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Malgré les apparences, je ne suis pas un renard - Sur des photographies de Christine Bergougnous 

vendredi 4 mars 2011, par Christine Bergougnous, Roland Pradalier

Christine-aveyron sous la neige

Je ne suis pas certain d’être un renard. On n’échappe pas si facilement au vraisemblable. Même l’hiver quand j’erre immobile au bord des champs d’Auvergne. Mû par l’instinct, enveloppé par l’air et posté en vigie, je suis un animal sage entre deux bonds. Qui pose de biais, l’étroit museau pointu au-dessus des collines. Regardez cette dernière photo de moi, elle date du 12 février au matin, c’est le dernier souvenir. C’est assez émouvant de s’observer de dos. Je m’aimais bien du temps que j’étais vivant.

Dans le monde humain, je suis un trophée. Un bibelot de fourrure empaillé qu’on place sur une cheminée. Pour l’heure, je suis encore épargné de devoir figurer dans des tableaux de chasse. Et on me laisse au calme, me perdre et fuir, je peux ainsi toucher à ma nature profonde, de voleur, d’ennemi aux oreilles sournoises, de carnassier de petite taille, d’intrus furtif et dangereux.

On ne me la fait pas, à moi. Je suis goupil, et pas dupe. J’ai assez de flair pour savoir m’évader. Je suis assez sauvage, indocile, rusé pour contourner la domestication, les cadres où seul après taxidermie on pourra me poser.

L’hiver est une saison froide, obscure, et blanche. La brume souffle hors des bouches, les haleines se dessinent autour des paroles. On peut longtemps contempler le vide gelé de déserts apaisés. La lumière pâle dégage l’horizon. L’hiver, on est toujours chez soi, on transporte en soi le foyer, on s’y chauffe et on vit comme des tortues avec sa maison sur le dos. L’hiver ! On peut se donner l’illusion que tout recommence grâce à la mort et poser les pattes dans la neige neuve, dans un univers net qui dort. On peut attendre sa proie longtemps, la patience est autorisée.

Christine-la jument et le renard, fables ariégeoises

Un jour, le 12 février, j’avais passé la nuit dans un terrier, seul, à claquer des dents sur une carcasse de poule, on m’a tué au petit plomb et on a recousu les plaies. Et je suis devenu comme un gant, plein de pailles. Ma beauté préservée. Peut-être suis-je plus beau maintenant que je suis moins mobile, que je n’échappe plus à rien. Qu’on peut disposer de mes charmes, à volonté, pour la photo.

Mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il y a de la mélancolie à rentrer dans le cadre pour un animal qui vivait de mouvements cachés. Plus triste est l’image, elle se déforme lentement, à la grâce succède la prison. Il n’est qu’à voir mon regard de jouet pour enfants. Et comme je suis posé, planté parmi l’immobilité d’objets dont je fais maintenant partie.

Peut-être fallait-il pour éviter cela, je veux dire, cette tragi-comédie, ce déclin vers l’état de chose, me nommer « espèce protégée », ainsi qu’on devrait également le faire pour les artistes indépendants. Et puis qu’on nous laisse tranquilles, vivre dans des réserves qui soient comme des paradis miniatures. A batifoler entre nous, entre esprits rusés, je veux dire. Puisque l’intelligence mord.

Christine-renard le cerf et les bottes

Le 12 février décida pour moi de mon avenir. Et je mourus, d’un coup, sans grande souffrance, il est vrai. Je peux féliciter le chasseur. Il eut l’œil pour m’abattre. Bravo à lui. Je n’aurais pu souhaiter meilleur départ.
Ensuite, ce sont des images de ma grande tournée, ma vie foraine après la mort. Les cartes postales de l’au-delà. Et je n’ai plus trop mon mot à dire sur cette mise en scène. Du moins, n’ai-je pas terminé dans le fourré. Queue basse, sanglant. Comme il arrive aux animaux qui n’ont pas la chance de plaire. Ou mangé. Du moins, suis-je encore mannequin et non pourrissant quelque part.

Assez parlé. On me demande ailleurs, je dois apparaître près d’un hibou aux serres clouées sur une branche et nous regarderons l’objectif, bien en face, peut-être comme un dernier défi parfaitement impuissant, avant de terminer en catalogue que vous accrocherez au frigo pour figurer les mois d’automne.

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