Saluons l’heureuse initiative de Marie-Claude Char et des éditions de La Table Ronde qui viennent de nous offrir une de ces traces qui font rêver et mieux comprendre.
Dans le ‘Bandeau’ du Marteau sans maître, René Char écrit que la clef en « tourne dans la réalité pressentie des années 1937-1944. Le premier rayon qu’elle délivre hésite entre l’imprécation du supplice et le magnifique amour » [1].
En un geste ressaisissant ‘supplice’ et ‘magnifique amour’, Char offrit ce ‘Trousseau’ à Greta Knutson-Tzara. Ce petit livre est composé de douze cartes postales anciennes de L’Isle-sur-Sorgues, au pied desquelles il écrivit des vers aphoristiques puisés dans Moulin premier (1935), et dont la douzaine de pages en regard compose le premier jet du poème « Versions » qui deviendra la « Dent prompte ».
Qu’est-ce qu’un ‘trousseau’ ? Une collection de clefs, le linge d’une jeune fille qui se marie ou entre en religion, tout aussi bien que les vêtements et linges que l’on donne à un enfant qui quitte ses parents pour la pension ou l’apprentissage.
Il semble bien – mais nous nous garderons bien d’avancer des preuves – que ce « Trousseau » soit tout cela ensemble.
Connaissant l’amour du mot juste et parfois rare de René Char, il n’est pas exclu que parmi ces clefs, la grave maladie (septicémie) qui l’atteignit en 1936 il s’en soit moqué comme d’un trousse-galant, du nom de ces maladies épidémiques qui troussent ‘enlèvent’ les galants ‘jeunes gens’. Cette jeune fille, c’eût pu être Artine, au temps où elle entrait en religion surréaliste [2]. Quant à cet enfant quittant ses parents pour un apprentissage, ce serait Char lui-même et tout autre après avoir été cinq années durant compagnon de route des surréalistes : il a quitté Paris en 1935, s’est détourné de l’aventure surréaliste pour revenir à L’Isle-sur Sorgues, son « inspiration stérilisée » vécue comme une maladie de l’âme.
Pardon ?
« J’admets que l’intuition raisonne et dicte des ordres dès l’instant que, porteuse de clefs, elle n’oublie pas de faire vibrer le trousseau des formes embryonnaires de la poésie en traversant les hautes cages où dorment les échos, les avant-prodiges élus qui, au passage, les trempent et les fécondent. » (Moulin premier, X [3])
En lisant sous cette carte postale « Salut, chasseur au carnier plat ! », je me suis souvenu de la suite :
« À toi, lecteur, d’établir les rapports.
Merci, chasseur au carnier plat.
À toi, rêveur, d’aplanir les rapports » (Moulin premier, XXVI [4])
Mais ce trousseau est un cadeau fait à l’aimée, Greta, et qui est enté dans ce qui toujours portera Char et le fera ‘rené’ : l’amour, la terre, le verbe.
D’ailleurs, en lisant sur les ailes de la cigale de couverture ‘René’ ‘Char’, je m’interroge de nouveau. Et si René Char, après la déception surréaliste de 35, après la maladie de 36 s’espérait cigale en 37 grâce à Greta, et grâce à la Sorgues ?
L’insecte connaît en effet une période larvaire souterraine, de dix mois à plusieurs années, durant laquelle la nutrition se fait sur des racines. Et ce n’est que durant la dernière année de sa vie que commence la vie aérienne de la cigale. La nymphe sort de terre et se fixe sur une tige ou un tronc, voire sur une pierre et commence sa dernière mue ou « mue imaginale ». Enfin la cigale est un insecte hétérométabole, c’est-à-dire que seule sa dernière métamorphose est complète. Elle se transforme alors en insecte adulte dit « parfait », ou imago pour se reproduire durant seulement un mois et demi.
Char, en dépit d’un futur sombre nécessairement, dû à l’ombre avançant sur l’Europe, dû à la mort assurée, s’apprêtait à « faire de l’art avant elle », à renaître – et c’est à quoi nous assistons, médusés, à la lecture de ce « Trousseau »...