"L’imaginaire se loge entre les livres et la lampe… On le puise à l’exactitude du savoir ; sa richesse est en attente dans le document. Pour
rêver, il ne faut pas fermer les yeux, il faut lire. La vraie image est
connaissance. Ce sont des mots déjà dits, des recensions exactes, des
masses d’informations minuscules, d’infimes parcelles de monuments et
des reproductions de reproductions qui portent dans l’expérience moderne
les pouvoirs de l’impossible. Il n’y a plus que la rumeur assidue de
la répétition qui puisse nous transmettre ce qui n’a lieu qu’une fois.
L’imaginaire ne se constitue pas contre le réel pour le nier ou le compenser
; il s’étend entre les signes, de livre à livre, dans l’interstice des redites
et des commentaires ; il naît et se forme dans l’entre-deux des textes.
C’est un phénomène de bibliothèque."
Michel Foucault, La bibliothèque fantastique
Ce projet tire son nom de l’essai de Foucault intitulé La Bibliothèque Fantastique, dans lequel il propose une analyse du travail de Flaubert sur La tentation de Saint Antoine. Foucault entend l’expression « phénomène de bibliothèque », dans le sens où les tentations que subit Saint Antoine font systématiquement référence à des mythes et des mythologies du monde entier. Ce livre est donc réalisé à partir de livres, de mythes et de personnages empruntés, comme le dit Foucault, « tous les autres livres, rêvés, fragmentés, déplacés, combinés, éloignés, mis à distance par le songe, mais par lui aussi rapprochés jusqu’à la satisfaction imaginaire et scintillante du désir » . Flaubert pioche dans sa bibliothèque pour y trouver les mythes et autres histoires avec lesquels il construira les tentations de Saint Antoine, faisant intervenir des personnages connus de tous qui valent également pour la charge culturelle qu’ils représentent.
Ce livre invente son propre genre littéraire, de la même façon dont les artistes du vingtième siècle s’appliqueront à inventer leur propre médium, dans un rapport d’échange entre le fond et la forme. Pour Foucault, La tentation est une œuvre fondatrice, elle rend possible ce qui viendra après, c’est-à-dire l’esprit moderne. « Après, le Livre de Mallarmé deviendra possible, puis Joyce, Roussel, Kafka, Pound, Borges. La bibliothèque est en feu. »
La Bibliothèque Fantastique est une maison d’édition minimaliste dans le sens ou tout le superflu a été retiré. En effet, les livres de LBF n’ont pas d’existence physique prédéterminée, ils vivent à l’état de potentialité sur la toile, en attente de devenir. Ils n’ont pas non plus de prix vous pouvez vous les procurer sans débourser le moindre centime. Ils n’ont pas d’ISBN, car ce sont des œuvres d’art, pas de couleur n’ont plus, pour que l’on puisse les imprimer sur toutes les imprimantes sans exceptions.
Voilà ce que les livres de LBF n’ont pas, ce qui est quasiment plus important que ce qu’ils ont car cette démarche se construit comme un négatif de ce que nous propose habituellement la société spectaculaire marchande, et dans l’idée de montrer des singularités poétiques diverses, à l’opposé du tape-à-l’œil dont la société nous abreuve.
Ce que les livres de LBF ont, c’est avant tout une très grande liberté de contenu révélant une idée de l’art très large et englobante. On pourra donc trouver dans ces livres, toutes les différentes formes d’expression que l’on trouve habituellement dans les supports imprimés, c’est à dire du dessin, ou de la photographie, mais également des essais, des romans, des enquêtes journalistiques, etc.
Les livres de LBF présentent invariablement une couverture détournée de n’importe quel livre préexistant que l’artiste choisie pour en faire la couverture de son livre. Le nom de l’auteur est donc effacé pour être remplacé par le nom de l’artiste, le nom de la maison d’édition originale est également effacé car le nouveau livre ne lui appartient plus. L’artiste peut également modifier le titre du livre pour l’agrémenter à son goût. L’intérieur du livre est totalement libre, et l’artiste y développe à travers les pages un rythme qui sert son propos. Les livres produits sont faits de morceaux de livres, ils développent ainsi un discours sur l’ontologie du livre, ce projet cherche à interroger la nature de l’objet livre en la mettant en danger de la même manière que les artistes minimalistes ont cherchés à tester les limites de la peinture et de l’art, le but de LBF est d’explorer les frontières de ce qui est livre et ce qui ne l’est plus. Les artistes invités par LBF sont donc invités à apporter leur contribution à une réflexion sur le livre, à l’aide de la méthode de Flaubert mise en lumière par Foucault : « Elle ouvre l’espace d’une littérature qui n’existe que dans et par le réseau du déjà écrit : livre où se joue la fiction des livres. »
Tous les livres produits par La Bibliothèque Fantastique sont sous licence artlibre