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Mobilisation de dernière minute pour sauver les trésors d’André Breton

vendredi 14 février 2003 (Date de rédaction antérieure : 19 avril 2024).

• LE MONDE | 14.02.03 | 13h36

Quelque 4 000 lots provenant de l’atelier du poète surréaliste doivent être dispersés à Drouot en avril. Un Comité de vigilance demande aux pouvoirs publics de préserver ce patrimoine.

Le comité de vigilance animé par Mathieu Bénézet, François Bon et Laurent Margantin a réuni plus de deux mille signatures sur l’appel lancé par ces écrivains contre la dispersion des collections d’André Breton, en avril, à Paris, par la maison de ventes Calmels-Cohen. Dans une lettre au ministre de la culture, il lui demande de "prononcer l’interdiction de sortie de territoire" des livres, objets et œuvres d’art de l’atelier du 42, rue Fontaine, à Paris, où vécut le poète de 1922 à sa mort en 1966 (Le Mondedaté 22-23 décembre 2002). "Dans un deuxième temps", le comité "souhaite obtenir des acteurs culturels, dont certains y sont déjà favorables, l’acquisition par les pouvoirs publics des lots mis en vente à l’hôtel Drouot grâce au droit de préemption".
La prise de position d’Yves Bonnefoy (Le Monde du 5 février) a donné un éclat particulier à une émotion collective légitime. Elle devrait inciter les pouvoirs publics à dépasser le cadre des arrangements déjà prévus (donations, acquisitions de certaines pièces) dont le ministère de la culture rappelle la liste en précisant que la dation du "mur" de l’atelier vient d’être acceptée par les services fiscaux.

Car cette mobilisation de dernière minute ne peut faire oublier une indifférence de vingt années à l’égard d’un patrimoine dont l’existence était connue. Elisa Breton, jusqu’à sa mort en 2000, et Aube Elleouët-Breton, fille de l’écrivain et de Jacqueline Lamba, ont tenu bon pour protéger son intégrité tout en l’ouvrant aux chercheurs, dans l’attente d’une initiative publique pour conserver ensemble les objets, livres, peintures, etc. réunis par le chef de file du mouvement surréaliste. "Nous ne nous battons pas pour une muséification de notre mémoire littéraire", notent les auteurs de l’appel du 7 janvier. "Protester contre le dépeçage marchand de cette mémoire, organiser une action symbolique au moment de la vente, c’est revendiquer pour ce qui nous soude, le sens même de la littérature, tout simplement qu’elle soit action."Jacques Derrida, Michel Butor, Annie Ernaux, Alain Jouffroy, Jean Ristat, Valère Novarina, Kenneth White figuraient parmi les premiers signataires, auxquels se sont joints de nombreux lecteurs, artistes, étudiants, libraires et bibliothécaires (appel breton@remue.net). "Cette affaire nous est tombée dessus, on en ignorait tout jusqu’à l’annonce de la vente", souligne François Bon.

LE "MUR" À BEAUBOURG

Concernant les responsables culturels, l’argument de la surprise ne tient pas. Quand Michel Duffour, ancien secrétaire d’Etat au patrimoine, prend position au nom du Parti communiste ou quand Jack Lang, ancien ministre de la culture, écrit à Jean-Jacques Aillagon pour lui demander des mesures de protection, ils sont loin de découvrir la menace. De 1982 à 1993, l’association Actual, présidée par Jean Schuster et parrainée par les acteurs du mouvement (Leiris, Masson, Matta, Gracq, Soupault), a mené un considérable travail sur les archives et tenté de trouver, auprès de l’Etat ou de la Ville de Paris, un lieu d’accueil pour une fondation.

L’écrivain Jean-Michel Gontier, ancien secrétaire de l’association Actual, se souvient que Jack Lang visita l’atelier de la rue Fontaine, quelque temps avant François Mitterrand, qui y fut reçu au début de 1989, du vivant d’Elisa Breton. "La gauche n’a rien fait quand elle pouvait le faire", indique Jean-Michel Gontier. L’association n’a pas obtenu des pouvoirs publics le soutien nécessaire pour créer un lieu qui aurait perpétué, autour des collections historiques, "l’esprit du surréalisme".

Outre la correspondance privée léguée par André Breton à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet qu’il avait contribué à créer, des pièces majeures sont toutefois entrées dans les collections nationales. Le futur musée du quai Branly a acquis plusieurs grands masques. Des donations sont en cours : le bureau d’André Breton rejoindra la Bibliothèque Doucet ; La Danseuse espagnole de Miro, un portrait de Hitler par Victor Brauner et une toile de Matta sont destinés au Centre Pompidou, qui s’apprête à réinstaller, en mars, le "mur" entré par dation dans les collections publiques selon le vœu d’Aube Ellouët-Breton et qui comprend deux cents oeuvres. "C’est une pièce capitale, note Jean-Michel Gontier, le témoin de son regard sur les objets. Une charge poétique maldororienne, en écart absolu avec les accrochages traditionnels habituellement réalisés pour célébrer la marchandise culturelle qui demeurera comme rappel du rêve surréaliste."

Michèle Champenois

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 15.02.03

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