Il est possible que ce soit dans mon imagination seulement. Mais j’ai l’impression, même si certains des développements les plus importants depuis le début du conflit sont en train de s’accélérer en Syrie, que l’Occident en général — plus particulièrement le Royaume-Uni — ait choisi de regarder dans l’autre sens.
Bien sûr, il y a d’autres grands titres qui se bousculent dans notre espace médiatique et public, entre les figures de proue de l’immigration à travers l’abus sexuel des jeunes footballeurs [2], les drames incessants du Brexit, et la transition vers la présidence de Donald Trump. Pourtant, la semaine dernière, ce qui ressemble beaucoup à une finale a commencé à Alep, pour ne pas dire à travers la Syrie, et cela a été soit méconnu soit traité avec les mêmes jérémiades de condamnation qu’auparavant.
La Russie et le président Bashar al-Assad sont considérés comme des chefs mécréants, tandis que des appels déchirants par le miracle de Skype nous parviennent de familles sans maisons, sans médecins sans hôpitaux, sans nourriture. Des appels de plus en plus désespérés des groupes d’exilés atterrissent dans ma boîte de réception, appelant le Royaume-Uni ou l’Europe à faire quelque chose, n’importe quoi, pour sauver leur cause.
Voici ma question. Étant donné que les forces gouvernementales syriennes, appuyées par la puissance aérienne russe, se dirigent actuellement vers l’est d’Alep (et qui sont ces rebelles en réalité, ce n’est pas clair), quelle est la réponse la plus humaine ? Est-ce aux États-Unis, à l’UE, au Royaume-Uni — ou qui que ce soit — d’appeler à un nouveau cessez-le-feu, de promettre davantage d’armes, et même d’envoyer des forces spéciales pour aider ceux que nous aimons encore appeler des forces d’opposition modérée au sol ? Ou est-il brutal et sans cœur,— bien que ce le soit sans doute — de s’abstenir et de laisser l’inévitable arriver plus tôt, plutôt que plus tard ?
Quelle réponse est plus susceptible de réduire la mort et la destruction ? Celle qui est la plus susceptible de sauver ce qui reste de la deuxième ville de la Syrie et de ses habitants ? Celle qui a la meilleure chance de mettre fin à la guerre civile en Syrie ? Celle qui est la plus susceptible d’endiguer, voir d’inverser, le flux des réfugiés — ce que que les Européens, mais aussi les Libanais, les Jordaniens et les Turcs, pourraient demander égoïstement ?
La réponse devrait être évidente. Tous les éléments de la première option prolongeront l’agonie d’Alep. Plus précisément, il semblerait que les États-Unis, sinon l’UE et le Royaume-Uni, aient déjà choisi la deuxième option, mais préfèrent ne pas l’admettre pour le moment. Quant à savoir le moment où la décision a été prise ? Une supposition serait que le président Obama ait concédé la victoire en Syrie au moment Hillary Clinton concéda la sienne à Donald Trump. Sachant que Trump ne voyait aucun intérêt des États-Unis dans le conflit syrien, l’administration sortante a bien pu décider qu’Assad aille s’imposer et que le fait d’essayer de l’empêcher ne fasse qu’ajouter à l’effusion de sang.
Le débat se poursuit au Conseil de Sécurité de l’ONU sur ce que les puissances extérieures pourraient faire, si toutefois c’était possible. Mais les dés sont jetés. Le changement de régime — qui, en dépit de divers tours et torsions est resté essentiellement la ligne de la politique occidentale — ne va pas se produire, du moins pas de la façon dont les États-Unis et d’autres l’avaient envisagé et y avaient travaillé.
Au milieu des dissensions au Conseil de Sécurité, cette semaine, l’appel exalté lancé par le chef des affaires humanitaires de l’ONU, Stephen O’Brien, a été instructif. Il a dit : « Pour l’humanité, nous appelons les parties et les membres influents à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les civils et permettre l’accès à la partie assiégée d’Alep-Est avant qu’elle ne devienne un cimetière géant ».
Notons qu’il n’a pas appelé à un cessez-le-feu (comme l’a fait le Ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, quelques jours auparavant). Il a appelé les combattants à faciliter l’accès à la partie assiégée de la ville à ceux qui ont le pouvoir d’agir pour protéger les civils. Cela résonne beaucoup moins comme une tentative d’arrêter la bataille que davantage comme un scénario du jour d’après.
Et c’est aux vainqueurs que revient la responsabilité de protéger les civils. Ce fut le grand échec des Etats-Unis et du Royaume-Uni en Irak, et de la France et du Royaume-Uni en Libye, qui ont échoué dans la première responsabilité du vainqueur. Nous allons maintenant voir si le gouvernement syrien, avec tout le soutien que la Russie décide de donner, peut s’en acquitter mieux. Ses forces — militaires et civiles — pourront-elles rétablir l’ordre et les services de base ? Seront-elles capables ou désireuses de prévenir les récriminations ? La victoire d’Alep découragera-t-elle la poursuite de l’insurrection ailleurs ?
Peut-être. Mais le rétablissement du gouvernement syrien d’Alep ne signifie pas que la guerre civile soit définitivement terminée ni que les attaques armées aillent cesser. Même si la Syrie reste un seul État, la puissance du centre sera une ombre de son ancien moi, et le territoire contrôlé sera diminué ; les forces kurdes, en particulier, ne veulent pas abandonner le territoire qu’elles ont gagné.
Ce qui devrait dicter la nécessité d’un nouveau règlement — le genre de règlement politique qui a été évoqué tant de fois dans ce qui paraissait les séries interminables de négociations entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe Sergei Lavrov. Le plan provisoire était alors pour des tables rondes avec un large éventail de partis, Assad inclus, et des élections pouvant mener à une transition pacifique du pouvoir, ou déterminer autrement le futur rôle d’Assad.
L’inconvénient, dans ce cas, fut que même l’accord conclu par Kerry et Lavrov en septembre dernier, qui impliquait d’autres parties, tombât bientôt à l’eau, parce que personne n’était capable de contrôler entièrement les forces disparates sur le terrain. Qu’on le veuille ou non, une victoire claire à Alep a probablement une meilleure chance d’être adéquate qu’un accord négocié dont toutes les parties espèrent toujours améliorer leurs positions.
Après que l’opposition anti-Assad soit trahie par ses soutiens occidentaux
il y aura des réclamations, car il y a déjà des revendications selon lesquelles l’incapacité d’Obama d’imposer sa « ligne rouge » sur les armes chimiques a non seulement secouru Assad, mais a créé un vide à combler pour la Russie. Et il y aura des accusations de « politique d’apaisement », avec toutes les nuances des années 1930 [3].
Une version plus précise pourrait cependant être que l’opposition à Assad fût toujours trop compliquée pour remplir le rôle qu’elle avait pris, et que les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres, séduits par une diaspora convaincante, n’auraient jamais dû lui concéder ne serait-ce que l’assistance qu’ils ont procurée. Et quand la question sera posée dans les mois à venir sur la responsabilité de la catastrophe en Syrie, la réponse devra être que oui, Assad a commencé, mais nous, l’Occident, nous avons rendu ce conflit plus long, plus coûteux et plus compliqué qu’il ne l’aurait été autrement.
© Mary Dejevsky