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La plupart des analystes considèrent la Première Guerre mondiale comme un conflit inutile résultant d’enchevêtrements diplomatiques plutôt que d’une parodie de justice ou d’une agression. Pourtant, ayant tué 14 millions de personnes [4], cette guerre fut catastrophique pour une génération d’Européens.
Les États-Unis se sont joints à cette guerre inutile quelques années après le début des hostilités, coûtant la vie à de nombreux Américains, même si les États-Unis n’étaient pas partie des alliances qui avaient attiré d’autres nations dans la mêlée. Ceci même si les Américains avaient été fortement opposés à l’entrée en guerre et Woodrow Wilson avait gagné sa réélection à la Présidence avec le slogan de campagne en 2016, « Il nous a tenus à l’écart de la guerre européenne ». [5]
Le président Wilson a changé de cap en 1917 et a plongé les États-Unis dans ce tragique conflit européen. Environ 320.000 Américains ont été tués ou blessés. [6] Plus de 1 200 citoyens américains opposés à la guerre ont été rassemblés et emprisonnés, certains pendant des années. [7].
Un certain nombre de raisons ont été publiquement données pour le changement d’état d’âme de Wilson, parmi lesquelles la guerre sous-marine des Allemands, le naufrage du paquebot britannique le Lusitania [8] et une débâcle diplomatique connue sous le nom de l’épisode « Télégramme Zimmerman » [9]. Les historiens ajoutent aussi à la liste des causes la propagande pro-britannique et les raisons économiques, et l’ensemble suggère qu’un certain nombre de facteurs furent en jeu.
Alors que les Américains d’aujourd’hui sont conscients de beaucoup de ces faits, peu savent que le sionisme semble avoir été l’un de ces facteurs. [Le sionisme était un mouvement politique en quête de créer un État juif en Palestine. Lorsque ce mouvement commença, à la fin des années 1800, la population de la Palestine était à 96% musulmane et chrétienne. La grande majorité des Juifs de la diaspora n’étaient pas des sionistes.]
Diverses preuves documentaires montrent que les sionistes ont poussé les États-Unis à entrer dans la guerre du côté de la Grande-Bretagne dans le cadre d’un accord afin d’obtenir le soutien britannique pour leur colonisation de la Palestine.
Dès le début de leur mouvement, les sionistes réalisèrent que s’ils voulaient réussir leur objectif de créer un État juif sur des terres déjà habitées par des non-juifs, ils avaient besoin de l’appui de l’une des « grandes puissances ». [10]. Ils ont essayé l’Empire ottoman, qui contrôlait la Palestine à l’époque, mais ont été rejetés (bien qu’on leur ait dit que les Juifs pourraient s’installer dans d’autres parties de l’empire ottoman et devenir des citoyens turcs) [11].
Ils se sont ensuite tournés vers la Grande-Bretagne, elle aussi initialement peu enthousiaste. Des experts célèbres du Moyen-Orient anglais comme Gertrude Bell ont souligné que la Palestine était arabe et que Jérusalem était sacrée pour les trois principales religions monothéistes [12].
Le futur ministre britannique des Affaires étrangères, Lord George Curzon, déclara que la Palestine était déjà habitée par un demi-million d’Arabes qui « ne se contenteraient pas d’être expropriés pour des immigrants juifs ou d’agir comme coupeurs de bois et tireurs d’eau » [13].
Cependant, quand les Britanniques furent engagés dans la Première Guerre mondiale, et particulièrement en 1916, une année désastreuse pour les Alliés, ils perdirent 60.000 victimes en un seul jour [14], les sionistes purent jouer une carte gagnante. Alors qu’ils avaient auparavant fait appel à des arguments religieux ou idéalistes, les dirigeants sionistes allaient désormais pouvoir ajouter un motivateur particulièrement puissant : dire au gouvernement britannique que les sionistes américains pousseraient l’Amérique à entrer dans la guerre aux côtés des Britanniques, si les Britanniques promettaient de soutenir un foyer juif en Palestine ensuite [15]
En 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Balfour, adressa une lettre au leader sioniste Lord Rothschild. Connue sous le nom de Déclaration Balfour, cette lettre promettait que la Grande-Bretagne « vît favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif » et « ferait de son mieux pour faciliter la réalisation de cet objectif ».
Ensuite la lettre nuança ce point en disant qu’il devrait être « clairement compris que rien ne doive être fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine ». A cette époque, les « communautés non juives » représentaient 92% de la population palestinienne, [16]. dont d’ici à là les vigoureux efforts d’immigration sioniste augmentèrent légèrement le pourcentage des Juifs vivant en Palestine.
La lettre, alors que officiellement signée par le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Balfour, était en cours depuis deux ans et avait connu un certain nombre de modifications par les autorités britanniques et sionistes américaines et britanniques. [17]. En tant que leader sioniste Nahum Sokolow écrivit plus tard, « L’idée même née à Londres fut testée par l’Organisation sioniste en Amérique, et chaque suggestion américaine reçut à Londres la considération la plus attentive. » [18].
Sokolow a écrit que les sionistes britanniques avaient été aidés, « par-dessus tout, par les sionistes américains. Entre Londres, New York et Washington, il y avait une communication constante, soit par télégraphe, soit par des visites personnelles, et par conséquent il y avait une parfaite union entre les sionistes des deux hémisphères. » Sokolow a particulièrement loué « l’influence personnelle bienfaisante de l’honorable Louis D. Brandeis, juge de la Cour suprême. » [19].
La version finale de la Déclaration fut rédigée par Leopold Amery, un officiel britannique qui apparut plus tard comme un sioniste fervent, secret. [20].
Il semble que l’idée d’une telle déclaration fut initialement promue par le fondateur du Parushim, Horace Kallen. [Le Parushim était une société sioniste secrète décrite par la professeure Sarah Schmidt et l’auteur américain Peter Grose ; pour plus d’informations et de citations, voir le livre de Weir.] [21]
L’auteur Peter Grose rapporte : « L’idée [des Britanniques] était venue d’une source improbable. En novembre 1915, longtemps avant que les États-Unis ne fussent impliqués dans la guerre, le cerveau fertile d’Horace Kallen... avait eu l’idée d’une déclaration alliée soutenant sous quelque façon voilée nécessaire, les droits nationaux juifs en Palestine. » [22]
Grose écrit que Kallen avait suggéré l’idée à un ami britannique bien connecté qui allait la transmettre. Selon Kallen, une telle déclaration « donnerait un exutoire naturel aux sympathies spontanées pro-anglaises, françaises et italiennes des masses juives ». Kallen dit à son ami que cela aiderait à détruire la neutralité de l’Amérique, ce que Kallen savait être le but de la diplomatie britannique, désespérée de ne pouvoir amener de son côté les États-Unis à entrer dans la guerre.
Grose écrit : « L’idée de Kallen alluma l’étincelle de l’intérêt dans Whitehall. » [23].
Tandis que la « Déclaration Balfour » était une approbation moins que décisive du sionisme, les sionistes la considéraient comme une percée majeure, car elle entr’ouvrait une porte qu’ils ouvriraient plus tard. En fait, beaucoup créditent cela comme un facteur clé dans la création d’Israël. [24].
Ces négociations Balfour/Première guerre mondiale sont mentionnées dans divers documents. Samuel Landman, secrétaire de l’Organisation sioniste mondiale, les a décrites en détail dans un article du « World Jewry » en 1936. Il a expliqué qu’un « gentleman’s agreement » secret avait été conclu entre le gouvernement britannique et les dirigeants sionistes en 1916 :
« Après qu’une entente fût intervenue entre Sir Mark Sykes et — les sionistes : — Weizmann et Sokolow, il fut décidé d’envoyer un message secret au Juge Brandeis que le cabinet britannique allât aider les Juifs à gagner la Palestine en échange de la sympathie juive active aux États-Unis pour le soutien à la cause alliée, de manière à provoquer une tendance pro-alliée radicale aux États-Unis. » [25].
Landman écrivit qu’une fois que les Britanniques eussent accepté d’aider les sionistes, cette information fut communiquée à la Presse qui rapidement commença à favoriser que les États-Unis dussent se joindre à la guerre du côté de la Grande-Bretagne.
Landman prétendit que les sionistes avaient rempli leur part du contrat et que c’était « l’aide juive qui avait amené les Etats-Unis dans la guerre du côté des Alliés », provoquant ainsi la défaite de l’Allemagne. [26].] Il poursuivit en déclarant que cela avait été « déploré » ensuite en Allemagne et « avait contribué dans une large mesure à la place prééminente de l’antisémitisme dans le programme nazi. ».
Lord Cavendish, Secrétaire colonial britannique, dans un mémorandum de 1923 au cabinet britannique, écrivit également au sujet de cet accord et de son résultat, déclarant :
« L’objectif [de la Déclaration Balfour] était d’obtenir des juifs influents et des organisations juives du monde entier les sympathies du côté allié [...] [et] on peut soutenir que les négociations avec les sionistes... ont effectivement eu un effet considérable dans l’avancement de la date à laquelle le gouvernement des États-Unis intervint dans la guerre. » [27].
De son côté, l’ancien Premier ministre britannique Lloyd George fit référence aux arrangements, en disant lors d’une commission britannique, en 1935 : « Les dirigeants sionistes nous avaient promis clairement que si les Alliés s’engageaient à faciliter la création d’un foyer national pour les Juifs en Palestine, ils feraient de leur mieux pour rallier le sentiment juif et le soutien du monde entier à la cause alliée. Ils tinrent parole. » [28].
Frank E. Manuel, auteur et professeur à l’Université Brandeis, rapporta que Lloyd George avait témoigné en 1937 que « la stimulation de l’effort de guerre des Juifs américains avait été l’un des principaux motifs qui, pendant une période douloureuse de la guerre européenne, avait déterminé les membres du Cabinet à finalement voter pour la Déclaration. » [29].
Le fonctionnaire du service diplomatique américain Evan M. Wilson, qui avait été Consul général à Jérusalem, décrivit également cet arrangement dans son livre « Decision on Palestine » (Décision sur la Palestine). Il écrivit que la déclaration Balfour « ... avait été donnée aux Juifs en grande partie dans le but d’enrôler leur support dans la guerre et d’entraîner une promesse semblable des Pouvoirs Centraux [des ennemis britanniques contre la première guerre mondiale] ».
Le biographe officiel de Lloyd George, l’auteur Malcolm Thomson, déclara que la « détermination du facteur » de décider de publier la Déclaration Balfour était par une telle concession « le plan d’engagement du soutien des sionistes américains à la cause alliée dans la première guerre mondiale. » [30].
De même, l’historienne sioniste Naomi Cohen qualifia la Déclaration Balfour de « mesure de guerre » et écrivit : que « son but immédiat était de capter la sympathie juive spécialement aux États-Unis en faveur des alliés et de consolider les intérêts stratégiques de l’Angleterre au Proche-Orient. « La Déclaration fut poussée, » écrit-elle, « par les sionistes en Angleterre et par Brandeis qui intervint auprès du président Wilson. » [31].
Enfin, David Ben Gourion advenu Premier Premier ministre d’Israël, écrivit en 1939 : « D’une certaine façon l’Amérique avait joué un rôle décisif dans la Première guerre mondiale, et la communauté juive américaine avait joué un rôle considérable, sciemment ou non, dans la réalisation de la Déclaration Balfour. » [32].
[La plupart des Juifs aux États-Unis et ailleurs, y compris en Palestine même, n’étaient pas des sionistes, et même certains d’entre eux étaient vigoureusement opposés au sionisme. Voir le livre pour plus d’informations à ce sujet.]
L’influence de Brandeis et d’autres sionistes aux États-Unis avait permis aux sionistes de former une alliance avec la Grande-Bretagne, l’une des grandes puissances mondiales, une réalisation remarquable pour un groupe non étatique et qui donna la mesure de l’immense puissance des sionistes. Comme l’affirme l’historien Kolsky, le mouvement sioniste était désormais « une force importante dans la politique internationale ». [33].
Les sionistes américains ont peut-être aussi joué un rôle pour éviter une paix anticipée avec l’Empire ottoman. [34].
En mai 1917, le secrétaire d’État américain Robert Lansing avait reçu un rapport selon lequel les Ottomans étaient extrêmement fatigués de la guerre et qu’il fût peut-être possible de les inciter à rompre avec l’Allemagne et à conclure une paix séparée avec la Grande-Bretagne [35].
Une telle paix aurait aidé les efforts de la Grande-Bretagne pour gagner la guerre sur ce front (quand la victoire était encore loin d’être assurée), mais cela l’eût empêchée d’acquérir la Palestine et de permettre la création d’un État juif. [36].
Le Département d’État avait considéré l’éventualité d’une paix ottomane séparée du plan d’ensemble, aussi avait-il décidé d’envoyer un émissaire pour en poursuivre la possibilité. Felix Frankfurter devint partie de la délégation et en fin de compte persuada le leader de la délégation, l’ancien Ambassadeur Henry J. Morgenthau, d’abandonner l’effort. [37].
Les responsables du Département d’Etat américain considérèrent que les sionistes eussent œuvré pour saborder cette mission potentiellement pacificatrice et en furent mécontents [38]. Les sionistes ont souvent interprété ce mécontentement comme une preuve d’« antisémitisme » des diplomates américains ■
« Who wrote the Balfour Declaration and why : The World War I Connection »
© Alison Weir
Source du texte et de l’iconographie intégrée : Alison Weir, If American Knew Blog, (10-24 2017).
« Who wrote the Balfour Declaration and why : The World War I Connection »
La même situation historique de l’événement à l’article « Balfour, Arthur James » dans l’ouvrage académique de référence Dictionnaire d’histoire universelle, de Michel Mourre : « (...) Dans ce dernier poste [ministre des Affaires étrangères] il contribua à obtenir l’entrée en guerre des États-Unis et publia la célèbre déclaration Balfour (2 nov. 1917), sous forme d’une lettre adressée à lord Rothschild. (...) (v. ISRAËL) » :