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Stéphane Gatti pour Joachim Gatti grièvement blessé au visage par un tir policier de Flash Ball, le 8 juillet 2009, à Montreuil-sous-bois. 

lundi 13 juillet 2009, par Aliette G. Certhoux, Stéphane Gatti

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Voici la lettre de "La Parole Errante" signée par Stéphane Gatti, père de Joachim Gatti, qui est aussi le petit-fils aîné du dramaturge et poète Armand Gatti, avec prière de largement diffuser, contre la désinformation par l’AFP et par la Presse ("Libération" le premier, et pour ne pas nommer de journal qui n’aurait à ce jour rien publié encore, reprend de façon douteuse les informations émanant de la police, sans enquêter auprès des personnes concernées).
C’est à propos de l’acte de répression démesuré pour faire évacuer le squat de La Clinique, le 8 juillet, et après la fête dans la rue piétonne le soir, que selon la première Brève de l’AFP, à la demande du préfet, Joachim a été atrocement blessé au visage, puis son identité falsifiée dans la Presse citée. Ainsi, je transfère le message de Stéphane Gatti, à sa demande. Il m’a demandé d’accompagner sa lettre par un texte de ma part. C’est ce que je fais ici.

Pour information complémentaire sur Joachim Gatti, il est aussi l’acteur qui tient le rôle de Joachim Rivière, dans le film "La Commune de Paris" de Peter Watkins, il a fait des études de philosophie à Nanterre avec Etienne Balibar, et des grands projets sur la sémiotique de la stratégie urbaine de la ville de Gênes (histoire et histoire contemporaine dont les grandes manifestations altermondialistes), l’habitat alternatif à Barcelone, etc... Il est à considérer comme un entrepreneur culturel et un journaliste de création. Et bien sûr, il a un statut et un domicile fixes et gagne sa vie. Un autre aspect de "la France qui se lève tôt" en quelque sorte...

Il va de soi qu’il faut prendre en compte tous les "cyclopes" * émergents des tirs visés en pleine tête, depuis que la police mutile de plein droit avec les Flash balls. Joachim Gatti est le quatrième et l’un des premiers était Pierre Douillard, lycéen à Nantes, blessé en 2007 (qui a gardé un vingtième de la vision de cet oeil). Tous victimes des balles en plastique ou autres projectiles ou coups envoyés dans la figure des manifestants, activistes et/ou autres résistants ou non conformes, dont les gars les plus défavorisés des banlieues aux premières loges. Ou simples contestataires solidaires de l’insoumission et de la liberté du mode de vie. Ces cyclopes sont les premiers signes de la défiguration générale (amputation des corps ainsi infirmés, égale aux distorsions de tout le code social, fragmenté puis évidé de ses pactes symboliques), entreprise par le plus grand mépris ou la plus grande inculture, notamment sous l’autorité du Président depuis qu’il fut ministre de l’intérieur, corps vivants, corps biologiques, et réformes institutionnelles, compris.

Supprimer le ministère de la Santé et le cumuler avec les Sports, en remplaçant par la Santé la charge de la Jeunesse, préalablement associée aux Sports, apparaît soudain extrêmement inquiétant ; d’une part, on sait que l’association de la santé et des sports comme représentation hygiéniste du social est de sinistre mémoire, quand on perd en chemin la médecine et le devoir d’assistance à personne en danger, pour tous (toutes générations confondues), et d’autre part à constater que rien ne redonne place au mot Jeunesse mais l’Éducation, ce qui ne conçoit pas de formation singulière, sinon "L’Observatoire national de la délinquance" comme avant-garde du ministère de l’intérieur, dont le dispositif n’est plus entendu comme une stratégie républicaine de la communauté nationale, citoyenne, mais comme un contrôle des citoyens aux fins de maîtriser leur potentiel électoral dans un environnement répressif, et du ministère de la justice, comme annexe légale de la répression et du pouvoir sans séparation.

Défigurer des jeunes adultes et citoyens contestataires, pour les marquer à vie, c’est un crime sinon autorisé du moins admis, depuis que la police est engagée par le pouvoir dans des voies plus proches des milices représentatives de l’autorité légale, que des polices républicaines, contre l’altérité sociale et nationale (ici je parle aussi de l’émigration). Quand le glissement idéologique du concept d’insoumission intègre celui de délinquance, une fois l’insoumission supprimée du cadre légal (1989), casser l’humain de ceux qui agissent pour sauver à l’acte les libertés restantes, paraît être devenu un objectif premier du message répressif à envoyer aux citoyens ordinaires. Sans doute sommes-nous déjà dans la structuration d’un néofascisme, gagé par une alterophobie générale des lois et des ordres exécutifs consentis.

Il faut noter que l’état dans lequel se trouve le visage du dernier de nos chers "cyclopes", anticipant la population en voie de mutation, grâce à l’accélération des actes de défiguration de l’humain par les armes intérieures de l’actuel président, qui voudrait être le seul à ressembler à quelque chose (lire d’Alain Badiou "De quoi Sarkozy est-il le nom ?"**) est certainement le plus grave de ceux que la violence policière*** ait produit jusqu’ici — sauf les morts.

A quoi il faut ajouter que la disparition des services chirurgicaux d’urgence en dehors des heures ouvrables a conduit le patient à ne pouvoir être opéré que le lendemain matin où il est encore, à l’Hôtel Dieu, après avoir été refusé aux Quinze Vingt "faute de place", depuis l’hôpital de Montreuil.

En dépit de l’intervention remarquable de l’équipe qui le prit en main avant midi le 9 juillet, ce que personne ne conteste et même en remercie, dans ce cas d’atteinte comme dans le cas de tout autre accident, mais s’agissant particulièrement ici de l’oeil éclaté, de la fracture de l’os de la cavité oculaire, de l’arrachement de la paupière, et de la fracture du nez, dans une présentation proche des points cérébraux vitaux, autant dire, vu le traumatisme et l’hémorragie, si le rituel de la pénurie hospitalière qui s’est présentée en premier lieu, en protocole d’attente puis de soins différés au lendemain, est loin de l’urgence entendue comme devoir d’assistance à personne en danger, et pour sauver la possibilité de réparation maximale des zones atteintes en intervenant sans délai.

Les accidents sont cumulatifs quand le secteur de la santé publique est en régression administrative.

L’escalade de la folie irresponsable de ce pouvoir est claire : il faut voir et comprendre en quoi elle consiste, à travers quelles victimes, voir comment la désinformation exponentielle des faits profile socialement les blessés, et légitime une répression criminelle de fait, au nom de la légalité de l’ordre établi. Il faut se demander plus largement pourquoi et vers quoi cela nous entraîne au-delà.

La défiguration des manifestants est en train de devenir l’ordinaire, quand par ailleurs on leur interdit de se protéger la tête et le visage... voyez le sens de la cible, qui n’est pas seulement celui des fiches de police mais le nouvel usage qu’il est possible d’en faire.

Ici, il s’agit d’un jeune homme adulte et accompli, installé par une activité professionnelle, et donc à toute personne "normale" qui se déplacerait pour soutenir des squatters : salut ! Il n’y aura pas de différence à l’acte de la solidarité. Ici, on touche la seule forme de l’égalité sociale connue dans le cadre de la présidence Sarkozy, ses ministères, et ses officines.

Le site de La clinique en exil

A. G-C.


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A Montreuil, la police vise les manifestants à la tête

Le matin du mercredi 8 Juillet, la police avait vidé une clinique occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux expériences venues d’Italie, avait pris la forme d’un "centro sociale" à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans papiers, repas… Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse. L’évacuation s’est faite sans violence. Les formidables moyens policiers déployés ont réglé la question en moins d’une heure. En traversant le marché le matin, j’avais remarqué leurs airs affairés et diligents.

Ceux qui s’étaient attaché à cette expérience et les résidents ont décidé pour protester contre l’expulsion d’organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil.

Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d’être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient. Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l’espace. Des images du front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d’Espagne se superposaient à cette fête parce que parfois les images font école. J’ai quitté cette fête à 20h en saluant Joachim.

A quelques mètres de là, c’était le dernier jour dans les locaux de la Parole errante à la Maison de l’arbre rue François Debergue, de notre exposition sur Mai 68. Depuis un an, elle accueille des pièces de théâtres, des projections de films, des réunions, La nuit sécuritaire, L’appel des Appels, des lectures, des présentations de livres… Ce jour-là, on fermait l’exposition avec une pièce d’Armand Gatti « L’homme seul » lu par Pierre Vial de la Comédie Française et compagnon de longue date. Plusieurs versions de la vie d’un militant chinois s’y confrontent : celle de la femme, des enfants, du père, du lieutenant, du général, des camarades…

C’était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les journaux de Mai. D’un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle, effrayés, ils venaient se cacher... ils sont repartis. On m’a appelé. Joachim est à l’hôpital à l’hôtel Dieu. Il était effectivement là. Il n’avait pas perdu conscience. Son visage était couvert de sang qui s’écoulait lentement comme s’il était devenu poreux. Dans un coin, l’interne de service m’a dit qu’il y avait peu de chance qu’il retrouve l’usage de son œil éclaté. Je dis éclaté parce que je l’apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée...

Entre ces deux moments ; celui où je l’ai quitté à la fête aux gnocchi et l’hôtel Dieu que s’était-il passé ? Il raconte : Il y a eu des feux d’artifice au dessus du marché. Nous nous y sommes rendus. Immédiatement, les policiers qui surveillaient depuis leur voiture se sont déployés devant. Une minute plus tard, alors que nous nous trouvions encore en face de la clinique, à la hauteur du marché couvert, les policiers qui marchaient à quelques mètres derrière nous, ont tiré sur notre groupe au moyen de leur flashball.

A ce moment-là je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon œil droit. Sous la force de l’impact je suis tombé au sol. Des personnes m’ont aidé à me relever et m’ont soutenu jusqu’à ce que je m’assoie sur un trottoir dans la rue de Paris. Devant l’intensité de la douleur et des saignements des pompiers ont été appelés.

Il n’y a pas eu d’affrontement. Cinq personnes ont été touchées par ces tirs de flashball, tous au dessus de la taille. Il ne peut être question de bavures. Ils étaient une trentaine et n’étaient une menace pour personne. Les policiers tirent sur des images comme en témoigne le communiqué de l’AFP :

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre. Les squatters avaient alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation. Trois personnes avaient été arrêtées et un jeune homme avait été blessé à l’œil puis transporté dans un hôpital à Paris, selon la mairie, qui n’avait toutefois pas donné de précision sur l’état de gravité de la blessure."Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball", a déclaré vendredi la préfecture à l’AFP.

D’abord, la police tire sur l’image d’un jeune de 20 ans qui essaye de reprendre son squat. Et pour la police et les médias, cela vaut pour absolution, et c’est le premier scandale.

Quant à Joachim, faut-il rétablir la vérité sur l’identité de Joachim Gatti ne serait-ce que pour révéler la manipulation des identités à laquelle se livre la police pour justifier ses actes, comme s’il y avait un public ciblé sur lequel on pouvait tirer légitimement ?

Joachim n’a pas 20 ans mais 34 ans.
Il n’habitait pas au squat mais il participait activement aux nombreuses activités de la clinique.
Il est cameraman.
Il fabrique des expositions et réalise des films.

Le premier film qu’il a réalisé s’appelle « Magume ». Il l’a réalisé dans un séminaire au Burundi sur la question du génocide. Aujourd’hui, il participe à la réalisation d’un projet dans deux foyers Emmaüs dans un cadre collectif.

On devrait pouvoir réécrire le faux produit par l’AFP en leur réclamant de le publier. Il serait écrit simplement — mais au moins ceci — :

Joachim Gatti, un réalisateur de 34 ans a reçu une balle de flashball en plein visage alors qu’il manifestait pour soutenir des squatteurs expulsés. Il a perdu un œil du fait de la brutalité policière.

La parole errante

Stéphane Gatti


**** Stéphane Gatti, documentariste de création et animateur culturel, est notamment le curateur et animateur, et le scénographe avec Pierre-Vincent Cresceri, de l’exposition générale et des événements pour mémoire de 1968-69 @ la maison de l’arbre à Montreuil : Comme un papier tue-mouches dans une maison de vacances fermée… citée dans le texte, conclue le même jour que la charge de police, le 8 juillet.
http://www.armand-gatti.org/index.php?art=291

*** La France est affichée pour ses violences policières dans le rapport 2009 de Amnesty International :
http://www.amnesty.fr/_info/rapport_france/

** De quoi Sarkozy est-il le nom ? Alain Badiou, Nouvelles éditions Lignes, Paris, 2008. (Ndlr : convaincue que ce livre est d’une grande lucidité sur l’état de démembrement du sens collectif, je tiens à préciser que pour autant il ne désempare pas le président de l’engagement de ses responsabilités propre).

* Sur les "cyclopes" lire l’article "Montreuil, Villers le Bell, Firminy, Continental" dans le quotidien activiste permanent Bellaciao.

P.-S.

Quelques sites actifs au premier degré dans la communication de la contre-information :

Bellaciao

Le Tiers Livre

Habakuk
Vacarme
Criticalsecret
e-torpedo

et beaucoup d’autres que nous remercions chaleureusement dont le réseau Twitter à l’origine de la clé #joachimgatti

Et les organes de Presse qui ont relayé l’info en ligne : Nouvel Obs, Challenges, Le Post, Rue 89, etc.

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