HUIT CAPRICES DE GOYA
8 poèmes
Bouffonnerie et lutte sanglante ; agitation et torpeur ;
esclavage de chaque jour.
Marc Aurèle
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1
Qué sacrificio !
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LE SACRIFICE
Qué sacrificio !
1.
Deux amants liés par je ne sais quel stratagème
La corde est de fer, les sourires miaulent
Pauvre fille qui sera bouffée de l’intérieur
Tu croyais trouver en elle l’âme sœur
et c’est au dedans l’instable volcanique, sans aucune idée océane, aucune
tu croyais, de lui, apprendre le souffle
un autre souffle
mais la carcasse aura toujours été trop vieille
Ce matin, au réveil, sera-t-il toujours là ?
&
2.
La situation se renverse :
nous chantons tous, ensemble, avec en bouche nos résidus de vie
nous avions confondu l’imaginaire avec la vraie vie
(tu sais, celle qui danse sans penser à rien
comme fleurs écloses et pleines
comme fleurs écloses et pleines)
Nous voici, aujourd’hui, la peur enfin disparue, étonnés
— et dans l’étonnement —
notre énergie est folle, nos réserves sont folles
les chemins se croisent, se décroisent, bifurquent
sont complexes et multiples
Et toi, naïve, tu penses encore qu’il aurait suffi de refuser le gâchis ?
☆
2
Bien tirada està
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UNE JEUNESSE
Bien tirada està
Jamais triangle n’aura autant été de chair
Parfois le visage s’effondre sous la beauté des ongles
Ta nudité découpe les tissus
Tes chants sont une ruche tranquille
Lorsqu’un corps comme le tien se courbe vers le sol
s’occupe du moindre détail
est-ce pour séduire, ce soir même
la rapacité de l’insecte
ou pour donner envie au blanc de tes côtes d’être fendu à la hache ?
☆
3
Bellos consejos
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LES BONS CONSEILS
Bellos consejos
1.
Dans le noir
la vieille femme t’accompagne
Une chaise vide
Non pas qu’il soit nécessaire d’être toujours aux aguets
mais la sagesse, quand bien même elle nécessite la venue du fruit, sa maturité
est déjà là, entrevue dans la graine
à qui sait voir
Il existe des pièges
Les vieillards au regard torve, tu t’en doutes
déjà se complaisaient et fomentaient sous le vernis craquelé de leur jeunesse
Un ver gluant, humide, coule dans ton dos
descend entre tes fesses
suce ton pubis
Tu ne saurais t’en débarrasser d’un coup de reins
Comment vivre au-delà des désirs ?
Et franchement, est-ce nécessaire ?
&
2.
Ce que je pense :
Trouver l’équilibre entre une jouissance saine
emportée de fraîcheurs
— ici-même et au-delà de soi —
et cette tenue de juste mesure, proche du grand corps
avec, pour alliée
cette nécessité manifeste d’une connaissance incandescente.
☆
4
Dios la perdone : y era su madre
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DIEU LUI PARDONNE !
Dios la perdone : y era su madre
1.
L’éventail de la fille gifle sa pudeur
Je sais, sous cette chute de tissus noirs
sous la cascade des toisons
un torrent délicieux
Un autre détail m’oblige : l’angle ouvert des bottes
beaucoup plus que son regard
Quoi d’autre encore ?
La vieille qui l’enchante, bien sûr
il est même dit que c’est sa mère
Dieu lui pardonne !
&
2.
Ce que je pense :
L’artiste, quand il œuvre
découvre toute image comme un cône enchâssé dans d’autres cônes
Ouverture infinie, vive et fraîche — évidente
Encore lui faut-il arriver jusque là
et beaucoup, avant même ce présumé face à face
(qui déjà de lui-même s’efface)
restent aveugles.
☆
5
Ensayos
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SABBAT
Ensayos
Certains, faussement, te portent aux nues
Je vois bien, moi, que tu culmines, lamentable
piégé sur un billot
Nom de Dieu ! Cette main souriante
qui te fourrage l’oreille et te pince le crâne
Tu sais, ça n’est pas votre grand bouc, là-haut
qui m’attire ou m’affole
— Lucifer, adversaire en personne fixant tout voyageur —
mais l’indécence morve de la sorcière
nue, goûteuse
jouissant de la docilité naïve de ton corps manipulé comme un sac
J’ai trouvé, pour toi, tout à l’heure, cette phrase :
Levez-vous et n’ayez point de peur.
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6
Volaverunt
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L’ENVOL
Volaverunt
Autrefois, des lignes de lumière prolongeaient la rivière de mes jambes
sourire était mon unique devise
et les femmes, toutes générations confondues
jalousaient mon aisance
Puis j’ai marché sur des terres ingrates, croisant ici et là nombre d’hommes violents ;
leurs caresses cinglantes furent un leurre
tous m’ont abandonnée
profitant de mon adhésion naïve à une cruauté que je prenais pour le sceau d’un amour immense
Désormais, je reste seule
impassible je les écrase avec mes pieds
comme des insectes vils
Pourtant je chante leur mort
et je pleure
et je tournoie plus loin, plus bas
dans ma douleur
Un seul m’a aimée et m’aimera encore
lui seul, indemne dans mes pensées
toujours voltige
je suis sa fleur
C’est ce grand papillon peint de couleurs vivantes
que mon père m’offrait pour la parure de mes quinze ans.
☆
7
Quien lo creyera ?
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ENFER
Quien lo creyera ?
Nos esprits sont des chiffons
leur jus, consanguin, abreuve la pagaille ;
quel bonheur de savourer sa propre fange, d’en lécher l’écume autour d’une carcasse !
Nos esprits sont des chiffons
la puanteur, ainsi, est bien cachée
À l’image de telle ou telle tresse de boue
les humains — un vol de pigeons —
se jettent, arrogants, sur n’importe quel tapis de miettes
le plus souvent s’en contentent
Les Dieux sont multiples, je sais : prosterne-toi ici, adore, offre, lèche le sol
bouffe, pisse et chie
tu reviendras purifié parmi les tiens, neuf, propre
prêt à tout… crois-tu ?
Voici, pour toi, cette phrase :
Viande avariée attire les mouches.
☆
&
8
Miren que grabes
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L’ÂME DANSE
Miren que grabes
De votre mort nous ne savons rien
De tels visages ! Où le pus, dans l’oreille
rejoint l’extrémité des membres
où la prière, inutile et stérile
se gobe
Les uns sur les autres, adeptes d’un vide sinistre diablement manifeste
vous dansez la gigue de ceux qui ne crurent qu’à leur enveloppe de chair…
Comme vous êtes graves !
De votre mort nous ne savons rien et ne voulons rien savoir
Mes amis, voyons ! Il ne fallait pas se mentir.
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