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Chroniques berlinoises 

mercredi 9 décembre 2015, par Laurent Maindon

SA MAIN

Provocante et éphémère
N’a de cesse de l’évanouir
De le ranimer de le séduire
Abolissant toutes les frontières
Bien au-delà de tous les vices

ORPHELINE D’ÉTREINTE

Le poète monte sur un talus herbeux
Non par hasard
Il y grimpait jadis pour contempler l’autre côté
Dans un mélange de consternation et de voyeurisme
Il observait les bribes de vie au-delà du mur
Baisers volés sans consentement
Il s’indignait de ne pouvoir adresser la parole sinon par héler

Horizon divisé

Ciel partagé

On lui vantait le bon côté du miroir
Télévisions journaux bon sens et mots de comptoir
Contemplation de soi même

Narcisses éperdus

Il aimerait savoir si son double de l’époque
Celui d’outre-mur
Rit encore de lui

Sarcasmes perdus

Une amertume définitive parcourt son sourire
Conscient de n’avoir franchi aucun secret depuis vingt-cinq ans
Il n’a juste plus aucun reflet désormais
Pour tenter une vague saisie de soi

REPREND DÉJÀ SA QUÊTE INFERNALE

Tu as la science des interdits

Espiègle et subreptice

Tu confisques les accès à ton intimité

Indécise démoniaque

Me confine aux incendies

Au pourtour de mes non-dits

SANS MÊME ACCEPTER

Un soleil généreux ne parvient pas à fondre le lac gelé
Les feuilles de tilleul y sont emprisonnées
Tadornes et corneilles s’ébrouent
Les ombres s’étirent à mesure que la fin du jour approche
Le poète sourit

Y décèle un paysage intérieur

Puis poursuit son chemin

Indifférent à toute nostalgie

SON ACCORD.

Me revient à présent ce souvenir
Café bondé très enfumé
Schönhauser Allee
Après passage cérémonial de frontière
Change obligatoire
Scrutation méticuleuse du passeport et du visage
Intimidation maladroite du képi
Cœur qui bat comme pour craindre l’improbable
S’ensuit une marche fatigante dans le froid
Excités de se retrouver derrière le mur
Dans la grisaille monocorde
Les visages que l’on voulait voir tristes


Café bondé donc
Une bière à peine finie
Resservie à l’aveugle par un serveur automate
Le sourire arraché depuis longtemps
Notant d’un trait chaque bière sur un bock qui se souille peu à peu
Notre jeu de cartes interroge
Puis finit par rapprocher intrus et habitués
Tablée s’agrandissant peu à peu
Bières partagées sarcasmes oubliés
Rires timides puis franches rigolades
Quelques bretzels un peu de Wurst
Emplissent les estomacs noyés
L’amitié entre les peuples
Soudain anachronique et blasphématoire
L’internationale des mains serrées discrédite les conspirations venues du haut
Mais soudain la cloche sonne
Vingt-trois heures
Dernier tour de cadran avant
La permission de minuit
La politique tentant d’effacer
L’intimité
Les regards savent qu’il
Ne s’agit que d’un sursis
Affranchis du désespoir
Et des illusions comiques
Révérences fraternelles obligent
Nous sautons dans le dernier tram pour le checkpoint
Friedrichstrasse carrefour des âmes errantes
Des cigarettes moins chères
Et de la vodka bon marché
Rejouer sa crainte face au képi
Sourire en soi
Aux larcins de l’après-midi
Et croire à jamais à la transgression des lignes
Try again
Fail again
Fail better dit le dramaturge

P.-S.

le logo est d’Igor Zimmermann (2010).

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