Syria’s climate conflict. Cette bande dessinée s’installe sur une information réelle forcément intéressante, peu communiquée, la sécheresse qui frappa la Syrie avant le déclenchement de la première révolte. Mais si la désertification est due au changement climatique n’est-elle due qu’au changement climatique ? On sait aujourd’hui que l’enjeu majeur de la guerre de Syrie serait géostratégique et le prétexte tactique le refus de l’impérialisme saoudien de partager le commerce du pétrole et du gaz régional avec l’Iran (ou quiconque), et que la première division eut lieu sous l’ingérence du Qatar (allié des Saoud et de la Turquie — mais encore des pays de l’OTAN dont la France qui servit de proxy aux intérêts plus larges des USA), qui avait un projet concurrent d’approvisionnement (de gaz) devant traverser la Syrie pour l’Europe. Et cetera.
Or, l’eau du peuple... Dire que l’eau fut vraiment le déclencheur populaire de la guerre de Syrie demande un examen préalable des enjeux d’une opportunité micro-stratégique par rapport aux opportunités macro-stratégiques, et des sectarismes fondamentalistes ou nationaux, sur la base desquels la fracture entre tous eut lieu.
Certes, le pays du Président syrien Bachar al-Assad a été fondé en dictature laïque par une transmission filiale d’un régime original constitué à la fois d’une opposition à la dictature militaire du parti Baas (laïque pluraliste) [3], suivie de sa réintégration après un coup d’État pour le défaire du pouvoir, par Hafez al-Assad, le père de Bachar. Pour instituer Bachar al-Assad il y aura des consultations référendaires, mais elles ne suffisent pas à instruire une démocratie dans la mesure où un tel vote ne permet pas de choisir entre plusieurs candidats... Il est le dernier chef d’État survivant de ces filiations autrement disparues, soit par dépérissement au cours de la réalisation par étapes du néo-libéralisme, soit dû aux ruptures géographiques, stratégiques, ou géopolitiques — aux catastrophes, aux dépressions, aux coups d’État,— ou à la force destructrice des guerres régionales ou impériales environnantes provoquant des migrations de masse principalement entre pays voisins avant de s’étendre vers les autres pays. Ce dont forcément on ne peut évaluer les conséquences qu’après coup.
Personne ne peut nier l’existence répressive et parfois violente du pouvoir syrien, qui gouvernait autoritairement sans distinction politique à l’encontre de son opposition, ni encore la violence inter et infra communautaire notoire du peuple syrien, qui loin d’être exacerbée par le régime était au contraire contenue par celui-ci grâce à la laïcité et la gratuité des services publics, et qu’on a toujours beau jeu d’attribuer aux manipulations du régime quand en réalité la coexistence inter-ethnique connaissait des épisodes conflictuels endémiques quoique ponctuels (comme en Inde), ce qui pouvait comprendre la violence infra-ethnique pour empêcher des filiations transfuges.
L’autre argument occidental est la mauvaise répartition géopolitique du Moyen Orient à revoir par ceux qui se seraient fourvoyés (notamment les Britanniques et les Français acteurs stratégiques par leurs mandats régionaux respectifs à l’issue de la première guerre mondiale)... cadrée par les accords Sykes–Picot. Contestation mettant en ellipse qu’entre temps des souverainetés nationales reconnues par la Société des Nations puis par l’ONU existèrent et poursuivent d’exister (une diaspora palestinienne inclus) ; mais de toutes façons en Syrie l’intrication inter-communautaire était telle, dans cette région du monde fondatrice et accueillante de plusieurs cultures ante-historiques et historiques, que la structurer en nations par groupes culturels ou religieux n’aurait pu correspondre à la mixité de la réalité habitée. Or le régime syrien assumait réellement le pluralisme ethnique. On a bien vu l’erreur se réaliser inversement en Palestine en 1947. Au reste, qui en 1916 aurait défendu la fondation de nations modernes selon un nationalisme ethnique exclusif ? Pas même monsieur James Balfour, anticipant en 1917 sous l’égide de la Couronne d’Angleterre un engagement sur la rétrocession ultérieure de la Palestine mandataire, pour « un foyer national du peuple juif », (non pas tant en réparation des pogroms subis en Europe par la communauté juive qu’en remerciement négocié pour l’effort de la communauté sioniste d’avoir convaincu le gouvernement américain d’entrer en guerre contre l’Allemagne, au moment décisif de l’épuisement des armées françaises et britanniques [4]), puisque la déclaration qui porte son nom mentionne aussi : « étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ».
Avant le déclenchement de la guerre de Syrie, Bachar al-Assad succédant au pouvoir de son père ne fut pas internationalement ni nationalement considéré comme aussi dur et autoritaire que son prédécesseur. Si les caciques du parti Baas empêchèrent la Syrie d’évoluer vers davantage de libéralisme et d’élargissement constitutionnel, pour autant on ne peut considérer que Bachar al-Assad, qui inaugura les prémisses du changement et commença son exercice en pensant réformer davantage sur cette voie, soit davantage ni plus ni moins qu’un réformiste. Les cadres indéracinables du Baas, des années après avoir réalisé en association avec la fédération des partis une forme de socialisme, sont encore moins démocrates que le Président, d’autant plus qu’ils se considèrent plus égalitaires et justes que tout autre pouvoir susceptible de les remplacer face au pluralisme communautaire. Enfin, ils furent d’autant plus fermes, face au nouveau dirigeant, qu’ils se souvenaient que son père avait inauguré sa prise du pouvoir par un coup d’État contre leur dictature militaire. Alors, d’une certaine façon, ils devancèrent la situation afin de contrôler le pouvoir du nouveau Chef d’État. Ce qui replia le clan resserré autour de Bachar al-Assad sur son auto-sécurité, et, comme il demeurait des rivalités familiales, en commençant par la sécurité nationale, la garde républicaine en Syrie, assurée par Maher al Assad, le plus jeune frère du Président, et la direction des services secrets de l’armée assurée par leur beau-frère (époux de leur sœur Bushra al-Assad), Assef Shawkat, qui avait déjà servi sous la Présidence du père, et qui mourra dans un bombardement à Damas, en 2012.
Parmi les massacres, celui répétitivement reproché à Bachar al-Assad, où des familles entières furent atrocement mutilées puis assassinées maison par maison, par des brigades de la mort, à Houla, alors tenue par des forces d’opposition, serait la source de la« légitimité » de la guerre civile contre Bachar al-Assad, celle qui lui valut le nom de Bachar-le-boucher, périodiquement re-utilisé chaque fois que la guerre rebondissant sur le terrain remet sine die de pouvoir se conclure à Genève. Qu’en fut-il ? En réalité, on ne nomme même plus aujourd’hui ce massacre par le nom du lieu où il s’opéra, tellement ses responsables sont inavoués- non prouvables ou-inavouables [5].
Tenant une centaine de morts dont une quarantaine d’enfants et 300 blessés, le massacre de Houla fut révélé dans une vidéo réalisée et envoyée par l’ASL à la Presse et mise en circulation dans les réseaux sociaux, le 25 mai 2012. Plusieurs sources d’information internationale auto-contradictoires (par étapes récurrentes) contestèrent les responsabilités en cause, selon les témoignages rapportés les jours suivants par des journalistes sur place, notamment le lendemain même Alex Thompson (envoyé de Channel 4 en Syrie) qui sur place avant l’ONU rapporta les premiers témoignages. Puis Alex Thomson revint sur le site le lendemain, après l’arrivée de l’ONU, et les témoignages avaient changé ; ces nouveaux témoignages menèrent les observateurs de l’ONU sous le lobbying des forces favorables à la chute de Bachar al-Assad à attribuer le massacre au régime. Des articles situent aussi la présence du MI6 et de la CIA. Même si l’armée du régime avant et après put bombarder la ville occupée — étant une région au nord de Homs en passe de tomber, — et même s’il fut dit que des milices syriennes pro-régime pouvaient avoir été impliquées, notamment les brigades de la jeunesse, d’autres évoquèrent des brigades de l’Armée Syrienne Libre réglant ses comptes avec les familles sunnites restées favorables au régime. Quant à l’ONU en conclusion, elle répéta de citer la responsabilité du régime et de l’armée, mais non plus au titre que celle-ci fût l’auteur du massacre ni même d’y avoir participé, mais de ne l’avoir pas empêché (mais l’auraient-ils pu dans le processus d’affrontements où elle ne dominait plus le terrain celui-ci étant notoirement occupé par les "rebelles" ?) Jamais l’ONU n’en tint responsable en quoique ce soit Bachar al-Assad lui-même. Ces atrocités ayant relancé la guerre au moment où des négociations de paix étaient envisagées à Amman sont toujours restées l’objet de témoignages sous pression — et par conséquent contestables ?
Ultérieurement, on a pu assister à la reproduction d’atrocités attribuées avec un retour de responsabilités improbables, lors de moments cruciaux pour la relance de l’appel aux armements et au djihad international, ainsi qu’au renforcement du soutien de la guerre par les grandes puissances et les pétromonarchies contre Assad [6].
Retour à la sécheresse. Suite à l’évocation du désastre pas seulement climatique d’une sécheresse irréversible entre 2006 et 2011, si on lit bien la bande dessinée Syria’s climate conflict qui nous dit tout sur la guerre de Syrie, mais on ajoute — puisqu’un grand projet d’ouvrage d’irrigation des terres sinistrées qui était prévu ne pût être entrepris, faute de réserve d’eau accessible, — il est justement étrange que la grande absente de cette bande dessinée soit l’eau du Golan. Le Golan est pourtant considéré comme le réservoir d’eau du Proche Orient au carrefour de quatre pays, la Jordanie, la Syrie, Israël, le Liban [7].
L’eau du Golan ne fut-elle pas l’une des raisons pour lesquelles, en 2000, Bachar al-Assad, à peine mandaté comme Président, demanda une résolution de l’ONU pour la rétrocession du Golan [8] par Israël à la Syrie ? Puis sa demande dans les règles restant lettre morte, il récidiva par une campagne d’information dans la Presse internationale et précisément encore en 2008, dans son interview par Alain Gresh pour Le Monde diplomatique [9]. Plus près de nous, c’est le 25 octobre 2010 qu’une lettre fut expressément envoyée au Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-moon, par le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem, pour demander à l’Assemblée générale des Nations Unies d’empêcher Israël de voler les eaux du Golan — lui étant dit sans ambages « d’assumer ses responsabilités et d’empêcher Israël de poursuivre ses violations en volant notamment les ressources naturelles dans les territoires arabes occupés y compris dans le Golan syrien occupé » [10].
C’est moins de six mois après la lettre de Walid Mouallem que les premières manifestations insurrectionnelles pacifiques de la population en marche pour son printemps arabe survinrent en Syrie (en février 2011) à Hama et à Deraa, principalement organisées par les Frères Musulmans ; mais tout au contraire de l’Égypte, où les communautés s’unirent à Tahrir contre la dictature de Mubarak (qui fut déchu sans que le régime militaire n’en fut atteint), ces manifestations en Syrie révélèrent immédiatement des mouvements ethniquement opposés, des uns dits « la majorité » contre les autres dits « les minorités » — deux d’entre elles étant clairement désignées en boucs émissaires du régime d’Assad sous des mots d’ordre tels : « les Chrétiens au Liban, les Alaouites au cimetière ». Sans oublier les Chiites, le schisme haï par les Saoud ; quant aux Sunnites soutenant le régime ils furent sans réserve considérés comme des adversaires de la « majorité », s’ils ne la ralliaient pas.
Alain Gresh, dans son article « Révoltes en Syrie » du 28 mars 2011 [11]— citant et traduisant un blog du 26 mars dans Syria Comment de Joshua Landis, qui apparemment se trouvait à Deraa lors du soulèvement :
Comme le souligne Landis à propos des manifestations de Deraa : « Pour la première fois hier (le 22 mars), nous avons entendu des slogans confessionnels, alors que jusque-là l’opposition s’en était tenue à un message modéré de démantèlement de l’état d’urgence, d’une nouvelle loi sur les partis, et de l’extension de la liberté. Mais jeudi, les manifestants ont abandonné les slogans plus modérés, et scandé : "Non à l’Iran, non au Hezbollah, nous voulons un musulman qui craigne Dieu". » Cela rappelle les slogans des Frères musulmans dans les années 1970 et les années 1980 qui reprochaient au président Assad (alaouite) d’être un incroyant. Si Deraa est une ville sunnite, Lattaquié se situe au cœur du pays alaouite. Et le risque là-bas est un affrontement communautaire direct. De violents heurts ont eu lieu entre manifestants et des milices favorables aux Assad, des rumeurs ont circulé que des groupes d’Alaouites armés descendaient des montagnes pour tuer des Sunnites. La Garde républicaine et l’armée sont entrées dans la ville pour s’interposer (Joshua Landis, « Syria Dividing : Most Large Cities Calm. The Troubles in Latakia Lead to Army being Deployed », 26 mars). Des nouveaux heurts étaient signalés encore le 27 janvier (« Deaths as Syria protests spread », Al-Jazeera english).
Deraa est une ville du gouvernorat qui porte son nom au carrefour stratégique du Golan, où, d’après Frédéric Pichon [12] dans son livre, Syrie, pourquoi l’Occident s’est trompé (éd. du Rocher, 2014), les Frères Musulmans tenaient une tête de pont pour envoyer des djihadistes en Irak contre les Américains. Alain Gresh, toujours dans son blog du 28 mars 2011 (Nouvelles d’Orient) [13], explique comment les choses se seraient produites et enchaînées, à partir du soulèvement de Deraa réactif à « l’arrestation de quelques enfants d’une dizaine d’années qui avaient inscrit des slogans hostiles au gouvernement sur les murs de la ville. Les mères, venues réclamer leur libération, se sont affrontées avec la police, certaines ont été arrêtées et, selon des témoins, rasées. Cette étincelle a mis le feu aux poudres, [...]. » [14] ; il précise le contexte, citant une première fois Joshua Landis : « Deraa est très pauvre et musulmane (sunnite). Elle réunit tout ce qui pose problème en Syrie : une économie en faillite, une explosion démographique, un mauvais gouverneur et des forces de sécurité autoritaires. » [15]
Néanmoins le mouvement de février avait commencé non pas à Deraa, comme l’informe à tort la bande dessinée, mais à Hama, la ville symbolique des massacres multiples (insurrection et répression) lors de la tentative d’assassinat d’Hafez al-Assad [16] par les Frères Musulmans, en 1982, avec les premiers massacres commis non par le pouvoir mais par les « factieux », en 1979 dans une école de cadres militaires, d’une quarantaine d’étudiants alaouites et en 1982, plus de trois cent personnes lors d’un raid dans un quartier de Hama favorable au régime. Enfin, suite à leur soulèvement armé faisant des victimes pour renverser le pouvoir laïque eut lieu le massacre final, les représailles massives et sanglantes par le régime. Ces représailles furent attribuées principalement à Rifaat al-Assad au service de son frère, qui l’avait aidé dans le coup d’État contre la dictature militaire du parti Baas en 1966 — et qui en 1984 sera exclu pour trahison et se réfugiera en France, décoré par le Président Mitterrand pour services rendus à la France, — et auquel, alors qu’il était devenu et resté persona non grata en Syrie, les États-Unis prêtent la responsabilité de l’attentat qui tua Rafic Hariri à Beyrouth, en 2005, — ainsi qu’Abdel Halim Khaddam, l’ancien ministre de la défense puis vice-président par intérim pendant deux ans, retiré en France depuis 2005 où il se déclara à l’œuvre de renverser le pouvoir en Syrie, proche de la famille Hariri à laquelle il loue sa demeure, et enfin, le Général Moustapha Tlass, encore actif dans le gouvernement syrien quand Bachar al-Assad arriva au pouvoir (ce dernier l’engageant à prendre sa retraite, réalisée deux ans après) [17].
Sur le rôle des Frères Musulmans dans l’organisation du soulèvement du printemps syrien on peut se reporter à l’article de Landis du 2 avril 2011, toujours dans son site Syria Comment : « The Man behind “Syria Revolution 2011” Facebook-Page Speaks Out » [18].
Plutôt qu’une réponse de l’ONU pour restituer ou partager l’eau du Golan, ainsi commença la guerre civile syrienne sur fond de revendication de nationalisme ethnique ou religieux, où des démocrates sincères et des marxistes purent à tort penser tirer leur épingle du jeu ; mais ces derniers furent vite résolus à ne plus soutenir la confusion [19], sachant la lutte armée des milices de l’opposition faussement unies sous la bannière de la branche militaire sur place, l’Armée syrienne libre, relai du CNS siégeant à Paris. L’autorité de l’ASL n’a jamais été respectée par la multitude de factions qu’elle prétend(ait) fédérer sur le terrain, sinon pour leur distribuer des armes fournies par les puissances étrangères, et cette libanisation de la guerre radicalisa dialectiquement la réponse tant secrète que policière et militaire du régime et de ses propres soutiens miliciens, d’autant plus intraitables que sachant l’irréductibilité religieuse du fond de vengeance inter-ethnique [20].
Non seulement la bande dessinée portant sur la désertification des zones agricoles due à la catastrophe climatique fait radicalement l’ellipse du Golan — l’eau du Golan dérobée aux Syriens, — mais encore elle néglige d’informer sur les interpellations officielles des Nations Unies par le gouvernement syrien à propos de l’eau. Il est vrai que loin de répondre sur le Golan, l’ordre du jour des Nations Unies était plutôt de renverser le dictateur « sanguinaire ».
Des points d’information manquants on pourrait pourtant tirer les leçons prédictibles des exigences non négociables de la capitulation d’al-Assad, comme cela avait été obtenu de Ben Ali puis de Mubarak avec l’aide des USA. Chaque fois mettant à leur place une dictature musulmane intégriste de la charia — bientôt renversée au crédit d’une nouvelle dictature nationaliste.
Il y a l’eau — israël — il y a le gaz qatari contre le gaz russe — l’Europe — le pétrole et le gaz libano-gazoui offshore (une des plus grandes nappes jamais détectées), — le Royaume Uni, l’Égypte, les pétromonarchies. La géopolitique américaine au sud de la Russie jusqu’à l’inde et la Chine. Le nationalisme impérialiste turc, etc.
Les États-Unis, les pétromonarchies à leurs côtés, l’aiguillon israélien surtout sont concernés par les raisons de faire disparaître Bachar al-Assad. C’est le dernier des chefs d’État régionaux à du moins aider la résistance palestinienne. Entre l’eau du Golan et les Palestiniens, cherchons le colon ses projets et ses alliances impériales.
Quant aux Palestiniens impliqués en Syrie, ce sont principalement les chrétiens et laïques du FPLP, Front populaire de libération de la Palestine, dont les réfugiés se trouvent également en Jordanie, mais la branche également pluraliste « Commandement général » fondée par le musulman Ahmed Jibril est soutenue par les Syriens depuis 1968, le Hezbollah (la Syrie ne boycottait pas l’Iran), et jusqu’au commencement de la révolte, le Hamas, filiation des Frères Musulmans créée en 1987 à Gaza — Khaled Mechaall était réfugié à Damas.
Réactiver la fureur historique des Frères Musulmans contre la dynastie al-Assad en impliquant maintenant le Hamas, alors qu’elle s’était résolue avec l’accueil du gouvernement provisoire du Hamas banni par la communauté internationale, était une opération intéressante pour diviser l’ultime résistance palestinienne au dehors comme au dedans, en l’opposant entre elle à travers la guerre civile syrienne [21]. Ce n’était sûrement pas intéressant pour la résistance palestinienne, ni pour le régime syrien qui la soutenait, grand ennemi de Tsahal au temps de l’occupation du Liban.
Quant au Hamas, les intérêts consécutifs de son retournement politique contre al-Assad l’opposèrent non seulement au Hezbollah chiite qui l’avait toujours aidé et formé militairement, mais encore au FPLP-cg (son alter ego de la résistance militaire à Gaza), ces deux autres mouvements palestiniens alliés de l’armée syrienne. Le FPLP-cg et les membres de sa communauté peuplaient majoritairement et administraient le fameux quartier de Yarmouk, faubourg de Damas réputé pour y faire bon vivre [22].
Ainsi, on néglige souvent d’informer comment le camp de Yarmouk tomba entre les mains de l’ASL (l’Armée syrienne libre) radicalisée par l’EI. Dans l’article de Wikipédia sur Ahmed Jibril, on peut lire deux paragraphes titrés, « Massacre du 6 juin 2011 », et « Perte du camp de al-Yarmouk », qui peuvent édifier de la réalité de l’opposition meurtrière entre le FPLP-cg pro régime et les familles palestiniennes pro ASL anti-régime, déjà dans la confusion de la double contrainte de l’ennemi, (contre Israël qui soudain devint logiquement leur allié de fait, et contre Bachar al-Assad [23].
La population palestinienne laïque, musulmane ou chrétienne, fut chassée par les assauts des rebelles radicaux s’appuyant sur la division de l’ALP, due au retournement d’alliance du Hamas qui soutenant ses Frères fut soudain aidé par l’un des belligérants contre le régime, le Qatar (où Mechaal ne tarda pas à émigrer) [24].
Dans le projet colonialiste des puissances nationales sunnites soutenu par les États wahhabites d’une part et la Turquie également favorable à un califat étendu d’autre part, Yarmouk devint un poste militaire d’ingérence contre le régime de Damas, un camp retranché renforcé par une colonie de peuplement de familles activistes des Frères musulmans migrant d’abord d’Égypte, — où de surcroit Morsi étant renversé depuis 2013 ils étaient de nouveau durement réprimés, — entre autres migrations et pas seulement... Yarmouk après avoir été le quartier de la manne palestinienne soutenue par le régime subit alors l’ingérence de l’EI puis l’assaut. « Après plusieurs jours de combats inter-palestiniens, le camp tombe le 19 décembre 2012 entre les mains des rebelles de l’Armée syrienne libre. Les forces de Jibril restent cependant massées aux portes du camp aux côtés de l’armée régulière, empêchant l’ASL d’une quelconque avancée vers le centre de Damas, où Ahmed Jibril réside toujours afin de veiller sur la coordination des opérations militaires menées par ses hommes. » La réplique implacable du blocus syrien sur Yarmouk, toutes communautés occupantes et résidentes confondues sachant que le plus grand nombre des natifs en furent chassés, ce n’est pas le régime ni son Président, c’est d’abord l’acte de guerre de la résistance palestinienne divisée, partie prenante de la guerre civile entre elle-même, et à son corps défendant le FPLPcg soutenant sa propre cause et les institutions pluralistes de son quartier aux portes de la capitale syrienne [25].
Pour mémoire de cette fracture : « Le 6 juin 2011 avaient lieu les enterrements de manifestants palestiniens, tués la veille par l’armée israélienne sur le plateau du Golan, au camp d’Al-Yarmouk à Damas. Leurs parents scandèrent des slogans hostiles au FPLP-cg et à Ahmed Jibril qu’ils accusèrent de manipuler leurs enfants pour détourner l’attention des médias du soulèvement syrien, les miliciens d’Ahmed Jibril ouvrirnt alors le feu, tuant 14 manifestants » [26].
Aujourd’hui ceux des Palestiniens pro-Hamas réintégrés par la solidarité du Hezbollah (parti palestinien chiite libanais) donc au pire s’abstenant de combattre en Syrie (ceux qui n’ont pas rejoint les takfiristes), et le FPLP-cg, soutiennent les loyalistes syriens à la fois contre les djihadistes et contre Israël, alors qu’ils s’étaient récemment déchirés face à leur ennemi historique, Israël — qui ne désarme pas de les récupérer par divers moyens sur le terrain.
Malheureusement pour les optimistes de l’abdication du « dictateur », la base pluraliste de soutien « électoral » d’al-Assad et son armée étaient plus forts qu’escompté et le Hezbollah ne désempara pas de l’aider ni les Russes de l’armer et les Iraniens de le secourir notamment en approvisionnant l’armement du Hezbollah dont les rangs militarisés renflouèrent l’armée loyaliste décimée, non pas tant par les désertions selon la rumeur, mais par la mort au « champ d’honneur » (le plus grand nombre de morts militaires et civil étant tu côté du régime et de ses alliés) [27].
La Syrie étant l’alliée régionale majeure de la Russie celle-ci aurait été — serait — en mauvaise posture eurasiatique si elle abandonnait le terrain, quant aux turbulences dues au terrorisme islamique émergeant — dont sous proxy — dans ses États du sud, et internationale dans le cadre de son encerclement par l’OTAN et son isolement économique par l’Europe depuis l’affaire ukrainienne : voir les Russes abandonner est donc inconcevable [28].
Et voici le résultat aujourd’hui qu’au lieu de négocier avec le « dictateur » pour le contraindre de démocratiser son régime ou de démissionner dans le cadre d’une solution « élégante », comme le dit en 2012 Lavrov qui le proposa alors en vain aux Américains et à leurs alliés [29], on ait au contraire armé une multitude de milices musulmanes extrémistes ou aliénées par les extrémistes pour le vaincre en occupant et en colonisant le territoire.
Mais personne ne peut nier, telle la violence du régime, que si la Syrie existe encore symboliquement aujourd’hui comme nation intermédiaire entre les grandes puissances et les populations locales — et étant toujours présente aux Nations Unies, — peu importe la dimension de son territoire, c’est parce que son Président Bachar al-Assad a tenu, soutenu par une part plus importante de son peuple que les autres dictateurs renversés avant lui. Ceux qui disent que sa résistance est la cause de cette guerre et de ses morts devraient se taire, qu’ils comptent les morts irakiens et libyens après que les dictateurs aient disparu. Ce n’est pas que je défende par là une dictature, mais je veux dire un constat, qu’à ce stade de l’histoire du monde, le problème géopolitique et géostratégique éclipse celui de la dictature (instrumentée par les grandes puissances puis rejetée) et l’échelle humaine du désastre appelle un changement — un choix — pragmatique humain, non moral.
Une « Nakba » de plus de 4 millions de personnes [en 2016 plus de 10 millions], la moitié de la population restante déplacée, des colonies de peuplement immigré partout où les gens spoliés ayant fui leurs maisons les familles du djihad des étrangers s’installent dans celles restant encore debout, un pays entier dont son industrie son agriculture et son patrimoine publics et privés détruits, à ce jour sans doute plus de 250 000 morts (on ne dénombre plus les blessés depuis longtemps) [plus de 300 000 en 2016] la menace terroriste internationale par les milices djihadistes contre les pays qui les lâchent après les avoir soutenus dans leur migration et leur radicalisme meurtrier, et maintenant la phase 3 : la guerre internationale. C’est à dire, peut-être, en une sorte de troisième guerre mondiale ? Sauf si les Russes et les Américains s’entendent, suite aux rapports de force entre les armes et leur usage, suite au retour de la dialectique de la guerre, au dessus de la Syrie et d’Israël, entre deux parties étrangères impériales, pour qu’alors une paix traditionnelle puisse avoir lieu. Et la puissance la mieux placée est évidemment celle qui soutient ce qu’il reste de l’ancienne nation. Mais sur le dos de qui ? Qu’importe, pourvu que la guerre s’arrête — comble de l’absurdité de ce qui a mortellement eu lieu [30].
Aucun point de vue moral ne peut plus ni ne pourra plus mener à la fin de cette guerre. Mais seulement des négociations politiques dans un cadre géopolitique équilibré — au moins la paix (?) même s’il est déjà bien largement trop tard pour reconstituer un territoire uni ne serait-ce que fédéral : mais le remodelage du Proche Orient en Grand Moyen Orient n’était-il pas déjà un projet des Bush [31] ? Tout ce qui change par rapport à ce projet c’est la situation intriquée de l’Iran du fait du traité avec les États-Unis. Mais le reste paraît se poursuivre.
Donc je prétends que cette bande dessinée qui dit énoncer de simples faits expliquant l’étendue du conflit est en réalité partisane et activiste, on pourrait même la qualifier de propagandiste de la guerre absolue contre la légitimité nationale syrienne, en ayant l’air de se préoccuper d’écologie de justice et de droits humains.
Quand les Kurdes Peshmergas qui combattent aujourd’hui contre Daech commencèrent par combattre Assad — et demeurent ennemis pour une partition de la Syrie au nord est, — alliance atlantique contre Daech ou pas (mais il semblerait qu’il y ait de fait alliance si contradictoire cela soit-il face aux Turcs qui combattent les Kurdes et soutiennent l’EI), tout au contraire les Kurdes du Golan peuplant la partie syrienne désertique soutiennent le régime et sont à la fois la cible d’Israël et de l’EI : qui pourrait alors penser que l’enjeu du Golan fut le pétrole, même s’il y en a, ou le gaz (au contraire du nord et de l’Irak), ou encore selon les intérêts du Qatar et de l’Arabie Saoudite, pour la traversée de la Syrie par leur gazoduc et l’exploitation des énergies fossiles maritimes comme au Liban et à Gaza ils l’escomptent, ou les métaux précieux ? Sinon l’épice [32] de cette région du Proche-Orient et du projet du Grand Israël : l’eau.
Et c’est un indice de la source du projet dessiné auquel nous avons été confrontés sur facebook le 3 septembre, que soudain il pense, sous la plume « non partisane sinon émue » de créateurs étrangers informés, l’eau de la communauté qui en a été dépourvue comme imputable à l’incompétence ou à l’injustice du chef d’État syrien, alors qu’ils ont trop bien compris les conséquences du manque d’eau pour ne pas laisser entrevoir le rôle qu’elle pourrait jouer en matière de stratégie militaire ou de blocus, tandis que les acteurs impliqués dans le soulèvement ne pensent jamais à l’évoquer parmi les facteurs de la guerre civile où les idéologies finalistes triomphent.
Le problème régional syrien majeur c’était le problème d’Israël avec les Palestiniens de la diaspora régionale comme une autre occurrence de l’ancienne guerre du Liban, c’est aussi la question des frontières d’Israël à étendre sa domination sur les territoires voisins, tant au titre de la sécurité qu’à celui du Grand Israël ; c’est devenu un problème mondial, celui de l’entropie de l’intrication des services secrets et de l’autonomie de leurs moyens armés, ainsi que ceux de leurs mercenaires et miliciens internationaux fondés à la fois par leur croyance et leur quête de travail rémunéré, qui installent dialectiquement une insécurité irréductible des puissances mondiales par ailleurs contradictoirement solidaires dans l’anthropocène (et cela comprend justement l’autonomie des guerres post-dialectiques et celle des armes — vu les armes en marché libre dont un grand nombre est digne de figurer au tableau des armes de destruction massive), ajouté aux grandes migrations dues aux catastrophes climatiques produites ou naturelles. Lorsqu’on ne peut pas déclarer la cause d’une guerre occidentale légitime en Syrie, alors on la lie au problème européen de l’Ukraine — la question russe de l’OTAN.
C’est donc par les Russes que passe l’hypothèse de la paix s’il en est une possible. Et le Président français ne peut l’ignorer moins que Bachar al-Assad y accorde et pour cause le plus grand intérêt. La question n’est pas l’envol de la mouche mais où elle va se poser.
Alors, que pèse institutionnellement le dossier « César » constitué en 2014 [33] soudain survenant à la Une avec un an de retard tard, succédant de deux ans — mais dans une même opportunité — à celui des morts du gaz sarin à la Ghouta ? [34] Cette fois encore, précisément et juste à point pour démettre les Russes de leur allié — c’est-à-dire ni plus ni moins de leur géopolitique, — il est probable qu’il ne mènera de nouveau qu’au renforcement de la diplomatie russe. Une fois de plus elle s’attachera à convaincre qu’il puisse s’agir de documents en partie fabriqués. Pourquoi ?
D’abord parce que cela peut être le cas, or si l’on ne remet pas en cause la bonne foi des officiels français parlons alors de leur grande naïveté, l’ensemble des victimes photographiées pouvant être à la fois des loyalistes — non moins salement « amochés » par leurs ennemis qu’ils ne les ont sans nul doute semblablement atteints, quoiqu’en bien moins grand nombre qu’ils ne furent eux-mêmes atteints (même les chiffres des agences défavorables au régime en attestent) — et des rebelles confondus, s’agissant d’un hôpital miliaire syrien ; ensuite, parce que tout document visuel peut-être traditionnellement truqué (mis en scène) au moment des prises de vues, et de plus aujourd’hui visuellement modifié par des moyens numériques efficaces, et à ce titre de tels documents ne pourraient suffire à constituer une preuve (on l’a vu concernant les documents indécidables sur la responsabilité en cause dans l’objet de la présentation — et la présentation elle-même — des victimes de la Ghouta, déconstruits par une religieuse au moment de l’événement, qu identifia des enfants alaouites qui avaient été enlevés et déportés, et qu’elle reconnaissait) [35], ensuite parce que les leaders de l’Arabie Saoudite qui exigent le départ d’al-Assad auprès des alliés qu’ils financent est le principal ennemi secret de l’intérieur en Russie, immergé dans les républiques musulmanes du sud [36].
Or le gouvernement Obama n’y est pas insensible dû à l’un de ses plus vieux consultants en matière de realpolitik de la politique étrangère, Henry Kissinger, lequel en son temps ne s’était pas contenté de déstabiliser l’Amérique du Sud mais était passé maître à stabiliser le Moyen Orient au moment du retrait des forces d’occupation au Liban. Il a réapparu au Liban il y a deux ans, lors des troubles dus à l’ingérence dans le cadre syrien entre autre [37], et maintenant il enchaîne les consultations et les conférences pour conseiller un rapprochement russo-américain contre le terrorisme islamique (et les puissances arabes qui le soutiennent de façon indépendante sous couvert de leurs alliances) [38] ; davantage, il critique la politique occidentale de l’Ukraine [39].
Inclus le développement régional de la guerre au Yemen qui fut lâchée comme une proie pour étancher la frustration causée par l’accord iranien, mais qu’il faudra aussi faire cesser, canal trans-yéménite ou pas. Quand les Talibans repartent de plus belle en Afghanistan comme pour édifier une base de repli aux takfiristes refoulés d’Irak et bientôt de Syrie.
Il se pourrait même que sous les augures de Kissinger, signataire pour les États-Unis des accords de paix de Paris qui mirent fin à la guerre du Viet Nam, qui fut même traité d’espion soviétique alors qu’il faisait la guerre aux communistes dans les Amériques, et traité de « Juif antisémite » à cause de ses positions régionales sur lesquelles il refusa de plier en tant qu’américain face au lobby sioniste de son pays, alors qu’il avait pu mettre un terme à la guerre du Kippour en scellant un accord entre l’Égypte et Israël (ce qui le rend aujourd’hui incontournable dans une perspective de stabilisation au Proche Orient), une coalition russo-américaine soit en train de préparer un retour uni en Afghanistan.
Si tel était le projet, aucune autre alliance ne pourrait l’empêcher.
Pas plus que les Russes les Américains n’ont intérêt à ce que la situation géopolitique des Russes en Syrie [40] soit menacée par les aléas d’un gouvernement syrien suivant. Mais on peut toujours se tromper.
Rappel de l’œuvre discutée (malheureusement sous copyright donc on ne peut que la lier et la citer) : Audrey Quinn (writer), Jackie Roche (illustrator), Syrias’climate conflict : « Trying to follow what is going on in Syria and why ? This comic will get you there in 5 minutes. », September 03, 2015, in Upworthy. (Essayer de comprendre ce qui se passe en Syrie et pourquoi ? Avec cette BD vous y parviendrez en 5 minutes) ; Alisha Huber (Curator).
Le logo de l’article est une citation du bandeau intitulé de l’œuvre Syrias’climate conflict.