Le bon chemin, celui qui ne porte pas un coup fatal aux interdépendances, qui ne met pas en péril l’ordre du cosmos et ne provoque pas les pires ruptures d’équilibre est nommé homéothélique. C’est le chemin originel de l’homme sans âge, de l’homme du Premier matin, celui des peuples natifs. Il ne conduit ni à l’abondance, ni à l’appropriation et ne passe pas par la prolifération d’une espèce humaine arrogante, dominante et qui ne dit jamais merci... Ni prendre, ni vendre, ni proliférer, mais transmettre le legs à l’humanité. Cette manière d’être en phase avec les éléments ressemble à s’y méprendre à celui d’autres grands animaux dont la territorialité est limitée dans l’espace et les ponctions alignées à une stricte autosuffisance. La philosophie plurimillénaire de la naturalité des peuples premiers aurait dû, dès l’inévitable contact, participer à l’enrichissement de la pensée universelle. Nous avons, une fois de plus, raté le coche. Ce don rare, cette intelligence de l’instinct que se partagent les peuples « sauvages », ne se rencontre plus chez l’insolent Homo sapiens modernicus. Loin de l’écrasant dogme abrahamique, le panthéisme n’affirme rien, il est à l’écoute, il est sublime liberté. Les peuples racines sont en communication viscérale avec tout ce qui sous-tend le cosmos, et de ce dialogue symbiotique émane une fécondité cachée. Ce pouvoir de la périphérie correspond à la vision juste, mais nous l’avons troqué pour un pouvoir centralisateur erronément élu. Les communautés indigènes de la forêt, de la steppe ou de la montagne communiquent de façon sensorielle avec leur milieu. Nous avons ridiculisé et révoqué cette connivence homme-Nature, et remplacé par un divorce, un hiatus, une fracture. Il est vrai qu’un peu tard et fatalement blessés, nous cherchons maintenant à combler le fossé. L’esprit de l’homme naturel est charpenté d’une psychologie cognitive de son environnement, dont il pressent le moindre souffle, le moindre son, la senteur la plus ténue.
Les peuples premiers pouvaient tenir le rôle de sentinelles de notre Planète. Encore aurait-il fallu les respecter, ne pas diaboliser leurs mœurs, ne pas dépecer leurs communautés. Initiateurs de la gestion durable avant la lettre, les Aborigènes australiens, les Maori, les Kanaks, les Papous, les Punan, les Bushmen, les Pygmées, les Masaïs, les Touaregs, les Mongols, les Tibétains, les Amérindiens, les Lapons, les Inuits et tant d’autres peuples autochtones, se considèrent comme partie prenante d’une Nature dont ils ne sont pas maîtres et au sein de laquelle ils sont intrinsèquement impliqués. Pour l’homme naturel, toute forme de vie induit le plus total respect et la Terre est l’incontournable mère nourricière. Ce sont eux qui sont aux fondements des sociétés humaines, aux sources de notre saga. On leur doit reconnaissance comme à un père généreux et au-dessus de tout soupçon.
Dès qu’il s’agit d’une humanité respectueuse de son environnement, d’un homme lié par le sang et l’âme à la Nature, en symbiose avec les autres espèces végétales ou animales, on pense de suite à ces peuples, du moins à ceux que nos aïeux colons, prédicateurs et esclavagistes ont laissé vivre leur vie. Mais cette bonne entente écologique, cet harmonieux partenariat avec le Vivant, c’était aussi Gaia au temps de Gallia. Nos ancêtres protohistoriques Indo-européens les Celtes et les peuples gaulois ne prenaient pas « tout » et relèvent du contre-exemple du bon chemin oublié. Bien que donnés comme irascibles et querelleurs selon la vision latine de l’occupant, assimilant comme toujours tout ce qui lui est étranger à une forme de barbarie, y compris des pratiques jugées violentes comme les sacrifices humains, il n’en demeure pas moins vrai que les Celtes disposaient d’un panthéon au moins aussi développé que celui des Grecs anciens. Le culte régi par la classe sacerdotale des druides se faisait en pleine nature, dans des clairières, auprès des sources. Une spiritualité en harmonie avec le Vivant, des bois sacrés et autres sites réservés aux dieux, semblent bien mal cadrer avec une renommée de brutes, tout comme le recours aux objets votifs et l’existence d’ensembles mégalithiques. Mais s’agissant déjà d’un peuple avancé, la maîtrise de la métallurgie, l’expertise de la joaillerie leur faisait peut-être déjà courir le risque d’un développement non-durable ! Il faut si peu de chose à l’homme pour le rendre schizophrène, entre belle spiritualité et spéculation. De toute façon, l’impérialisme romain allait subjuguer l’Europe et corrompre pour de nombreux siècles l’évolution de ce type de civilisation occidentale en bon ordre avec l’univers. Lors de la guerre des Gaules, en 52 avant J.-C., le siège d’Alésia vit la reddition de la coalition gauloise menée par l’Arverne Vercingétorix devant les légions romaines de Jules César. Chaque soldat de César reçut un Gaulois comme esclave. Nos ancêtres les Gaulois, adorateurs des arbres et des sources, perdirent ainsi leur indépendance et la philosophie naturaliste qui était la leur. Nous sommes ainsi devenus ce que nous sommes, mais restons fervents des films d’Astérix.
Le chemin que nous avons oublié est toujours suivi par bien des ethnies, architectes congédiés d’un autre Monde possible. On se complaît à utiliser le terme d’ethnie, très folklorisant, très expo coloniale, pour cultiver la différence avec la grandeur de nos civilisations, fruits de pures nations. Il se pourrait bien que le concept ethnique soit une invention du capitalisme patriarcal. L’ethnie est au sauvage ce que le Noir est au nègre, le malentendant au sourd ou la technicienne de surface à la femme de ménage. Au plus profond de leurs traditions et de leurs cosmologies diverses, les peuples autochtones détiennent le savoir, le Souffle et les plans nécessaires à la construction d’un autre Monde possible. Sans un culte excessif de l’humain contre la biocénose, sans envahir l’habitat d’une encombrante famille, acceptant et respectant la mort comme la vie, sachant qu’il faut passer par la réduction de l’effectif pour rendre possible les lendemains, allant même jusqu’à recourir à l’infanticide, dans la résignation douloureuse de la mère amérindienne, pratique terrible et nécessaire lorsqu’il y va de l’intérêt général. Nous autres, sortons nos grands principes et nos grands sentiments pour occulter notre égoïsme car, en fin de compte, chacun élève ses propres petits en se foutant pas mal de ce qui peut arriver aux autres, là-bas, sur tel ou tel continent qui se dessèche ou prend l’eau par la faute des exactions de l’Occident des droits de l’homme, et de l’enfant. On pourrait tant en dire… Il m’a toujours semblé qu’une mort correctement administrée (mais par qui ?) était préférable à la douleur administrée à petites doses anonymes ou à la misère entretenue et justifiée parce qu’« il n’y en a pas assez pour tout le monde ». Infanticide ou environnementicide, certains ont le courage du choix, d’autres ont leurs jugements de valeurs. Et ces derniers ont alors leurs sacrifices de substitution. Mais peut-on parler ainsi dans une société si poltronne qu’elle en arrive, en soi-disant réaction à la barbarie, à faire lire la lettre de Guy Moquet dans les chiottes du stade de France, avant un match de rugby « contre » la Namibie. Ça n’a rien à voir ? « L’opinion dominante c’est comme une vapeur qu’on respire. C’est une intoxication indolore », commentait Jean-Claude Guillebaud.
Contrairement à certaines sociétés amérindiennes ayant investi des régions à température plus clémentes, voire des écosystèmes forestiers à réelle providence, les Amérindiens ayant peuplé le Nord ne dépendaient quasiment que de la chasse et se trouvaient contraints à un incessant nomadisme, le gibier étant très disséminé dans cette contrée. Par exemple, les Algonquins, tribu de la région du lac Témiscamingue, vivaient constamment dans la hantise de la famine. Ils ne disposaient d’aucune autre plante que de deux espèces de céréales à cultiver, et un peu de riz sauvage à récolter. Le maïs, seulement cultivé par les Iroquois, devait être acheté. Dans un tel contexte, les provisions de viande et de poisson revêtaient une valeur extrême. La vie en wigwam, habitat temporaire constitué d’un bâti de perche recouvert d’écorces de bouleau ou de nattes de joncs, offrait peu de confort et encore moins d’intimité, surtout pendant les longs mois d’hiver. Ces conditions de vie difficile de la cellule sociale nomade impliquaient une limitation contrôlée et sévère du nombre de membres. Avec davantage de bouches à nourrir et une disponibilité du gibier qui n’augmente pas, il y a chaque fois moins de nourriture pour tout le monde. Il y a donc un plafond naturel imposé au nombre de personnes que les dangers et la faible espérance de vie ne suffisaient néanmoins pas à maintenir. Les Algonquins devaient donc très souvent pratiquer l’infanticide. En années difficiles, jusqu’à 90 % des nouveaux-nés étaient tués ou abandonnés.
Chaque fois qu’ils étaient confrontés à d’insurmontables difficultés, tous les peuples racines agissaient de la sorte. Ils n’avaient nullement le choix. Seul le progrès ou des ressources apparemment et temporairement plus abondantes nous ont dispensés de telles pratiques hâtivement jugées contre-nature, mais qui ne le sont pas d’un point de vue légitime. La conséquence d’une vie moins rude et de mœurs moins effrayantes nous a cependant conduits à envahir notre Planète. Nous ne tuons plus nos nourrissons mais nous allons nous retrouver bientôt avec 3 ou 4 milliards de gens qui vont crier famine. Que ferons-nous ?
Que conclure, sinon qu’en l’occurrence nous avons pris l’évolutionnisme à l’envers, ou qu’on ne pouvait s’attendre à ce que le chemin de l’évolution humaine s’avère être, avec le temps, celui de l’involution, de la régression, de l’impasse. Force est de constater que nous avons évolué à reculons et que le résultat de notre quête s’appelle néant. La surpopulation comme le pire était l’ennemi du bien, tandis que la dénatalité qui mène à l’implosion, tant décriée des politiques, des économistes et autres populationniste n’avait aucun relent de fin d’humanité, et bien au contraire le seul chemin pour que tout le monde puisse simplement vivre. Les valeurs inversées sont monnaies courantes, le paradoxe se vit à la petite semaine. Pensez que manger de la merde est un acte citoyen et que c’est manger bio qui est le privilège. Tous ces efforts, ces recherches, ces révolutions, ces querelles, ces budgets faramineux pour qu’on se retrouve avec de l’immangeable, du cancérigène, du coûteux en CO2 dans nos assiettes. Fallait le dire plus tôt et ne pas permettre à la pétrochimie de mettre la main sur un monde paysan qui ne demandait rien. Figurez-vous que nos arrières grands-parents faisaient du bio comme Monsieur Jourdain fait de la prose. Et ça ne coûtait pas la peau des fesses, ni des maux qui rapportent encore et encore aux mêmes groupes qui vendent le mal et le remède du mal. Donc, en matière d’évolution, et n’en déplaise aux démographes, les théoriciens marchaient sur la tête. La vitalité d’une nation ne se mesure pas à la densité de populo qui encombre le paysage et va se retrouver coupable d’une vie invivable, mais à un effectif en équation avec le capital naturel. Il fallait penser un peu plus tôt que si on peut mettre trois ou quatre personnes dans une maison, on pourra difficilement en caser trente ou cinquante. Et que si chaque jour, pour surenchérir l’ineptie, on retire une brique à la même maison, elle finira par se casser la gueule. Mais l’élevage en batterie devait figurer dans les premiers fantasmes de l’homme grégaire, tant la solitude et la paix sont des fardeaux. On voit cela dans les stades. Pourquoi donc se plaindre des « camps » quand on ne nourrit qu’un rêve : y passer ses vacances, si possible en y retrouvant la famille nombreuse d’à côté. Nous supposons que l’essentiel de notre pensée fut étayée par la notion de guerres. Attaquer, se défendre, se défendre, attaquer. Notre humanité a grandi dans ce syndrome et le culte des masses y répond. Comme il répond pour faire le plein des temples et des églises, des usines et des hypermarchés. La loi du nombre est notre loi. D’où l’invention du marginal, de l’anticonformiste, du déserteur et du non-votant. Le couple sans enfant est vu comme anormal, claudiquant, original, anarchiste, couvert par l’opprobre de la stérilité. « Stériles, infertiles, frigides, pédé, gouine ? Est-ce lui, est-ce elle qui ne veut pas, qui peut pas ? », murmure le qu’en dira-t-on subjugué de ne pas entendre brailler des poupons nuit et jour. Le couple sans enfant devrait faire profil bas. Pour un peu, une cloche au cou leur irait bien. La plupart des conceptions ne sont pas intentionnelles mais le désir de se conformer à ce que la société considère comme normal reste la cause première des grossesses voulues ou acceptées. En dépit d’une incontestable évolution des mœurs, plus apparente qu’intrinsèque, encore rares sont les couples acceptant de remettre en question la tradition nataliste. La plupart de ceux qui continuent à concevoir n’ont jamais considéré que les choses puissent en être autrement.