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Les Cinq Livres de Rabelais. I. Le Gargantua.  

samedi 2 juillet 2011, par François Rabelais

 Les ouvrages de Rabelais avaient pour première vocation d’être lus gratuitement aux malades illettrés ou analphabètes, dans les dortoirs communs des hôpitaux. Même si les lettrés et mieux nantis achetaient les livres imprimés pour un certain prix chez les libraires éditeurs, gageons que transmettre l’actualité de Rabelais ravive encore une fois de crier contre l’Hadopi. En effet, tant de siècles après on enferme soudain grossièrement le géant Gargantua dans une cage trop petite pour lui... sentirait-il encore le souffre ? Voici l’affaire :
 La vie très honorifique du grand Gargantua père de Pantagruel, Livre premier écrit après le deuxième, du cycle rabelaisien des Cinq livres, demeure la question critique de l’utopie, quand un demi millénaire plus tard elle devient marchandise vulgaire, plutôt que rire ou culture.
 Curieusement, c’est dans le Gargantua (la première édition serait de 1532, mais l’édition de référence est celle de 1542 parue en même temps que Le Pantagruel) que se trouve l’abbaye de Thélème, inspirée par l’Utopie de Thomas More (1518) ; mais c’est le seul volume de la collection numérisée de l’édition par La librairie des bibliophiles qui soit lisible en streaming sans être accessible au téléchargement gratuit, dans le site archive.org. Il provient du fonds de la bibliothèque de l’université d’Oxford mise à la disposition de Google pour la numérisation.

 Ce livre présente la version numérique la plus médiocre de toute la série, comme la plupart des numérisations des livres réalisées et mises en ligne par Google. Le miracle de la marchandise bon marché, ainsi métabolisée par le media en vitrine du name-dropping des œuvres de référence, s’évalue au peu d’exigence du rendu visuel des pages virtuelles, à l’image d’antiques photocopies en noir et blanc avec des mots escamotés par le trait technique grossier. Et le pire c’est qu’il en va autant de quelques numérisations d’ouvrages d’archive de la grande édition française moderne, à son profit commercial quand bien même il pourrait s’agir d’œuvres tombées depuis dans le domaine public, pour les mettre en vente dans les meilleures librairies numériques régionales.
 Où au contraire la gratuité du téléchargement dans le site archive.org nous procurait un surplus, — et poursuivra de le procurer, pouvons-nous l’espérer ? — la couleur et la texture des ouvrages du passé, comme un don des bibliothèques acceptant le partage et des sponsors en charge du coût de la bande passante et de la réalisation numérique des archives en ligne, qui déduisent de leur fiscalisation ce coût, le tout était dédié à ce qui fut — et demeure encore sous les signes du déclin — le peuple global de l’Internet libre. Il faut en connaître la saveur, tant que le principal demeure accessible.
 C’est bien la fin de la société de l’abondance et de ses retombées partagées entre ceux qui apportent les sources et ceux qui les découvrent, y compris ceux qui ont peu de chose mais peuvent se connecter — ce qui n’est pas tout à fait rien.
 Google a changé depuis ses premiers projets de bibliothèque numérique avant d’être coté en bourse ; cela se glisse d’une étrange façon, mensongère, dans archive.org, en profitant de l’immense indexation au service des bibliophiles qui visitent ce site. Comme toutes les numérisations financées par Google indexées dans archive.org, leurs poulets aux hormones de l’aculture restent consultables en streaming dans le site qui transmet la culture des œuvres ; mais la proposition du lien PDF n’est qu’un leurre ; loin de donner l’accès au téléchargement gratuit de l’ebook désiré, il redirige dans la libraire Google où le livre n’est téléchargeable que vendu dans la médiocrité de sa numérisation à l’enseigne : "Vous ne le payez qu’une seule fois puis vous pouvez le recopier où vous voulez autant de fois que vous voulez" — traduit de Google anglophone. Entendre : sans DRM, a contrario des objets numériques qui ne sont pas tombés dans le domaine public, proposés dans les autres librairies ou discothèques ou cinémathèques en ligne. Mais Google commerce dans ce cas avec un stock qui ne lui appartient pas tandis que ce patrimoine public disparaît peu à peu du partage sur le web.
 Voilà comment le web dévalué par la société financière sert au commerce des ouvrages qui appartiennent à tout le monde, et bien pire, en les restituant dans leur plus sinistre qualité ; ce qui ne veut pas dire que nous aurions une exigence régressive, mais que l’aspect scanné quand il informe sur les ouvrages anciens donne des indications historiques techniques, sociales, etc. que les livres mal numérisés qui se contentent de montrer le contour des mots font disparaître de la connaissance des générations qui n’en ont pas approché les objets concrets. De sorte qu’il y ait de moins en moins conscience sinon de la substance au moins de l’aspect du passé, au moment même où elle pourrait constituer une information critique élevant la conscience relative dans l’actualité.
 Où un tel geste sur Internet aurait été considéré comme méprisable (sauf acte critique ou théorique renouvelant les éditions, avec des préfaces ou des analyses actuelles intégrées), il y a peu de temps encore.
 Un seul volume du cycle rabelaisien dérobé à la gratuité des quatre autres de la collection de la bibliothèque universitaire de Toronto dévie le projet inaugural en commun de la numérisation de la série. Ne restent en téléchargement dans le même site que des versions d’ebooks mieux numérisées du Gargantua, mais non aérées entre les chapitres et sans numérotation de leurs titres, arbitrairement structurés ou tronqués à des fins de vulgarisation, tels les Larousse anciens.
 L’incursion de Google dans la numérisation du domaine public n’est pas du sponsoring mais de l’acquisition propriétaire exclusive, qui subtilise les sources ainsi traitées aux autres agents créditeurs de la numérisation des références auparavant dédiée à l’information de la culture populaire sur le net. Vecteur pour vecteur — sans en rendre autant aux internautes.
 Nous remercions "Sami is free" de nous offrir une version retranscrite en word téléchargeable du Livre premier de Rabelais, mise en ligne en 2008, quand cet éditeur libre pouvait encore informer sa librairie publique en partage en disant attendre la librairie Google — alors dans son beau projet réalisé depuis tout autrement, loin de l’utopie séduisante et témoignant de son contraire.
 Le paradoxe veut que Sami, qui accordait sa confiance à Google et qui en attendant corrigeait la retranscription de nombreux ouvrages altérés mis en ligne, ou les recopiait lui-même d’après des livres imprimés, nous procure beaucoup mieux que Google aujourd’hui, texte abstrait de son contexte pour texte abstrait, la possibilité de télécharger la meilleure reproduction mise à notre disposition sur le web du Livre premier de Rabelais — y compris dans la fidélité au texte — d’après l’édition de 1542 parue la même année que le Pantagruel (Le livre deuxième).

Hommage au geste héroïque offert aux autres, — parmi tout ce que ce que Sami, que je ne connais peut-être pas sinon au hasard de Google search, a produit pour transmettre en html sa bibliothèque virtuelle, et d’où nous avons cueilli le pdf ci-joint comme un fruit de son travail généreux. (A. G. C.)

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Internet sources :

archive.org

Bibliothèque et blbliothéconomie de la numérisation :

http://www.archive.org/details/lescinqlivresde04rabegoog

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Rabelais, Gargantua @ Sami is free.

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Rabelais, Les Cinq Livres et un peu plus dans La RdR :

- Livre V
- Livre IV
- Livre III
- Livre II
- Livre I
- Les songes drolatiques de Pantagruel - dessins


P.-S.

Le logo de survol est le détournement réalisé par (et trouvé dans le site de) Sami, d’un dessin de Lichtenstein.

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