La Revue des Ressources
Accueil > Création > Romans (extraits) > Le sens des affaires > Le sens des affaires : Huit.

Le sens des affaires : Huit. 

samedi 27 février 2010, par Rodolphe Christin

Huit.

— Hector, tu vas me faire plaisir. Tu vas nous suivre sans râler, d’accord ? Sois gentil s’il te plaît.

La voix de Clara était claire, sereine, rassurante. Une voix pareille ne pouvait pas faire de mal, pensa l’homme d’affaires.

Kévin se tenait à distance, assis sur le bord de la table. Il n’avait pas quitté sa veste. Il observait la situation, très attentif. Parfaitement calme, comme souvent d’ailleurs.

Clara avait préparé du café, qui embaumait la pièce. Les bruits délicats des cuillères dans les tasses apaisaient l’ambiance, elles évoquaient un semblant de conciliation.

— Mais enfin, que me voulez-vous ? Allez-vous bientôt me le dire ? Clara, parle s’il te plaît !

Hector Dumenclin ne jouait plus l’inconnu, le quidam rencontré dans la rue. Il avait déjà oublié ses études de médecine. Il consulta sa montre : Je vais rater mon rendez-vous, figurez-vous !

— Oui, vous allez le rater, trancha Kévin. Mais ce n’est pas très grave en vérité.

Hector les observait tour à tour :

— Pas grave ? Non mais vous plaisantez, j’imagine ! Vous êtes de mèche tous les deux, ma parole ! Vous vous connaissiez donc, ça alors !

Personne ne répondit à Hector. Kévin poursuivit :

— Nous voudrions vous montrer quelque chose. Un endroit qui ressemble au paradis, vous vous y sentirez très bien, vous verrez.

— Je n’ai pas prévu de prendre des vacances, coupa brutalement Hector Dumenclin.

— Ce genre d’imprévu est bon pour toi, Hector, renchérit Clara en se penchant sur lui, une main rassurante sur son épaule. Nous allons te changer les idées. Tu sais bien comme tu en as besoin.

Le chef d’entreprise ne releva pas l’allusion à son état de tension. Pour lui, il s’agissait de son état normal, et puis il avait d’autres choses à faire que de visiter un endroit prétendu paradisiaque.

Il se leva brusquement du fauteuil profond où il se tenait assis. Le cuir grinça. Il posa sa tasse vide sur la table, à côté de Kévin. D’un petit geste de travers, il la fit tomber sur le parquet, la tasse éclata en morceaux. Kévin se pencha pour ramasser les éclats, alors Hector Dumenclin en profita pour courir vers la porte, bousculant Clara au passage. Leste, Kévin se releva aussitôt, rattrapa sans peine son Directeur et le saisit par le col.

— Enfin, comment osez-vous ? Lâchez-moi immédiatement Kévin, où je vous vire sur le champ !

Kévin fit un tour de poignet, son chef sentit son col de chemise se resserrer douloureusement autour de son cou. Maintenant vous allez la fermer et vous tenir tranquille, Hector. Fini la plaisanterie. A partir de maintenant, nous ne vous demandons plus votre avis. Compris ?

— Hector, je ne vous connaissais pas d’aussi brutales manières pour prendre congé, se plaignit Clara en massant son bras, à peine meurtri, non sans une pointe d’ironie. Comédienne, aussi.

Hector Dumenclin acquiesça dans une grimace. Il crut voir l’éclair fugace d’un poignard lapon - un puukko finlandais - disparaître dans la poche intérieure de la veste de Kévin. Personne ne plaisantait. Kévin relâcha aussitôt sa prise, il détestait la violence mais il était sûr de sa force. Son Président Directeur Général prit l’air boudeur d’un enfant à qui l’on refuse une friandise. Il ne comprenait toujours pas grand chose.

Toutefois, cette empoignade musclée l’assura d’un fait : depuis quelques minutes, il n’était plus le patron. Il n’était plus le client-roi de Clara non plus. Les rôles avaient changé, tout était chamboulé. Hector Dumenclin semblait perdre la maîtrise de son existence, il n’avait plus d’emprise sur celle des autres non plus.

Ce fait troublant était une donnée inédite de sa vie d’adulte responsable et jusqu’ici respecté.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter