Discours :
Ce texte pourrait commencer par un essai de définition : « Qu’est-ce qu’un graffiti ? », ce qui permettrait ainsi de justifier son existence en tant que forme d’art à part entière. Ensuite, nous aurions montré en quoi le graffiti participe d’un mouvement culturel qui est apparu en France, il y a quelque 25 ans... Et nous aurions ajouté que loin d’être encore le mode de communication d’une minorité qui cherche à s’approprier un territoire, le graffiti est une expression de soi dans la rue, et accessible à tous. Un discours, de l’art, des mots, des noms... Et puis finalement, ce texte peut commencer autrement. Nous devrions cesser un moment de chercher un sens à tout et de tout justifier. Bien sûr, le graffiti a un sens, il crée du sens, il est l’expression de quelque chose. Mais ce quelque chose, pourquoi le nommer ? Nommer, n’est-ce pas délimiter une essence ? Nommer, c’est accorder l’existence, mais c’est aussi enfermer et c’est imposer un sens. Pourquoi toujours ce besoin de discourir-pour-conceptualiser-pour-comprendre ? Au gré de ces divagations théoriques, je pense finalement que ce texte commencera autrement. Après tout, je ne veux pas ici tenter un énième discours sur l’art et le graffiti, je ne veux pas ici argumenter pour faire voir quelque chose. Pour une fois, j’aimerais réussir à abandonner cette part de rationnel qui prend toujours le dessus en moi et finalement oser faire confiance à mon regard...
Ce que je vois :
Street art, graffiti, lightgraff, light, lumière. La lumière est là, elle existe, je la vois, je la nomme, je peux presque la toucher. Et puis elle se dessine. Il la dessine. Je peux jouer avec. Il joue avec. La lumière est là, toujours, mais impalpable, irréelle. Il l’utilise comme un outil. Ils me parlent. Ils discutent dans un nouveau langage. La lumière. Elle est à nous tous mais seuls quelques-uns savent l’utiliser. Ils essayent de l’apprivoiser. C’est un peu magique.
Ce qu’il me montre :
Comme un ver luisant, il erre. Sa main trace des lettres avec son posca lumineux. Éphémère performance, c’est un vers urbain. Il a vu la nuit les fenêtres éclairées, il a attendu longtemps le jour, sous un lampadaire isolé. Il s’est eclairé avec la lune pour écrire son nom. Il a longtemps marché le long des voies de chemin de fer, traversant des tunnels, à la recherche de l’endroit parfait, à la recherche de la lumière parfaite. Il a dit son nom, Lumière. Il a ecrit son nom, il a gravé son ombre. Quelqu’un l’a vu.
A celui qui a vu :
Tu peux venir toucher. Touche avec les yeux, c’est la lumière, c’est du feu, il fait nuit, mais tu peux lire. Tes yeux ne craignent plus ses rayons meurtriers, ta rétine les a apprivoisés. Tu joue aussi avec, mais tu ne les nommes pas. Tu as gravé ces mots dans l’air, ils se sont inscrits sur du papier. L’éphémère te parle car tu peux l’apprivoiser. Tu le fixes une fois pour toutes, et tu le rends existant. Tu ne le trahis pas, tu ne le nomme toujours pas, mais c’est en nous le montrant que tu révèles sa puissance.
L’art te parle, la rue t’écoute, elle t’accueille. Et tu la prends. Tu la testes, tu essayes de lui parler. Et quand tu parles à la rue, tu parles au monde entier. Quand tu écris sur les murs, tu aimes la rue, quand tu écris dans le ciel, tu t’adresse à l’univers. Quand tu fixes des lettres de lumière, tu sublimes le langage. Les mots ne sont pas que sens, ils sont forme aussi.
Feu de joie
Je joue avec la lumière. Je ne peux toujours pas la toucher, mais je peux la faire être. Je la prends, je la touche, je dessine avec et je la rends matérielle. Je la fixe, et elle s’imprime sur ma rétine. J’ouvre grand mes yeux, je vois des lettres, des façades, des noms, des couleurs, et je la possède enfin. Je la dessine, je l’écris, je parle avec. Mon langage devient lumière et la lumière nous enveloppe tous. Mon langage est simple.
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