Si Michel Houellebecq, exilé en Irlande, n’a pas publié de roman depuis Plateforme en 2001, beaucoup se sont penchés sur son « cas ». Après les pages que lui a consacrées Pierre Jourde dans son pamphlet sur la littérature française contemporaine, La Littérature sans estomac, après le plaidoyer en sa faveur du romancier essayiste Dominique Noguez, Houellebecq, en fait, après encore l’étude universitaire de Murielle Lucie Clément intitulée Houellebecq, Sperme et sang, c’est au tour d’Olivier Bardolle de proposer sa Littérature à vif (le cas Houellebecq).
Avec trois romans à son actif , Michel Houellebecq constitue donc un « cas » comme le démontre le nombre de textes qui se penchent et sur son œuvre et sur son personnage. Beaucoup d’écrivains contemporains n’ont pas ces faveurs, c’est peut-être, comme l’écrit Bardolle, parce que la « littérature française moderne est non seulement exsangue, mais aussi terriblement emmerdante, c’est-à-dire inexportable. Tous ces petits auteurs narcissiques qui encombrent les étals n’ont rien vécu d’intéressant à raconter, à part des histoires de coucheries et de petits règlements de compte dignes de boutiquiers. » Le constat, s’il est dur et sûrement injuste, n’explique pas l’engouement, souvent polémique, que suscite Houellebecq.
Pour nous éclairer, Olivier Bardolle pose la question de savoir à quoi sert la littérature. Pour y répondre, il commence, dans un premier temps, par évoquer la figure de Louis-Ferdinand Céline pour qui la littérature servait à… « acheter un appartement ». Pied de nez, bien évidemment, de celui qui, son œuvre durant, chercha à créer de l’émotion par l’intermédiaire d’un style et d’une langue qui révolutionnèrent la littérature française. Bardolle le note, « pour Céline, l’important n’est pas le verbe mais l’émotion, le rendu émotif qui constitue l’essence même de son travail. »
Ensuite, toujours pour tenter de répondre à cette question liminaire, le critique s’intéresse au « cas » Proust qui pourrait y rétorquer : « à retrouver le temps perdu ». Analysant de manière rapide et superficielle La Recherche du temps perdu, Oliver Bardolle en vient à conclure que « l’œuvre de Proust, en tant que texte, est davantage un tissu de sensations qu’un tissu de signifiants. Ce n’est pas ce qui est à comprendre qui est intéressant dans La Recherche, c’est ce qui est à sentir, c’est ce qu’elle vous fait ressentir. » Soit, si rien de nouveau n’est ici exposé, il est légitime de se poser la question du lien qu’entretiennent ces deux auteurs, Céline et Proust avec l’œuvre de Houellebecq. Bardolle de répondre : « lui seul [Houellebecq] reflète l’époque avec la même justesse que Proust et Céline en leur temps, jusqu’à l’incarner. Il a, lui aussi, la maladie de son temps, la dépression, comme Proust avait de l’asthme, affection typique de son époque, et Céline, d’insupportables maux de tête avec son éclat d’obus imaginaire dans le crâne, lui qui avait fait les deux guerres mondiales. » Soit il s’agit d’ironie, soit l’argument nous paraît pour le moins faible. Proust, parce qu’il avait de l’asthme, était-il de son temps ? Lui qui passa sa vie enfermé dans sa chambre alors que le monde était en guerre, qui dut publier Du côté de chez Swann à compte d’auteur, refusé par la NRF, incarne-t-il le début du XXe siècle français ?
Quoi qu’il en soit, le critique se penche alors (et enfin) sur Michel Houellebecq. Toujours cette même question. A quoi sert la littérature ? « A survivre malgré tout ». Dans cette avant-dernière partie, l’analyse se fait plus pertinente, notamment lorsqu’elle évoque le style de l’écrivain, cette écriture blanche que Bardolle nomme style « plat », s’appuyant sur la lecture possible du titre du dernier roman de Houellebecq Plateforme (forme plate) : « il écrit ’plat’ parce que le ’plat’ est ce qui convient le mieux à ce qu’il décrit, et d’ailleurs (c’est le sens des guillemets), car ce style provoque l’émotion, ce qu’une vraie platitude stylistique ne ferait pas. » Le style houellebecquien serait ainsi à l’image du monde qu’il décrit, « délibérément ’plat’ parce que l’époque est ’plate’. »
La littérature de Houellebecq a aussi une autre fonction, celle de garder « l’esprit vif ». Elle acquiert une valeur testimoniale parce qu’en rapport avec la mort, tout au moins avec le déclin de notre civilisation mais aussi parce qu’elle témoigne de notre société en la dénonçant, « car c’est sans doute l’un des devoirs majeurs de l’artiste que de nous faire ressentir l’époque telle qu’elle est, y compris dans son aspect le plus indigne. Il a un devoir de dénonciation, faute de quoi il se perd dans la frivolité et l’insignifiance. » Pour beaucoup, Houellebecq est l’auteur d’une œuvre répugnante, proposant une vision cynique du monde dans lequel il vit. Ce que nous rappelle ici Bardolle, c’est que ce que décrit Houellebecq, c’est notre monde, c’est notre époque : « ainsi le monde humain n’est pas seulement en faillite, il est liquidé, il ne laissera rien derrière lui. » Vision pessimiste certes, mais que l’actualité ne dément pas.
Le livre de Bardolle propose donc une analyse juste du travail houellebecquien qui ne se fait cependant jour qu’à la moitié de l’ouvrage, le critique se consacrant à une étude hasardeuse et sommaire des œuvres de Céline et Proust dans la première partie. Aussi, faire de Houellebecq le Céline ou le Proust de notre époque, cela sans arguments littéraires de poids, trahit alors la visée quasi hagiographique de l’ouvrage. L’auteur a beau nous dire que Houellebecq est le mal aimé de notre littérature contemporaine, lui et Dominique Noguez nous prouvent qu’il a, semble t-il aussi, de très nombreux admirateurs.