La Revue des Ressources
Accueil > Champ critique > Etudes > Nan Shepherd dans les Cairngorms, un « trafic amoureux »

Nan Shepherd dans les Cairngorms, un « trafic amoureux » 

A propos de « La montagne vivante » (Christian Bourgois éditeur, 2019)

dimanche 7 décembre 2025, par Cécile Vibarel

« Je sus après avoir longtemps regardé que j’avais à peine commencé à voir »
(Nan Shepherd)

Dans le livre de Nan Shepherd, La montagne vivante [1] une voix singulière "parle la montagne", depuis l’intérieur. Elle nous invite à penser différemment et à voir le monde d’une autre manière. Le voyage de Nan Shepherd dans « la montagne vivante » est un de ces « moments de révélation méconnus » dont plusieurs décennies ont été nécessaires pour en rendre compte. Si le livre a été écrit vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, Nan Shepherd l’a pourtant gardé dans ses tiroirs pendant plus de 30 ans, après un premier et unique essai infructueux de publication. Connue du milieu littéraire de la « Renaissance écossaise » [2] pour ses nouvelles et sa poésie, c’est pourtant ce livre qui a fait d’elle une pionnière aujourd’hui reconnue du « nature writing » [3].
Cette pensée sensible dépasse pourtant largement les limites étroites d’un genre littéraire particulier. Ce dont il est question, dans ce livre, c’est de quelque chose d’à la fois plus profond et plus précis qui incite à penser que Nan Shepherd entre ici dans une certaine connivence, comme Hugh MacDiarmid en territoire écossais [4], avec le projet géopoétique de Kenneth White [5]. Mais revenons d’abord sur le contexte écossais de cet ouvrage.

Nan Shepherd et les Cairngorms

Nan Shepherd est née en 1893 en Écosse, près d’Aberdeen, où elle est morte en 1981. Cette région, située au nord-est de l’Écosse, les Cairngorms, est un territoire rude et sauvage, balayé par les vents, la pluie, la neige, parcouru de rivières (la Dee et l’Avon) et parsemé de Lochs.

Selon Robert Macfarlane [6], le massif des Cairngorms lui-même est « le moignon érodé d’une masse de magma qui perça la croûte terrestre à l’époque du Dévonien, se refroidit en granit puis émergea parmi les schistes et les gneiss environnants ». Jadis plus haut que les Alpes, le massif des Cairngorms a été érodé au cours des millénaires pour former aujourd’hui une étendue de collines basses et de falaises déchiquetées. Dans un tel territoire, « né du feu, sculpté par la glace, affiné par le vent, l’eau et la neige », le contact direct avec ce que Nan Shepherd appelle « les élémentaux » porte en soi une expérience transformatrice.

Encore fallait-il être sensible et réceptif à ce que cet espace premier et familier pouvait receler de savoirs et de sensations vivifiantes. Nan Shepherd a vécu l’essentiel de sa vie dans ce territoire. Issue d’une famille de la petite bourgeoisie, elle fit toutes ses études à Aberdeen où elle enseigna ensuite l’anglais pendant 41 ans avec, dit-elle, « la mission providentielle (…) d’empêcher quelques-uns des élèves qui passaient par notre Institution de se conformer totalement aux conventions admises » …

Une personnalité peu commune, évoluant dans un territoire si intensément marqué par les éléments, constitue déjà, en soi, un événement singulier. Si elle voyagea beaucoup, essentiellement en Europe et aussi en Afrique du Sud, elle ne vécut jamais ailleurs que dans le petit village de West Cults, près d’Aberdeen. Elle ne se maria jamais, connu vraisemblablement quelques aventures amoureuses mais c’est surtout à ces montagnes, ces collines, ces rivières et ces lacs qu’elle dévoue son « trafic amoureux ». En toutes saisons, et à tous moments (le jour, la nuit, à l’aube, au couchant), elle a passé son temps libre à parcourir, à pieds, des milliers de kilomètres sur ce territoire qui était son pays.

Pour Nan Shepherd, la poésie était « le cœur brûlant de la vie », qui « contient dans son intensité de vie le cœur même de toute expérience ». Elle écrivit peu pourtant, souffrant parfois de mutisme dépressif, et ne cherchant nullement à « crier dans le seul but de faire du bruit ». Ne cherchant ni les honneurs, ni la sociabilité littéraire, elle correspondait cependant avec le romancier Neil Gunn [7] qui fut ébloui par « le génie particulier de l’ouvrage » dont elle lui fit lire le manuscrit en 1945. Il la mit en garde quant aux conditions de réception d’une telle publication et elle ne publia finalement La montagne vivante qu’en 1977.

Une voie intérieure

Si La montagne vivante rencontre aujourd’hui une nouvelle génération de lecteurs, ce n’est pas seulement en raison de l’intérêt actuel du public pour les écrivains de la nature (on pense ici au succès du nature writing), ni parce que ce livre « constitue l’une des plus remarquables études de paysage de la littérature anglaise du vingtième siècle » (Macfarlane, 2019). L’intérêt majeur de cet ouvrage tient plutôt à sa tentative de restituer poétiquement l’expérience physique d’être au monde, avec la profondeur de perspective philosophique qu’ouvrira notamment la phénoménologie [8].

En effet, comme le souligne encore Robert Macfarlane, ce qui est vraiment nouveau et unique, dans le contexte socio-historique où ce livre a été écrit, c’est le souci de son auteur de trouver une autre voie d’approche pour penser et sentir le monde. Ce qui intéresse avant tout Shepherd, c’est la manière dont l’esprit et la matière se rencontrent et s’interpénètrent constamment. Quelles relations la conscience humaine peut-elle entretenir avec une nature qui, dans ses différentes expressions (physiques, géologiques, météorologiques, écologiques), ne fait rien d’autre que d’être elle-même, sans intention subjective particulière ?

Pas de projections anthropomorphiques de la nature donc chez Nan Shepherd. Le schiste et le granit des Cairngorms, le tintement cristallin des eaux sur le plateau, les vents et la neige sont là, dans leur présence élémentaire. Quand elle évoque les eaux blanches de l’Avon, « d’une clarté si absolue qu’il n’y a pas d’image pour les qualifier », elle invite non seulement à en voir la qualité naturelle mais aussi à reconnaître l’émerveillement que cette rencontre peut susciter.

Mais ce « voir » est un travail, un effort qui implique de s’engager dans la rencontre : « Une eau si claire ne peut être imaginée, seulement vue. Il faut retourner et retourner encore la regarder car entre-temps la mémoire refuse de recréer son éclat. C’est une des raisons pour lesquelles le haut plateau où les cours d’eau prennent leur source, les cours d’eau eux-mêmes, leurs cataractes et leurs lits rocailleux, les cirques, tout cet enchantement, comme une œuvre d’art, est toujours nouveau  ».

Elle pense ainsi, d’après Robert Macfarlane, qu’une « contemplation soutenue des paysages extérieurs conduit à une compréhension plus subtile de l’esprit ». Dans son recueil de poésie « In the Cairngorms » [9], elle en est ainsi venue à sentir « not out of myself but in myself ». De même, dans La montagne vivante, sentir de l’intérieur la montagne la conduit à une connaissance approfondie de son être et l’effet de cette expérience essentielle « dans » la montagne, c’est que « quelque chose bouge entre elle et moi ». Ainsi, «  le lieu et l’esprit peuvent s’interpénétrer jusqu’à ce que la nature de chacun en soit modifiée ».

Ouvrir un tel espace intérieur au contact du lieu, par la fréquentation renouvelée des éléments, par la marche qui s’imprime dans le corps, par l’ouverture du regard au dehors, c’est précisément une des approches essentielles de la géopoétique. Le mouvement d’exploration d’un paysage ou d’un lieu sauvage (landscape) est toujours relié au mouvement de retour vers soi (mindscape). Ainsi, pour Nan Shepherd, comme le confirme Macfarlane, « il y a une circulation continuelle entre les paysages extérieurs du monde et les paysages intérieurs de l’esprit ».

Plus encore, dans sa démarche, la montagne ne s’aborde pas en alpiniste ou en touriste mais de l’intérieur, par fréquentation lente et assidue, par longues pauses méditatives et marches intenses qui impliquent la sensorialité totale du corps. La pure essence de l’être est invisible en soi. Elle s’incarne (embodiment) dans l’immanente manifestation de la nature et ressemble à « ce chant apparemment infini dans la petite gorge périssable du merle » [10].

Si certains de ses poèmes, dans In the Cairngorms, peuvent encore être emprunts d’une aura de symbolisme Victorien, de romantisme ou même de mysticisme (Nan Shepherd était sociologiquement marquée par un certain presbytérianisme et se sentait proche du Tao et du Bouddhisme), et de références au « Dieu » - toutefois mis à distance dans un certain indéfini - l’écriture radicale, précise et sensible de La montagne vivante sera, quant à elle, purgée de telles reliques.

Une expérience sensuelle

Il n’est pas inintéressant de revenir ici sur le personnage de Nan Shepherd. D’abord parce que c’est une femme qui écrit à une époque et dans une société (l’Écosse de la première moitié du 20° siècle) corsetées par une vision patriarcale et largement soumise à la férule de la religion. Elle peut sans doute nous évoquer l’image d’une « vieille fille », ayant vécu toute sa vie dans la même maison et le même village (« I have had the same bedroom all my life »). Pourtant, de sa formation littéraire classique, avec une sensibilité presque scientifique dans la précision et la clarté des termes qu’elle emploie pour décrire les Cairngorms, se dégage une ardeur poétique, une sensualité certes discrète et une liberté de ton tout à fait exceptionnelle, notamment lorsqu’elle s’attaque à des problématiques féministes bien avant l’heure.

Formée aux conventions de la "bonne société", elle s’en échappe par son exploration physique, charnelle et intellectuelle de la montagne. Elle a quelque chose de Virginia Woolf et d’Emily Dickinson à la fois, une forme de sauvagerie existentielle, une grâce intérieure mêlée d’un soupçon de folie qui la mènent vers des espaces solitaires où peu de monde ose s’aventurer. Elle y expérimente une forme de possession ou d’inspiration quasi chamanique dans le processus de création poétique et dans son rapport incarné à la nature. Elle garde pourtant toujours la mesure par une écriture ciselée et un regard lucide qui prolongent et enrichissent toute la sensorialité de son expérience.

Son approche sensuelle des Cairngorms est d’abord celle d’un engagement intime avec ce qu’elle appelle les « forces élémentales ». Ainsi, « connaître les collines et connaître suffisamment leurs corps » implique de marcher « au milieu d’élémentaux » qui sont « éveillés en nous par des contacts aussi imprévisibles que le vent ou la neige ». L’eau parle à travers les lochs, les rivières, les bassins mais aussi la pluie, la brume, la neige et le gel, les nuages. L’eau des Cairngorms est « cette puissante chose blanche, un des quatre mystères élémentaux (…) à son origine. Comme tous les mystères profonds, elle est si simple qu’elle m’effraie. (…) Depuis un nombre incalculable d’années elle a émergé de la roche et s’est écoulée. Elle ne fait rien, absolument rien d’autre que d’être elle-même ».

Les mouvements et les couleurs, les sons et les formes habitent ce « monde vif et clair ». Dans la bataille entre le mouvement de l’eau, parfois renforcé par le vent, et l’immobilité du gel, « des formes étranges et magnifiques s’élaborent ». Depuis les pentes du Morrone, elle exprime la beauté radicale offerte par « le gel intense, le ciel sans nuages, le monde blanc » quand, après le coucher du soleil, tous ces éléments « se fondaient en une phosphorescence prismatique de bleu, d’héliotrope, de mauve et de rose. Tandis que la pleine lune s’élevait dans la lumière verte et que les roses et les verts envahissaient la neige et le ciel, on aurait dit que la couleur vivait sa propre vie, possédait corps et résilience, comme si, au lieu de la regarder, nous nous trouvions à l’intérieur de sa substance ».

Mais la pierre, les rochers, le sol, l’eau et l’air ne sont pas plus essentiels à la montagne « que ce qui pousse du sol et respire l’air ». C’est pourquoi, dit-elle, « j’ai voulu en venir aux choses vivantes à travers les forces qui les créent, car la montagne est une et indivisible ». La vie des plantes, en particulier, témoigne de la ténacité du vivant sur ces terres exposées à la rudesse des éléments. Bruyère, lotier corniculé, trèfle, tormentille, myrtille, petit genêt, alchémille, toutes ces plantes font des racines vigoureuses formant partout des « noeuds de vie » qui « conservent sous le sol l’énergie vitale de la plante ». Les arbres et les plantes ont aussi des odeurs et des saveurs qui rendent fou : orchis incarnat, serpolet, genévrier, myrte des marais. Le bouleau, dit-elle, « a besoin de la pluie pour libérer son odeur. C’est un parfum qui a du corps, fruité comme un vieux cognac, qui par un jour chaud et humide peut vous enivrer ».

Ce qu’elle observe, avec une attention aussi patiente qu’amoureuse, c’est « la vie sous tant de formes » et ce dont elle témoigne, à travers ce « trafic amoureux » avec la montagne, c’est de « l’adoration qui exige à la fois clarté de l’intellect et essor de l’émotion ». Depuis « toutes ces jeunes choses » qu’elle voit, levrauts, renardeaux, écureuils, abeilles, papillons, souris, grenouilles, jusqu’aux insectes, mites, moustiques et moucherons, rien n’échappe à sa vigilance. Les biches qui se fondent dans les bois, le brame des cerfs ou leur « yodle » étrange, le vol puissant d’un aigle ou celui d’un couple de canards, « deux grandes ailes jointes par rien, comme si un oiseau avait enfin découvert comment être tout vol et se passer de corps » ; toutes ces choses, « ce sont des rencontres vivantes » et « par une de ces journées à la luminosité intense de la mi-octobre, dorée comme le whisky, (…) la beauté n’est pas accessoire, elle est essentielle ».

Son engagement sensible avec la montagne ne se limite pas à la simple observation des choses. Si l’œil, découvrant le mystère de la lumière, confère l’infinité à la vision, il est toutefois nécessaire de le former : « il faut regarder de manière créative pour voir en cette masse de rochers autre chose que des saillies et des sommets - la beauté ». La qualité de l’œil, la profondeur de la vision, relèvent, selon elle, directement de la conscience « qui interagit avec les formes de la montagne pour créer ce sens de la beauté ». Voir est alors « un acte créatif continuel ». Il s’agit, selon Nan Shepherd, « comme pour toute création, de matière imprégnée d’esprit ».

Si la vue est centrale et puissante chez Nan Shepherd [11], tous les autres sens sont également mobilisés. Ainsi, « chacun des sens est un accès à ce que la montagne peut offrir ». Les baies sauvages, les myrtilles, les airelles, « toutes les fragrances aromatiques et entêtantes », se hument et se savourent. « Je suis pareille aux chiens », dit-elle, « l’odeur m’excite » ! Elle rencontre la montagne également dans sa musicalité, ses sonorités. « Ici », confie-t-elle, « pour l’oreille, la chose la plus importante qui puisse être entendue est le silence. Former l’oreille au silence, c’est découvrir combien il y est rare ». Le murmure de l’eau qui s’écoule, le gel qui éclate, la tourmente des vents qui s’engouffrent dans les reliefs montagneux, l’averse qui martèle le sol, l’air qui se brise sur les rochers mais aussi le chant de l’oiseau, le bruissement des insectes et le tonnerre qui se répercute au-dessus d’un loch, tout ceci exprime « cette sauvagerie nue et élémentaire, cette infime coupe transversale dans le son des énergies qui travaillent depuis des éternités dans l’univers ». Quant au toucher, « c’est le plus intime de tous les sens ». Tout le corps est sollicité, « les mains possèdent une infinité de plaisirs », marcher pieds nus procure une autre sensation des choses et « il n’y a rien que je puisse toucher ou qui me touche qui n’ait sa propre identité pour les mains tout autant que pour l’œil ».

Une telle appréhension du monde est en résonance profonde avec ce que la phénoménologie de Merleau-Ponty mettra bientôt en évidence [12]. Pour le philosophe, en effet, c’est dans l’articulation du toucher et du voir que s’élabore ce qu’il appelle « la chair du monde ». C’est plus précisément par cette articulation, ce recouvrement l’un par l’autre des champs sensoriels, que Merleau-Ponty peut penser la chair comme chair du monde, élément de l’Être. L’intuition de Nan Shepherd rejoint ainsi celle de Merleau-Ponty pour lequel si la main voit, il y a aussi « une sorte de toucher avec les yeux » [13].

C’est ce qu’elle exprime dans La montagne vivante : « Me voici donc allongée sur le plateau, sous le cœur central de feu depuis lequel a été lancée cette masse grommelante et grinçante de roc plutonique, au-dessus de moi l’air bleu, et entre le feu du rocher et le feu du soleil, les éboulis, le sol et l’eau, la mousse, l’herbe, la fleur et l’arbre, les insectes, les oiseaux et les bêtes, le vent, la pluie et la neige - la montagne au complet. Lentement j’ai trouvé mon chemin à l’intérieur ». Les sens ne sont plus séparés et « le corps n’est pas rendu négligeable, mais prééminent. La chair n’est pas annihilée mais comblée. On n’est pas sans corps, mais essentiellement corps ».

La pensée de Nan Shepherd se distingue toutefois de la phénoménologie et se rapproche d’une sensibilité plus explicitement spirituelle. « Ici », affirme-t-elle, « peut être vécu une vie de sens si pure, si intouchée par d’autres modes d’appréhension que les leurs propres, qu’on peut dire que le corps pense. Chaque sens exalté à sa conscience la plus délicate est en lui-même une expérience totale. Voici l’innocence que nous avons perdue (…) ». Son ontologie personnelle est alors emprunte de références bouddhistes ou taoïstes. Elle confie ainsi : « quand je me réveille après avoir passé la nuit dehors » ou bien « la plupart du temps après des heures de marche régulière où le long rythme du mouvement est soutenu jusqu’à ce que le mouvement fasse sentir - pas seulement connaître par le cerveau - comme le "centre immobile de l’être" ; c’est je suppose de cette façon que la respiration contrôlée du yogi doit opérer ». Alors, dit-elle, « on marche avec la chair transparente ».

Elle précise d’emblée qu’il ne s’agit pas ici d’une métaphore. C’est bien à partir du corps « accordé à ses potentialités les plus hautes et contrôlé jusqu’à une harmonie profonde s’intensifiant en quelque chose qui ressemble à la transe, que j’ai presque découvert ce que c’est que d’être. Je suis sortie du corps et entrée dans la montagne. Je suis une manifestation de sa vie totale, comme la saxifrage étoilée ou le lagopède à ailes blanches ».

Le voyage de Nan Shepherd dans cette expérience, « découvrir la montagne en elle-même » est le mouvement même de l’inaccompli. « Connaître l’autre est sans fin » avoue-t- elle et aussi « j’ai découvert que l’expérience de l’homme agrandit la roche, la fleur et l’oiseau ». Le connu, le connaissant et la connaissance ne font qu’un car « à mesure que je pénètre plus profond dans la vie de la montagne, je pénètre aussi dans la mienne. Pendant une heure je me trouve au-delà du désir (…) ».

Dans un poème de son recueil In the Cairngorms, Nan Shepherd livre peut-être une clé fondamentale de son travail. Dans ce poème (Embodiment), elle écrit :

Il n’y a de substance que la lumière.
Les mots visibles
sont de la lumière
subissant un processus de création
dans une vision
qu’un dieu a pensée dans la lumière
et qui, une fois consumée,
brillera comme pure lumière.
Nous sommes cette substance.
Nous en sommes trop près,
alors que le dieu la déchire et la tend,
pour la voir telle qu’elle est.

« Voir ce qui est » semble bien être la nature même de sa quête personnelle dans la montagne et c’est précisément la raison pour laquelle on ne saurait réduire son expérience à un exercice littéraire dans une perspective écologique, ni à une philosophie, ni même à une expérience extatique. Ce peut être tout cela à la fois mais ce dont elle témoigne intimement, c’est surtout d’une expérience poétique, d’un effort de l’être pour échapper à ses conditionnements.

Elle a conscience de la finitude, de la violence des éléments, du chaos et de la mort qui habitent aussi la montagne, c’est-à-dire la vie même. Elle a conscience de la fragilité de cette vie et de ce qui la rend précieuse. C’est à partir de la réalité « nue et sauvage » de la montagne qu’elle écrit et travaille à « irradier le commun ». Et « cela pourrait bien produire quelque chose d’universel ».

Une mise en perspective géopoétique ?

Dans son introduction à La montagne vivante, Robert Macfarlane identifie deux idées fondatrices dans les écrits de Nan Shepherd. La première est l’intériorité de l’expérience sensible de la montagne : « We don’t walk up a mountain, but into it » comme l’avait déjà formulé John Muir [14]. Elle exprime en cela la différence de point de vue entre l’ascension de l’alpiniste qui recherche la « performance » et exerce une forme de domination (le point de vue du sommet correspondant à une forme de pensée hiérarchique et conquérante) et la pénétration lente et douce du marcheur, du promeneur contemplatif qui se fond dans les éléments pour les ressentir de l’intérieur.

La seconde idée prolonge la première dans la mesure où « we must abandon the summit as the organising principle of mountains » pour s’exercer plutôt à une approche multi-focale et vagabonde. Enfin, toute sa poésie est une tentative pour réunifier la pensée avec l’expérience sensible de la nature. Nan Shepherd n’est pas seulement charnellement engagée dans une connexion avec les éléments, elle tente également d’en rendre compte par la pensée, à travers l’écriture poétique.

Sa connaissance approfondie de la montagne tient à l’attention et à l’espace donnés aux choses apparemment insignifiantes qu’elle arrive à capter en déployant le regard selon des perspectives multi-focales. Elle s’intéresse à la géologie, à l’histoire naturelle ou aux richesses botaniques des Cairngorms et envisage, en même temps, son lien avec la nature comme un cheminement, une pérégrination. La voie de la connaissance, pour Nan Shepherd, est étroitement liée à celle de l’expérience sensible et de l’engagement de tout l’être avec la montagne.

C’est cet engagement conscient - l’engagement de ce que Kenneth White désigne comme « corps-esprit » - qui lui permet d’affirmer : « as I penetrate more deeply into the mountain’s life, I penetrate more deeply into my own (...) ». Par rapport à ses autres tentatives d’écritures (nouvelle et poésie), qui restent davantage des exercices littéraires, La montagne vivante est une sorte de conversion « to something of a quite different order of importance reflecting a deeper level of life expérience ».

Selon James McCarthy [15] Nan Shepherd y exprime notamment une vision très proche de celle du Tao avec laquelle elle se sentait en affinité. Ce dernier note, en effet, que « the mountain landscape apart, she is particularly entranced by water – from the stillness and clarity of Loch Avon to the Highland torrents ». Le cycle de l’eau reflète parfaitement, selon le Tao, l’harmonie spontanée d’un univers interdépendant qui suit sa propre voie. Ainsi, selon McCarthy, La montagne vivante est une œuvre méditative aux nuances Zen qui établit Nan Shepherd « as an original geopoet [16] for its extraordinary deep and personal identification with the natural environment ».

Selon Nan Shepherd, la marche contemplative, bien qu’énergique, qu’elle accomplit dans cet environnement, sans négliger le plaisir sensuel du corps engagé dans le lieu avec tous ses éléments, est en soi « a journey into Being ». Sa connaissance intime de l’environnement des Cairngorms, avec ses plantes, ses animaux, sa géologie et ses élémentaux, s’épanouit dans la pleine conscience du lieu vécu selon ses formes et forces de vie. Toute une intériorité se révèle alors comme s’exhale le parfum secret du bois de genévrier. Dans les Cairngorms, « se réveiller est un art », dit- elle, comme d’ouvrir les yeux sans avoir encore bougé et apercevoir, après une nuit passée dehors, un merle sautillant sur sa jambe, ou encore croiser le regard d’un cerf dans la lumière de l’aube.

Ces sensations premières d’immersion et de connexion avec l’environnement, ces manières de sentir et de raisonner, inspirées et déterminées par la fréquentation profonde d’un lieu, remontent aux paysages de l’enfance. Nan Shepherd peut ainsi évoquer une de ces images qui appartiennent à son propre « paysage archaïque » : « I set out on my journey in pure love. It began in childhood, when the stormy violet of a gully on the back of Sgoran Dubh, at which I used to gaze from a shoulder of the Monadhliaths, haunted my dreams. That gully, with its floating, its almost tangible ultramarine, thirled me for life to the mountain ».

Cet engagement pleinement incarné de tout l’être dans le paysage débouche paradoxalement sur une dissolution de soi [17]. Nan Shepherd confie ainsi, à la fin du livre : « To apprehend things, walking on a hill, seeing the light change, being aware, using the whole of one’s body to instruct the spirit – yes, that is a secret life one has and knows others have. But to be able to share it, and through’ words…it dissolves one’s being (...) ». Car, en vivant dans ce paysage (le dehors et le dedans), il devient « une partie de nous, tout comme nous en faisons partie ».

Ce dont témoigne Nan Shepherd, c’est d’une possibilité de liberté pour le soi. Kenneth White, en suivant lui aussi cette intuition fondamentale - et en la prolongeant en théorie-pratique : la géopoétique - parlera, quant à lui, « d’ouvrir un monde » et « d’espace blanc ». C’est ainsi que « la géopoétique commence », dit-il, « avec un corps en mouvement dans un espace » [18]. Cette possible liberté pour le soi implique ce que White désigne comme un processus de « désencombrement » du « petit moi », un effort sur soi, un travail qui engage le « corps-esprit » et ouvre finalement à la conscience cosmique, « où il n’y a pas de séparation entre le moi et le monde, entre la res extensa et la res cogitans, mais une expérience continue » [19].

On peut toutefois s’interroger quant à la qualification de Nan Shepherd comme « early geopoet », par James Mc Carthy puisque Kenneth White lui-même ne l’a jamais mentionnée parmi les « précurseurs » de la géopoétique dont il a tracé maintes fois la cartographie intellectuelle. Par ailleurs, Nan Shepherd était avant tout « poète » et ne se préoccupait pas d’élaborer un projet théorico-pratique de l’envergure de celui de la géopoétique. Enfin, certaines idées ou positions de Nan Shepherd se distinguent nettement de l’ambition géopoétique de fonder un nouveau rapport à la terre désencombré de certaines traditions humanistes, philosophiques ou religieuses.

Le livre de Nan Shepherd partage pourtant avec l’approche géopoétique certaines de ses intuitions vis-à-vis du rapport à la Terre et au monde qui méritent d’être soulignées en ce qu’elles permettent de dessiner une sorte de constellation de figures proches qui travaillent dans la même direction intellectuelle. La sensibilité du géopoéticien s’articule ainsi à une vision intellectuelle et une réflexion sur les enjeux du processus créatif à l’œuvre dans le Vivant.

Kenneth White a rappelé souvent qu’un cadre intellectuel rigoureux est nécessaire à ce « grand travail » pour que la sensibilité à la nature ne se dissolve pas dans un sentimentalisme confus (une certaine écologie, voire une certaine « mystique » de la nature) ou une émotion affectée le plus souvent de considérations égotiques.

Quant à l’exigence intellectuelle du projet géopoétique, écoutons ce qu’en dit K. White : « Une théorie ? Oui. N’ayons pas peur de ce mot, qui a été écarté ces derniers temps pour laisser place à un fourmillement de bidules et de bricolages. Sans théorie, on tourne en rond, on entasse des commentaires et des opinions, on s’enferme dans l’imaginaire et le fantasme, on se perd dans le spectaculaire, on se noie dans le détail, on étouffe dans un quotidien de plus en plus opaque. Mais toute théorie valable se doit d’être basée sur une pensée fondamentale, d’être liée à une pratique solide et de rester ouverte ».

Précisons ici ce que Kenneth White entend par « pensée fondamentale ». L’approche scientifique, philosophique et poétique que propose White, à travers le mouvement géopoétique, implique d’abord « une tentative pour penser le cosmos (…) indiquant une problématique intime, un questionnement existentiel et un espace de pensée (et d’être) au-delà de "la recherche" ». Cette pensée, pour ne pas être enroulée sur elle-même et figée dans un modèle sclérosé (quand la pensée de système se fige sur elle-même et devient lettre morte) nécessite de s’appuyer sur « un réel champ de forces ».

Ce champ de force, White le définit comme le « champ du grand travail » : « Le dehors rencontre le dedans quand l’être humain est conçu comme un système ouvert. Il faut, bien sûr, activer le système. En se mouvant dans le monde, qui est lui aussi un système ouvert. Il faut ensuite trouver un langage qui ne soit pas seulement une communication inter-humaine, mais une communication entre soi et l’univers. C’est tout cela que j’appelle le champ du grand travail ». Il s’agit d’« établir une cartographie » et de « donner la sensation d’un terrain ». Pour cela, la pensée « abandonne les instruments pour s’abandonner de nouveau sur les voies ouvertes de l’intuition, en vue d’un monde à vivre et à dire ».

Fondamentalement, rappelle K. White, « le poète vit et pense dans un chaos-cosmos, un chaosmos, toujours inachevé, qui est le produit de sa rencontre immédiate avec la terre et avec les choses de la terre, perçues non comme des objets, mais comme des présences » [20]. Si, pour K. White, « c’est une grande tâche que de devenir un poète », c’est parce que précisément il ne s’agit pas de littérature, - jeux de langage ou jeux d’ego -, mais bien d’être ouvert au monde, à ses champs et à ses flux d’énergie.

Ainsi, souligne-t-il, « j’affirme une santé, la possibilité d’une santé liée à une capacité de se mouvoir, désencombré, dans l’espace atopique, capacité qui ne peut venir que de l’acquisition d’une autre pensée, d’une autre manière d’être » [21]. C’est aussi ce qu’il exprime clairement dans cette formule lapidaire et fulgurante : « Il est une densité qui permet à celui qui en est porteur de se passer d’identité - son être est un idéogramme » …

*

Ces quelques précisions étaient nécessaires pour situer Nan Shepherd à la fois dans son contexte personnel et dans cette constellation géopoétique des navigateurs solitaires, en quelque sorte à ses marges. En forme d’ultime hommage à cette "confrérie" d’individualistes cosmiques, je laisse le dernier mot à un autre poète errant, « exilé du ciel », Li Po [22] :

Vieil ami, perché sur la Montagne de l’est,
épris de la beauté des monts et des précipices
depuis que tu es jeune tu t’allonges dans les forêts vides
le soleil déjà blanc tu n’es pas encore levé
le vent des pins purifie tes manches et ta poitrine
l’étang aux pierres te lave le cœur et les oreilles
je t’envie, loin de la clameur,
la tête posée haut au milieu des brumes émeraudes

Cécile Vibarel
Décembre 2025

Notes

[1Nan Shepherd, La montagne vivante, Christian Bourgois éditeur, 2019, Trad. Marc Cholodenko

[2La Renaissance écossaise est un mouvement artistique, principalement littéraire, qui s’est développé en Écosse entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle et peut être considéré comme la version écossaise du modernisme. Les artistes et écrivains inspirés par ce mouvement ont fait preuve d’un intérêt commun pour la philosophie contemporaine et la technologie, auxquelles ont été intégrés des éléments de la mythologie écossaise et des croyances populaires traditionnelles, ainsi qu’une préoccupation envers les langues déclinantes de l’Écosse, le gaélique écossais et le scots.

[3Le « nature writing » (écrire la nature) est un genre littéraire né aux États- Unis dans une certaine tradition politico-philosophique remontant à Henry David Thoreau - considéré également comme le père de l’écologie politique - mêlant observations de la nature et considérations autobiographiques. La nature sauvage (wilderness) et les grands espaces deviennent acteurs à part entière et non plus seulement cadre de l’expérience humaine. L’éthique environnementale est également une préoccupation majeure de ce genre littéraire.

[4Hugh MacDiarmid est considéré en Écosse comme un poète majeur. Peu connu en France, il peut être rapproché du courant moderniste de l’aire anglophone aux côtés d’Ezra Pound et de T.S. Eliot. La seule traduction française à ce jour est celle de Paol Keineg, Un enterrement dans l’île, éditions Les Hauts Fonds, 2016

[5Le mouvement géopoétique, fondé par Kenneth White vers la fin des années 80, peut être défini, selon l’auteur lui-même, comme « un mouvement qui concerne la manière même dont l’homme fonde son existence sur la terre. Il n’est pas question de construire un système, mais d’accomplir, pas à pas, une exploration, une investigation, en se situant, pour ce qui est du point de départ, quelque part entre la poésie, la philosophie, la science » (L’esprit nomade, 1987). Si la géopoétique peut ainsi être présentée comme une théorie-pratique qui s’inscrit au confluent de la philosophie, de la science et de la poésie, pour penser et vivre un autre rapport au monde, elle est avant tout un « mouvement » qui laisse circuler les flux d’énergie de la terre et du vivant. C’est une « cosmologie de l’énergie » qui conduit jusqu’aux territoires du vide et des espaces blancs.

[6Robert Macfarlane, dans son « introduction » à La montagne vivante (2019).

[7Figure de proue de la Renaissance Écossaise des années 1920-1930, Neil Gunn était le romancier écossais le plus influent de la première moitié du XX° siècle. Également dramaturge et critique littéraire, il correspondait régulièrement avec Nan Shepherd.

[8Si ses références philosophiques explicites sont proches de Bergson, sa manière d’envisager la montagne et sa sensibilité propre sont en affinité profonde avec la pensée phénoménologique que développe Merleau- Ponty dans les années 40. Ainsi, selon Robert Macfarlane, la proposition la plus radicale du livre de Nan Shepherd réside dans sa conception de la perception phénoménologique du monde et du corps. « Ses conceptions touchant la perception des couleurs, le toucher et la connaissance corporelle », dit-il, « frappent à présent par leur similitude avec celles de Merleau-Ponty ». Rappelons, avec Macfarlane, que pour le philosophe français, la perception sensorielle joue un rôle fondamental dans notre compréhension du monde. Pour lui, écrit-il, « la connaissance est ressentie ; notre corps possède des manières de penser et de connaître qui précèdent la cognition (le traitement de l’expérience par notre esprit). La conscience, le corps et le monde phénoménal sont inextricablement entremêlés ou engagés. Le corps incarne notre subjectivité et nous sommes ainsi ancrés dans la "chair du monde" ». Le corps, dit encore Merleau-Ponty, est « notre moyen général d’avoir un monde ».

[9Shepherd, In the Cairngorms, Galileo Publishers (U.K.), 2019.

[10Le poème « Blackbird in snow » (In the Cairngorms, 2019).

[11« C’est la vue et le toucher qui sont chez moi les plus puissants » confie-t-elle.

[12Au moment où Nan Shepherd écrit La montagne vivante, Merleau-Ponty développe sa théorie du « corps propre » ou « corps phénoménal » dans sa Phénoménologie de la perception. Il s’interroge, comme Shepherd, sur la nature de la perception et les moyens de la représenter dans le langage.

[13M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945. Ce duo éternel de la main et de l’œil constitue depuis Descartes au moins, et sa conception « tactile » de la vision l’un des pôles de la réflexion philosophique sur la sensibilité. Selon Derrida, la métaphore du toucher constituerait le fond commun d’une certaine tradition philosophique française, notamment dans sa recherche de l’expression du métaphysique (J. Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000).

[14Penseur américain, d’origine écossaise, considéré comme le premier naturaliste moderne, John Muir (1838-1914), dont la philosophie a aussi fortement influencé la naissance du mouvement écologiste écrit, dans « John of the Mountains : The Unpublished Journals of John Muir » : « I only went out for a walk and finally concluded to stay out till sundown, for going out, I found, was really going in ». Dans ce même ouvrage, John Muir livre cette pensée que Nan Shepherd fera sienne à sa manière : « Most people are on the world, not in it — have no conscious sympathy or relationship to anything about them — undiffused, separate, and rigidly alone like marbles of polished stone, touching but separate ».

[15James McCarthy, Nan Shepherd : an early geopoet, article publié le 23 novembre 2017 sur le site du Scottish Centre for Geopoetics.

[16Le terme « géopoète » n’est jamais employé par Kenneth White, il parle toujours de « géopoéticien » pour mettre précisément l’accent sur l’envergure de pensée et de travail que propose la géopoétique. Dans ce cadre, il ne s’agit pas de « poésie » mais de « poïetique », renvoyant au « nous poetikos » d’Aristote, c’est-à-dire à l’esprit créateur déjà présent en toutes choses. Sa « poétique de la terre » est donc un appel à « savoir lire les lignes du monde », tout ce qui est déjà là, dans le monde naturel, et qui se crée de soi-même. On est très loin ici de la « poésie » au sens de l’art littéraire. « La poésie qui m’intéresse », confie K. White « que j’essaie de pratiquer, n’est ni egologique (poésie du moi), ni linguistique (poésie des mots croisés), mais cosmique (poétique du monde), qui essaie de suivre les lignes du monde, des lignes de marée », (Goéland, Atlantique Nord, n°1, Printemps 2003, p. 12).

[17La dissolution dont il est ici question ne renvoie pas à proprement parler à une expérience spirituelle telle qu’elle peut être comprise, par exemple, dans les religions orientales (bien qu’il puisse y avoir des résonances, des similitudes d’expérience) mais plutôt à ce que White évoque en ces termes : « J’ai parlé de n’être rien : il est une densité qui permet à celui qui en est porteur de se passer d’identité - son être est un idéogramme. Cela signifie peut-être que j’ai placé mon identité à une telle profondeur que ce que l’on nomme réalité me semble, pour sa plus grande part, tout à fait irréel, pur spectacle. Ce qui me fascine, c’est un corps-esprit éclatant dans la lumière, ou la lumière inondant un corps-esprit ».

[18K. White, Le Champ du grand travail, Bruxelles, Didier Devillez éditeur, 2003.

[19K. White, Les rives du silence, Mercure de France, 1997.

[20Selon Michèle Duclos, le chaosmos s’entend chez White comme « le dépassement ontologique de l’ordre et du désordre qui caractérise la cosmologie postquantique ». M. Duclos, Le monde ouvert de Kenneth White.

[21K. White, Le visage du vent d’est, Les Presses d’Aujourd’hui, 1980.

[22Li Po, L’exilé du ciel, traduction Daniel Giraud, Serpent à Plumes, 2004.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter