La Revue des Ressources
Accueil > Idées > Agora > La santé publique est aussi grande que la Magna Carta / La santé publique est (...)

La santé publique est aussi grande que la Magna Carta / La santé publique est égale à la république 

dimanche 28 avril 2013, par Harry Leslie Smith, Louise Desrenards (traduction de l’anglais au français)

Tout ce qui concerne l’accélération de la disparition des services publics de la santé, que l’austérité ne saurait manquer d’annoncer dans un avenir proche en France, mais selon d’autres formes (déjà avancées) que celles adoptées au Royaume Uni. Les réformes fraîches arrivent comme une cerise empoisonnée, au sommet du gâteau funèbre du nouvel ordre néolibéral dédié à Margaret Thatcher...

Lire la présentation ←


La Santé Publique est aussi grande que la Magna Carta


Je suis un homme très vieux et j’ai donc des souvenirs forts de la Grande-Bretagne avant l’établissement de la Santé Publique. Je me souviens de ma sœur mourant de la tuberculose dans l’infirmerie d’un centre pour les mendiants, et me concernant d’avoir failli succomber à la coqueluche parce que nous n’avions pu trouver un médecin.

Alors que j’étais petit garçon, je me souviens d’avoir entendu des cris venant d’une maison dans notre rue où une femme se mourait d’un cancer sans aucun médicament pour soulager sa douleur. C’était un monde barbare où l’argent décidait qui allait vivre et qui allait mourir parce que telle était la formule pour les soins médicaux.

En fait, ce ne fut pas avant d’être âgé de 18 ans que je vis un médecin et parce que je m’étais porté volontaire pour rejoindre la RAF, alors que la Seconde Guerre mondiale avait commencé. Les gens de ma génération ont tant sacrifié pendant la Grande Dépression et la Première Guerre mondiale. La Santé Publique fut notre récompense, notre dividende du temps de paix. C’était également notre engagement solennel envers les générations futures d’être une nation civilisée qui traiterait tous les citoyens également dignes de soins et de compassion.

La Santé Publique est pour moi aussi importante que la Magna Carta, car elle a libéré des millions de personnes de la tyrannie de la maladie et de la pauvreté, pour avancer et mener une vie productive. Personne ne peut me tromper aujourd’hui sur les nouvelles mesures. Elles ne sont pas faites pour rendre la Santé Publique plus efficace, ni plus accessible ou responsable dans la situation économique actuelle, elles sont toutes à propos du profit. Maintenant, une petite minorité de personnes et des sociétés vont devenir très riches tout en rendant la Grande Bretagne une nation moins salubre et moins vivante. Les noms de tous ceux qui ont voté pour ces dispositions doivent être gravés sur une pierre commémorative célébrant la mort de la plus grande réussite de la Grande-Bretagne : la Santé Publique. C’était la marée qui soulevait tous les navires.


Harry Leslie Smith


Hamburg 1947 : A Place for the Heart to Kip
1e et 4e de couverture dépliées (éd. Universe, nov. 2011)
Document Facebook Harry Leslie Smith


Source Harry Leslie Smith Goodreads Blog, le 26 avril 2013.

Source originale dans les Commentaires du Guardian, le 25 avril 2013.

P.-S.

- Le logo est un portrait de l’auteur, citation d’une recension de son dernier ouvrage publié en date, The Empress of Australia : A post-war memoir, situé par l’icône en 4e de couverture de Hamburg 1947.

- Le site officiel de la Santé publique au Royaume Uni, son historique et ses explications sur les décisions récentes : National Health Service.


Présentation


La brève traduite se présente comme une courte nouvelle en guise de leçon, publiée par l’écrivain Harry Leslie Smith en commentaire d’un article dans le Guardian, le 25 avril. L’auteur est parvenu à un âge vertueux dont on ne saurait dénier l’importance de la voix, d’autant plus qu’elle est répétée dans son blog de Goodreads, le 26 avril. À propos de son âge et de son engagement populaire les britanniques évoquent Stéphane Hessel. Qu’en est-il de cette proximité politique et de ses différences ?

C’est l’occasion de présenter un auteur de référence internationale sur la mémoire occidentale, connu depuis plusieurs années en tant que chroniqueur d’édition et écrivain anglophone, avec ceux qui éclairent sur l’histoire sociale de l’avant et après dernière guerre en Europe. Néanmoins, aucun de ses ouvrages ne paraît avoir été traduit en français — on se demande pourquoi. Est-ce parce qu’il lève le voile sur les choix préjudiciables aux populations européennes en les confrontant à sa critique du passé ? En réalité ce sont les dates qui font acte en premier lieu, Harry Leslie Smith n’ayant commencé à publier ses chroniques éparses rassemblées dans des livres qu’à partir de l’année 2011, tandis que les plans d’édition des grands éditeurs français sont saturés de peu mais plusieurs années à l’avance. Son tour arrivera parce que sa connaissance du passé vu de l’autre côté de la frontière ou de la Manche, où tout n’allait pas mieux sinon plus mal, parce qu’il se trouve qu’à la Libération nous avions fait le choix des nationalisations de certaines industries et le choix des services publics (hérités des conceptions avancées pendant le Front populaire juste avant la guerre), nous éclaire.

D’origine pauvre, engagé dans la Royal Air Force dès le début de la guerre, à 18 ans (certains s’engageaient à 16 ans), ce qui lui permit de voir pour la première fois de sa vie un médecin (militaire), il se trouva parmi les troupes alliées qui séjournèrent en Allemagne jusqu’en 1948.

On ne cèdera pas à la formule rapide de la comparaison avec Stéphane Hessel. C’est vrai, tous les deux vétérans de la seconde guerre mondiale, se sont révélés tardivement des militants populaires publics, inventifs, énergiques, passionnés. Mais leurs combats ne sont pas situés dans une même pragmatique de l’engagement, quoiqu’ils partagent une idéologie respective de la justice et des droits pour tous. Nous dirons plus agissante au niveau de l’institution républicaine et maîtrisant l’usage des médias intransitifs, chez Hessel, tandis que l’engagement de Smith s’exerce à la base à travers l’écriture tardive de ses mémoires, transmission du destin progressiste des populations au sortir de la guerre, dont il émerge et auquel il reste loyal. Et concernant l’actualité il intervient directement dans le débat interactif sur Internet.

Harry Leslie Smith se présente comme un auteur organique au sens gramscien du terme. On pourrait dire que son engagement est vernaculaire — celui des activistes de base parmi les masses et qui s’élève par la voix pour être entendu. Pourtant son statut d’écrivain pourrait lui donner facilement accès à publier des tribunes, mais il préfère exercer sa présence citoyenne en temps réel à propos des réformes et des articles des journalistes...

À eux deux ces vétérans résument la connaissance et la conscience du siècle dernier jusqu’au début de celui-ci, et les alliances intelligentes qui purent changer l’histoire sociale dans les démocraties modernes et post-modernes. En Angleterre ce furent les institutions sociales et le service public fondés par les travaillistes au pouvoir de 1945 à 1951 floués par le retour de Churchill au pouvoir qui refuse le partage des profits du pétrole avec les compagnies iraniennes, pensant plutôt y faire un coup d’État, tandis que l’empire colonial s’effondre, puis l’incompétence économique d’Anthony Eden et le déclin des acquis et des droits hérités de la guerre. En France ce fut le programme du Conseil National de la Résistance dont les nationalisations et les institutions sociales furent mises en place à la Libération par le gouvernement de Gaulle avec les communistes (au pouvoir des ministères mêmes), acquis qu’au début de 2010, Stéphane Hessel, avec la brochure Indignez-vous ! (dans le sillage de l’association « Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui » créée en 2008) se leva pour appeler à les défendre, tandis que l’État français de la présidence Sarkozy sous l’égide du MEDEF s’attelait à en détruire pièce par pièce les acquis fondateurs. Aujourd’hui Stéphane Hessel n’est plus, mais c’est la voix anglophone de Harry Leslie Smith qui lui succède pour rappeler à la conscience, dans les médias les plateformes numériques et l’édition, ce qui ne devrait pas disparaître de l’humanité édifiée par les leçons de la dernière guerre mondiale en Europe.

L’engagement de Stéphane Hessel a concerné principalement l’exécution éthique de la politique institutionnelle édifiée par les droits humains, à ses propres risques et périls dans une tradition républicaine de l’insoumission devant l’infamie, alors qu’elle avait disparu des droits nationaux et européens. Certes il exprime ses convictions et son camp de la liberté de disposer de soi, personnes et peuples, et ne dédaigne pas l’action héroïque qui convient pour les faire entendre. Mais il ne s’exprimait pas depuis son expérience sociale personnelle ni d’une conscience de son destin privé. Il ’avait pas connu la faim mais d’autres difficultés dans son enfance, et si singulière et remarquable fut sa vie d’adulte, il les laissa dans sa sphère privée, sauf pour répondre à des questions cadrées par des interviews.

Stéphane Hessel, inspira un mouvement de jeunesse pour le recouvrement des libertés instituées qui se trouva également interprété contre l’austérité — d’abord passée à l’acte du pouvoir en Espagne — à la fin de 2010 et au début de 2011, et cela portait d’autant plus son combat que son ancienne activité de législateur international et de diplomate accru avec son combat pendant la dernière guerre mondiale légitimait sa violente critique de la perte des droits. Mais en dehors de cette brochure il n’était pas un écrivain qui publiait, restant un homme d’action institutionnelle. En tant que diplomate qui avait agi au sein de l’ONU il s’était trouvé impliqué dans la question des droits en Palestine ; notamment il avait été présent aux pourparlers de Camp David pour conduire au progrès des accords d’Oslo, bien qu’ils ne fussent pas également partagés par la gauche palestinienne, (certains y voyant l’annonce des futures injustices et des conditions d’un apartheid, comme l’administration des territoires durant le progrès de la feuille de route devait rester sous l’autorité d’israël). Désillusionné par la rupture des conditions sur le terrain, il laissa le combat institutionnel et prit individuellement fait et cause pour les droits et la défense des Palestiniens en ralliant la Ligue des Droits de L’Homme, contre la colonisation et les agressions israéliennes ; puis il co-fonda le Tribunal Russel pour la Palestine contre les crimes de guerre à Gaza ; et enfin, à l’égal de tous les membres du Tribunal il s’engagea dans le mouvement de boycott contre l’apartheid des palestiniens. Ce qui lui valut de recevoir des menaces contre sa vie et d’autres violences comprenant la participation implicite de la justice française, abusivement requise contre son droit d’expression publique, par des adversaires favorisés par le pouvoir.

Au contraire, on voit Harry Leslie Smith principalement engagé en tant qu’écrivain, et à ce titre par le chemin de sa vie vénale, à travers ce que le récit de ses épreuves et de sa transgression sociale personnelle nous permet d’en découvrir ; c’est une écriture de création documentaire réaliste, qui situe son débat dans le champ historique de ses territoires résidentiels propres. C’est-à-dire qu’il reste spécifiquement dans le cadre de l’Atlantique nord notamment des pays de l’alliance fédérée contre l’Allemagne nazie. Avec une sensibilité romanesque auto-fictionnelle il recense l’auto-biographie critique des souffrances en commun dont il a individuellement ressenti l’impact. Il s’exprime par la chronique des expériences populaires dans une traversée des classes imbriquées avec le tumulte et le renouvellement des sociétés historiques de plusieurs pays occidentaux avant, pendant, et après la seconde guerre mondiale. Et par là il concourt à la mémoire collective des peuples actualisée par sa sensibilité littéraire, pour la connaissance, l’information, et l’éducation dans ces régions, qui concernent plus largement le monde.

Son livre Hamburg 1947 : A Place for the Heart to Kip, décrit Hambourg et l’Allemagne ruinées, occupées par l’armée de libération dont il fait partie au sein de la Royal Air Force, jusqu’en 1948, où naît son amour pour une femme allemande qui deviendra son épouse dans la vraie vie. Il évoque l’Allemagne déchirée au sortir de la guerre, les réfugiés, la misère, le marché noir, le cynisme des soldats alliés. The Empress of Australia : A Post-War Memoir est le récit de la suite jusqu’aux années 1950 ; Smith démobilisé revient en compagnie de son épouse au Royaume Uni, pays transfiguré par les séquelles de l’économie de guerre, pour vivre dans son Yorkshire natal redevenu un lieu de souffrance et de misère, ouvrage à la fois incongru, douloureux, comique : ainsi donne-t-il à connaître la situation de la population anglaise ne parvenant pas à émerger, une dizaine d’années après la Libération, dans une idéologie rigide de la justice (qu’il s’agisse des droits sociaux ou des droits humains : par exemple, c’est en 1952 que Alan Turing, qui avait pourtant rendu d’immenses services au renseignement militaire, pendant la guerre, sera jugé et cruellement condamné pour son homosexualité, en temps de paix).

Au terme de ce périple de la démobilisation, où Smith restera proche des syndicats ouvriers, il choisira d’émigrer en famille au Canada, (où depuis il réside).

The Empress of Australia : A Post-War Memoir doit le nom qui figure dans son titre à celui du fameux paquebot transatlantique allemand qui témoigna d’une guerre mondiale à l’autre et des deux après-guerres. Construit en 1913 puis laissé inachevé à cause de la déclaration de guerre en 1914, ce paquebot transatlantique sera saisi à Hambourg en 1918, par les britanniques, en réparation des dommages causés à leur flotte, puis cédé à une compagnie canadienne qui achèvera sa construction, il fera une carrière commerciale jusqu’à la seconde guerre mondiale, où il sera réquisitionné puis ré-armé par l’amirauté britannique pour le transport des troupes, jusqu’à la démobilisation générale dans les années 50... C’est sans doute à juste titre d’une traversée de l’auteur à bord, si démobilisé seulement à la fin des années 1940 celui-ci a choisi d’en faire le titre d’un tome de ses mémoires.

C’est la matière même de la vie privée, aléatoire, construite au fil du développement personnel atypique pour s’arracher à sa condition, et son ouverture pour la rencontre des autres cultures, qui constituent pricipalement l’engagement personnel exemplaire de Harry Leslie Smith, comme la forme même de de son destin collectif, et sur lequel il fonde le partage de son activisme avec les classes exploitées. Et non l’expérience de sa vie publique, puisqu’il ne fut pas institué à ce titre.


L’exaspération actuelle de l’auteur fait suite à une série de mesures anti-sociales actuellement à l’ordre du jour des décisions du gouvernement conservateur britannique avec l’aval du parlement et de certains travaillistes, pas seulement des « blairistes », soi-disant au titre de la crise économique. À défaut de l’endettement des gens, c’est la vie nue, c’est-à-dire abrégée. Tout ce qui lui rappelle la matière de sa vie et le révolte, d’où la métaphore de ses ouvrages pour mémoire des temps qui jamais ne devaient revenir.

Cette courte nouvelle lancée en commentaire du Guardian au terme ce ce mois d’avril 2013 est à propos des réformes de la Santé publique (déjà bien atteinte lors des années Thatcher, par la sectorisation de la médecine selon la résidence des patients qui ne leur permettait ni de changer de médecin, même s’il se trompait, ni de déménager), par le gouvernement conservateur actuel du Royaume Uni. Réformes générant de la pauvreté, informées notamment à travers deux articles où l’auteur est intervenu, respectivement du Observer, le 20 avril, par les journalistes politiques Toby Helm et Tess Reidy Labour plans student-style ’salary loans’ for the unemployed (Les travaillistes prévoient pour les chômeurs des « prêts de salaire » selon le modèle des étudiants boursiers), auquel en combattant il a immédiatement répondu en ligne, et celui du 25 avril par le médecin généraliste Paul Hobday (qui déclare démissionner face aux nouvelles réformes de la santé publique, disant qu’il a perdu son combat pour défendre les principes fondateurs des assurances sociales — ce qui inspire son titre dans la colonne des débats) Why I’m stepping down as a GP over NHS ’reforms’ (Pourquoi je démissionne en tant que médecin généraliste face aux réformes de la Santé publique), que Harry Leslie Smithl a appuyé en ligne par ce texte de soutien en guise d’un nouveau commentaire, également publié dans son propre blog le lendemain, publications déjà évoquées, et que nous traduisons ici...

Combat farouche à juste titre de son expérience vécue comme on la découvre dans son évocation de la pauvreté dans la période de la grande dépression et de la seconde guerre mondiale — qu’il rappelle urgemment à notre mémoire.

Familier des commentaires progressistes et/ou radicaux dans le Guardian, et optant plutôt pour cette forme d’activisme qu’y publier des articles, Harry Leslie Smith comme on peut s’en douter a vertement commenté les hommages et compte-rendus de funérailles dédiés à Margaret Thatcher. On trouve l’ensemble de ses interventions recensé à la page "Harry Leslie Smith’s activity" du journal cité (pour les situer dans le contexte des articles concernés, cliquer sur "commented" qui mènera chaque fois à la visibilité de la succession des commentaires datés où les siens apparaîtront encadrés).

L. D.


© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter