendance ? (trad. L.D.)
« Aaron H.Swartz interviewé en 2007, sous-titré en français. Ce militant de l’Internet, développeur et informaticien était un précurseur de la toile, il avait aidé à améliorer le système des flux RSS à l’âge de 14 ans ! » Publié le 15 Jan 2013. »
2/3.
« Aaron Swartz, entretien 2 sur 3 réalisé en 2007, sous-titré en français. Ce jeune visionnaire du réseau Internet avait déjà saisi l’importance à venir de la toile en terme de vecteur d’informations et son importance dans la recherche de Vérité de la part d’internautes assoiffés de culture. » Publié le 15 Jan 2013. »
3/3.
« Ce jeune visionnaire du Net nous expose sa vision sur toutes les possibilités de la toile mondiale, sa puissance, sa propension à détrôner les autres médias de leur monopole. Son avis sur Wikipédia. Entretien réalisé en 2007, Aaron avait déjà tout compris. Merci et RIP. » Publié le 25 Jan 2013. »
* Si le tweet qui apparaît dans la fenêtre d’envoi est trop long, (le nombre de signes en excès apparaissant dessous, précédé de : "-") le raccourcir avant de l’envoyer, en prenant soin de ne pas supprimer le lien même de l’article.
P.-S.
Le 29 mai 2012, Aaron Swartz répond pour la télévision RT sur la plus grande attaque de l’histoire de la guerre informatique, Flame, à des fins de cyber espionnage sur le Moyen Orient ; l’affaire vient d’être révélée (le 28 mai 2012, par le centre Maher) ; il dit en quoi consistent ses propres réserves en matière d’activisme et d’éthique :
[1] Timothy B. Lee a publié le 8 février 2013 dans Ars Technica un article où il décrit l’exploit dit PACER et ses protagonistes, Aaron Swartz, Steve Schultze (qui a appelé Aaron Swartz et lui fournit le premier code que celui-ci va hacker pour le rendre opérationnel, et Carl Malamud avocat pour les ressources publiques qui a recueilli et stocké l’information, et qui rendra un magnifique hommage à Aaron Swartz, Aaron’s Army (typographic version), lors du Mémorial de San Francisco organisé par Internet Archive, le 24 janvier 2013, où il appelle à se renforcer en déclarant qu’ils ne sont pas des criminels, qu’au contraire ils se battent contre le crime. L’article de ars technica : The inside story of Aaron Swartz’s campaign to liberate court filings, and how his allies are trying to finish the job by tearing down a big paywall. La vidéo de l’intervention de Carl Malamud au Memorial de San Francisco, Carl Malamud’s call to arms @ Aaron Swartz memorial in SF 1/24/13.
[2] Dans le site criticalsecret, cet article est le seul qui ne soit pas sous CC certains droits réservés, non par déni de partage, mais parce que le corps du message est une recension de vidéos externes qui ne sont pas elles-mêmes sous CC.