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Quand l’homme sage reste sage - Les peuples racines, une philosophie en phase avec la Nature 

vendredi 27 mars 2009, par Michel Tarrier

« Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun besoin ; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît […]. Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus ? Ils vivent selon la nature.  »
Amerigo Vespucchi (Mundus novus)

« Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »
Michel de Montaigne

« Si j’étais chef de quelqu’un des peuples de la Nigritie, je déclare que je ferais élever sur la frontière du pays une potence où je ferais pendre sans rémission le premier Européen qui oserait y pénétrer. »
Jean-Jacques Rousseau

« Les personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques ont le droit de jouir de leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’utiliser leur propre langue, en privé et en public, librement et sans ingérence ni discrimination quelconque. »
Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 47/135 du 18 décembre 1992 (Article 2)

« Le post-colonial a partout été du bricolage d’apparence politique, des minorités favorisant le néocolonialisme, le népotisme et le clientélisme. »
Jean Malaurie

« Voir ce qui ne paraît aux yeux de personne, c’est la seconde vue. »
Jules Michelet

« Ils sont comme des muets ; ils souffrent, s’éteignent en silence et nous n’entendons rien.  »
Jules Michelet

« La vie avant la domestication / l’agriculture était en fait largement une vie de plaisir, de contact avec la nature, de sagesse des sens, d’égalité sexuelle, et de bonne santé. »
John Zerzan

« Les caractères exceptionnels de cette pensée que nous appelons sauvage tiennent surtout à l’ampleur des fins qu’elle s’assigne. Elle prétend être simultanément analytique et synthétique, aller jusqu’à son extrême dans l’une ou l’autre direction, tout en étant capable d’exercer une médiation entre ces deux pôles... La pensée sauvage se définit à la fois par une dévorante ambition symbolique, par une attention scrupuleuse entièrement tournée vers le concret, enfin par la conviction implicite que ces deux attitudes n’en font qu’une. »
Claude Lévi Strauss

« Cinq cents types de fleurs, filles d’autant de types de pommes de terre poussent... sur la terre ; mêlées de nuit et d’or, d’argent et de jour.
Les cent fleurs des quinoas que j’ai semés au sommet, étincellent de tous leurs feux sous le soleil ; les ailes noires du condor et d’oiseaux microscopiques sont maintenant en fleurs.
Il est midi. Je suis près des montagnes, nos maîtresses, les sommets des ancêtres ; leur neige tantôt saupoudrée de jaune, tantôt tachetée de rouge, brille sous le soleil...
... regardez mon visage, mes veines ; les vents qui soufflent de nous à vous, nous les respirons tous ; la terre sur laquelle vous comptez vos livres, vos machines, vos fleurs, descend de la mienne, meilleure, débarrassée de sa colère, une terre apprivoisée...
Nous ignorons ce qu’il adviendra. Laissons la mort avancer vers nous, laissons venir ces inconnus.
Nous les attendrons ; nous sommes fils du père de toutes les montagnes, nos maîtresses ; fils du père de toutes les rivières.
 »
José María Arguedas (extrait de « A call to some doctors », 1966, traduit du quechua)

« J’ai vénéré la Terre pour comprendre le ciel
et grâce aux vers luisants, j’ai connu les étoiles.
 »
Louis Aldebert

« L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même. »
Élisée Reclus

« Tout est dans la nature et toute la nature est en moi. On est ensemble ! »
Parole de Pygmée

Les peuples natifs vivent en communion avec leur milieu, toutes leurs cellules sont en phase avec la Terre nourricière, éthologie qui n’a pas trop eu l’heur de nous plaire au fil des siècles passés, jusqu’à ce qu’on en fonde tant d’admiration que de contrition ces derniers temps. « Le fils souhaite oublier, le petit-fils veut s’en souvenir », insinuait Arthur Schlesinger. En dépit de ce vent en poupe pour la mode ethnique, nonobstant les recommandations de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’Organisation des États Américains (OEA), des Organisations Indigènes d’Amazonie (COICA), de l’Union Mondiale pour la Nature (UICN) et de tant d’autres institutions mondiales, nationales et régionales, la situation de ces peuples reste des plus alarmantes : vingt cinq langues disparaissent chaque année dans le monde. Certains diront : moins de langues, moins de guerres, les langues et les religions étant, à travers le nationalisme, les principales raisons pour lesquelles on se bat.

La philosophie plurimillénaire de la naturalité des peuples premiers aurait dû, dès l’inévitable contact, participer à l’enrichissement de la pensée universelle. Nous avons, une fois de plus, raté le coche. Ce don rare, cette intelligence de l’instinct que se partagent les peuples « sauvages », ne se rencontre plus chez l’insolent Homo sapiens modernicus, même pas chez son prétendu naturaliste de terrain dont la dégaine et le comportement sont le plus souvent ceux d’un pathétique Nemrod de la science à la petite semaine. La noosphère - lourdement polluée par Washington, Londres, Paris, Moscou, Tokyo qui n’aspirent qu’à Broadway - se ressent fatalement de cette amputation, et l’air écologiquement irrespirable ne l’est que par le déshéritement colonial, puis technocratique, orchestré à l’égard de cette sève de l’humanité qu’était la pensée panthéiste. Loin de l’écrasant dogme abrahamique, le panthéisme n’affirme rien, il est à l’écoute, il est sublime liberté. Les peuples racines (expression que nous devons à l’école des anthropologues russes) sont en communication viscérale avec tout ce qui sous-tend le cosmos, et de ce dialogue symbiotique émane une fécondité cachée. Ce pouvoir de la périphérie correspond à la vision juste, mais nous l’avons troqué pour un pouvoir centralisateur erronément élu. Les communautés indigènes de la forêt, de la steppe ou de la montagne communiquent de façon sensorielle avec leur milieu. Nous avons ridiculisé et révoqué cette connivence homme-Nature, et remplacée par un divorce, un hiatus, une fracture. Il est vrai qu’un peu tard et fatalement blessés, nous cherchons maintenant à combler le fossé. L’esprit de l’homme naturel est charpenté par une psychologie cognitive de son environnement, dont il pressent le moindre souffle, le moindre son, la senteur la plus ténue. C’est le trésor des humbles de la poétique maeterlinckienne, où le philosophe-entomologiste parle des hommes qui ne savent pas encore que leur futur idéal sera une mangeoire, ou Les rêveries d’un promeneur solitaire de Rousseau, ou encore Les essais de Goethe sur la métamorphose des plantes et des insectes, et plus récemment Le traité du rebelle ou Le recours aux forêts de l’anarque Ernst Jünger. Quel univers contrasté avec le boutiquier nord-américain globèse, vacancier pédophile à ses heures, et qu’il faut soulever à la grue lorsque montent les eaux d’un tsunami imprévu, mais que le natif, en deuil de sa mangrove et de ses coraux, aurait senti venir. Comme l’ont senti les animaux sauvages.

Les peuples premiers pouvaient tenir le rôle de sentinelles de notre planète. Encore aurait-il fallu les respecter, ne pas diaboliser leurs mœurs, ne pas dépecer leurs communautés. Mais notre civilisation monothéiste et monoplace ne respecte rien d’autre que le chemin qui nous mène d’un Christ millésimé jusqu’au temple du supermarché d’aujourd’hui. Tout doit combler notre ego, hic et nunc.

Ce monde occidental a heurté, bafoué, liquidé les peuples natifs, les a plongés dans le plus total coma culturel. Il fallait et il faut encore qu’à tout prix ils déblaient le terrain. Rien de plus facile quand la raison est celle du plus fort : que peut bien faire celui qui n’a pas inventé la poudre devant le fusil envahisseur ? Le vrai choc de civilisation, c’est bien celui-là, et non l’autre allégué entre islam et chrétienté, lesquels frères ennemis – finalement – s’entendent comme larrons en foire. Et ce ne sont pas quelques 11 septembre qui risquent de faire brûler trop longtemps le torchon impérialiste commun. Aujourd’hui, capitalistes fourbes et bien-pensants, sur la repentance quand ça nous arrange, nous faisons notre mea culpa d’avoir biffé les peuples indigènes, ne serait-ce qu’au détriment des catalogues de nos agences de voyages qui voudraient bien tirer les derniers marrons sauvages du feu de notre jeu de massacre. Les religions du Livre n’en continuent pas moins à prescrire, à se faire admettre jusqu’à l’inadmissible, là où on ne les attend pas. L’inquisition est une manière de défaire. Étranges symboles œcuméniques que ceux qui avancent autoritaires, militaires, sanguinaires, contre les païens, les idolâtres, les sauvages, les barbares et autres « nègres ». Si le progrès, c’est seulement passer de l’étui pénien au string, du curare au nucléaire, de l’igloo au building, du morse cru à la vache folle, de la tradition orale à la lobotomie cathodique, alors nous avons perdu notre temps. Mieux que de parquer et de rééduquer les peuples indigènes, il eût fallu entrer en concertation, pratiquer l’altérité, comprendre un tant soit peu leurs rituels pour savoir qui nous étions, nous aussi. Quelle arrogance, quel manque d’empathie, tout de même !

«  Dans l’histoire de la race humaine, aucune campagne de génocide spirituel, culturel et intellectuel ne peut se comparer à celle qui fut lancée à l’encontre des gardiens des Mystères et de leurs adeptes. L’objectif meurtrier de détruire la Gnose ne se confina pas aux lieux sacrés de l’Egypte et du Levant dans lesquels les Mystères étaient préservés par les Gnostokoi, les experts en matières divines, incluant la divinité de la Terre elle-même. Cette destruction s’étendit à l’Europe, où la sagesse Païenne prospérait en une coalition colorée de races et de cultures, et puis vers les Amériques où des centaines de cultures tribales furent décimées du Canada au Pérou. Elle s’étend de nos jours par l’entremise d’une évangélisation agressive en Asie, particulièrement en Corée et en Chine, et en Afrique, où elle s’allie souvent avec des mouvements militaristes et elle maintient encore dans un carcan meurtrier les peuples de l’Amérique Latine et de la Méso-Amérique. Tout autour du globe, le message catholique de rédemption se répand avec une injonction à se reproduire et à essaimer sur toute la planète. Les Gnostiques rejetaient la procréation biologique inconsciente chez l’espèce humaine et la considéraient comme une marque d’esclavage au Démiurge, le faux dieu créateur qui commande à ses fidèles de se multiplier et de dominer la Terre. » (John Lash, Pas en Son Image, traduction de Dominique Guillet)

Comme l’Armée du Salut possède ses pauvres, nous avons maintenant nos Indiens, nos Esquimaux, nos Pygmées, nouveaux bons sauvages, nouvelle bonne conscience. Ce soudain regard magnanime ne mange pas de pain, ne nous prive pas de nos postures, de notre prépondérance, de nos haras. Une coiffe indienne en vitrine d’une boutique déco du beau quartier (invendable dans les cités !) n’est pas une coiffe indienne, c’est un témoignage de civilisation hors de prix… Le néo-colon et le safariste de Tarascon exposent leurs trophées aux cimaises de leur salon, nostalgie de fortes sensations, on en parle entre amis, comme on regarde Thalassa. Faut pas rêver ! L’ethnologie faite de pillage justifié reste un bon filon. À l’heure ingrate des charters pour émigrés, il serait temps de restituer le pactole que nous avons indûment engrangé dans nos ethnothèques-musées. Je me suis toujours demandé pourquoi, entre Neuilly et Passy, on ne ferait pas un musée à la gloire de la misère de proximité, avec des objets témoignages d’un certain quart monde, des objets familiers aux Indigènes de la République ou aux Enfants de Don Quichotte, mettant en vitrine des totems tendance et autres fétiches crasseux, raflés dans les cités. Cette contre-culture ou anticulture exciterait la curiosité de pas mal de rombières.

Aiguillonné par l’interprétation mécaniste d’un monde qu’il explique mais qu’il ne comprend plus, l’occidental a propagé le paradigme d’une technoscience permettant un développement extrême de manipulation du Milieu et du Vivant, et une pression destructive considérable. Nous ne voyons plus dans la Nature qu’un objet mis à la disposition, non seulement de nos besoins élémentaires, mais aussi de notre propension au pouvoir, à la croissance démographique et économique, à la capitalisation, prédations techniques et non plus naturelles à travers l’organisation de marchés agro-alimentaires, industriels, miniers, immobiliers, touristiques... Au fait d’un savoir prétentieux et très relatif, nous avons tout domestiqué, y compris dans les océans, le sous-sol et l’espace. Nous nous sommes débarrassés des craintes inhérentes aux forces naturelles, nous avons révoqué les esprits immanents, nous les avons troqués par un dieu qui ne nous demande plus de prier pour nous excuser auprès de l’animal que l’on va manger, mais de prier pour remercier celui qui l’a créé et mis à notre disposition. Du dieu des agneaux, nous sommes passés à l’agneau d’un dieu. La Nature n’est plus créatrice, elle est création. Made in heaven. La Nature n’est plus intelligente, elle est inerte. La Nature n’est plus un tout, elle est saucissonnée. Nous avons tout débité en tranches, nous sommes les champions de la dichotomie : le naturel et le culturel, le corps et l’esprit, la gauche et la droite, le bien et le mal, le chaud et le froid, le cru et le cuit, la prose et la poésie, le beau et le laid, le jeune et le vieux, l’utile et le nuisible, le pauvre et le riche, l’honnête et le malhonnête, le civilisé et le sauvage, la ville et la campagne, le passé et l’avenir, le jour et la nuit, ... Quel métropolitain se souvient même de l’aurore et du crépuscule ? Nous sommes victimes d’une obsession du rapport dual et de la scission. Pour rationaliser, nous avons compartimenté et nous ne savons plus ce qu’est un tout indissociable. On en arrive à douter que l’ensemble puisse former un tout ! Maniaco-dépressifs, comment alors être à l’écoute des interdépendances où tout s’imbrique, tout s’intrique, tout se compénètre, tout s’immisce, tout s’entrelace, tout se confond, tout est subtil, inextricable et complexe ? Et dans cette décadence, toute promiscuité est vécue comme une psychose. Cette négligence de la nuance est fondatrice d’un regard dérivant, ambitieux et borné, engendrant le chaos et le scandale. Nous avons ainsi échangé des croyances naturelles et intrinsèques contre une croyance culturelle et contre-nature. C’est à cette machination que nous devons la destruction de la Nature, au prix des lois de marchés qui l’exploitent sans crier gare. Cette rupture entre les anciens et les modernes nous renvoie aux peuples dits primitifs, qu’il est désormais de bon ton de vénérer, d’autant plus que notre progrès nous a promus dans la plus totale incapacité, non seulement de s’en inspirer, mais aussi d’en envisager, ne serait-ce qu’un instant, l’ombre d’une coexistence. La finitude de notre système n’a d’égal que la compassion que nous pouvons porter aux communautés autochtones encore épargnées. Plutôt que de les combattre et de les piller, nous aurions gagné en faisant œuvre de pacte et en nous inspirant, un tant soit peu, de leurs enseignements. C’est parce que nous n’avons fait que des affaires, encore des affaires et rien d’autre que des affaires, que notre progrès n’est que technique et nullement éthique.

Le chasseur-collecteur est intègre. Le mot prière, dont nous avons affublé son rite incantatoire, correspond à une humble conversation vibratoire avec l’univers, le cosmos, les êtres vivants, l’eau, tout ce qui l’entoure de façon mêlée et indissociable, chaque sujet n’existant qu’au travers du respect de cette relation. Un peu comme l’environnement nous détruit par effet retour lorsqu’on le détruit, la Nature répond par de subtils messages à celui qui sait l’implorer et lui rendre grâce. Pour entretenir un légitime dialogue avec l’omniprésence des forces de la Nature, ils s’imposent des sacrifices, pratiquent l’offrande aux esprits, font des libations en l’honneur de leurs ancêtres.

Initiateurs de la gestion durable avant la lettre, les Aborigènes australiens, les Maori, les Kanaks, les Papous, les Punan, les Bushmen, les Pygmées, les Masaïs, les Touaregs, les Mongols, les Tibétains, les Amérindiens, les Lapons, les Inuits et tant d’autres peuples autochtones, se considèrent comme partie prenante d’une Nature dont ils ne sont pas maîtres et au sein de laquelle ils sont intrinsèquement impliqués. Pour l’homme naturel, toute forme de vie induit le plus total respect et la Terre est l’incontournable mère nourricière. On n’abuse de personne, encore moins de sa mère. C’est la générosité qui procure un statut social élevé, tandis que l’égoïsme expose à la honte. Telle est, succinctement résumée, la philosophie des peuples premiers, naturels, une éthique qui nous apparaît aujourd’hui et un peu tard comme admirable, irréprochable.

Selon l’OMS, les vertus médicales de plus de 20 000 espèces botaniques sont utilisées par ces tribus, et la majorité des plantes de base exploitées par la pharmacie du monde occidental avait été découverte antérieurement par les peuples autochtones. Il nous a fallu attendre le XXe siècle pour appréhender un minimum de notions écologiques, et le XXIe pour se rendre compte, publiquement, que les ressources n’étaient finalement pas intarissables. Ces peuples ont toujours été au fait de telles notions, notamment des interactions naturelles et de la gestion parcimonieuse qui doit présider à toute utilisation environnementale si l’on veut préserver l’avenir. Ce que les écologistes tentent aujourd’hui de prêcher et d’imposer à juste titre aux politiques, cela fait des millénaires que les ethnies de la forêt, de la montagne, de la haute plaine ou de la steppe le savent et le pratiquent au quotidien. Vous avez dit primitif ? Mais notre démographie irraisonnée, dopée par nos religions monopolistes et fondée sur le tout patriotique (Terriens-soldats, Terriens-ouvriers, Terriens-consommateurs, etc.) pouvait-elle se contenter des seules façons culturales d’un jardinage forestier, aurait-elle été capable de laisser souffler parfois la Nature ?

Le manioc, nourriture emblématique des contrées rurales, importé et cultivé en Afrique au XIXe siècle, a d’abord été cultivé par des Indiens brésiliens. Nous devons aussi aux cultures amérindiennes l’invention du maïs, dont la plante ancêtre est la téosinte, et dont la mutation effectuée dans le Sud-Ouest du Mexique, puis domestiquée de part et d’autre des contrées équatoriales de l’Amérique, date de plusieurs millénaires. Même chose pour la pomme de terre cultivée par les Quechuas sous le nom de papa plus de 1 000 ans av. J.-C.

L’assertion prétendant que les semences de l’agriculture autochtone, comme celles du blé ou du maïs, ne tendent pas à un rendement aussi performant que les variétés importées, est loin d’être une vérité, ou du moins comporte une foule d’exceptions bien connues des agronomes libres des lobbies. En Éthiopie centrale, dans la région de Shewa, le rendement sur sept ans de champs céréaliers utilisant des sélections choisies parmi les populations naturelles de blé dur est supérieur de 25 % à celui de variétés hybrides dites à haut rendement. Mais le blé et l’orge utilisés par 4 000 agriculteurs des hautes terres éthiopiennes sont désormais gravement menacés par les variétés importées. La régression des ressources phytogénétiques traditionnelles touche une douzaine de pays africains. Et pourtant, une souche d’orge éthiopienne a sauvé une récolte atteinte de jaunisse en Amérique du Nord. Un programme mirobolant d’aide à la culture du maïs hybride (comprenant engrais et pesticides subventionnés), développé au Ghana, a donné de bons résultats durant les premières années, mais a engendré un épuisement du sol par une trop forte salinisation. En outre, le coût des fertilisants a augmenté dès que les subventions ont pris fin ! Entre-temps, les cultivateurs locaux avaient abandonné leurs semences naturelles… Au Lesotho, les paysans sont consternés par la disparition de leurs ressources génétiques, y compris celle de l’aloès spiralé, fleur nationale. La planche de salut a été fournie par un agriculteur de 83 ans, initiateur d’une culture intercalaire intensive sur des parcelles d’une acre et pouvant produire jusqu’à sept récoltes. (Clyde Sanger, in les archives du CRDI).

« Selon nos traditions, et ce, depuis l’aube de la création, chaque matin, lorsque le soleil se lève, notre Créateur nous assigne à tous quatre tâches à accomplir durant la journée. Premièrement, nous devons apprendre au moins une chose importante aujourd’hui. Deuxièmement, nous devons enseigner au moins une chose importante à quelqu’un d’autre. Troisièmement, nous devons accomplir un bienfait vis-à-vis de quelqu’un, sans que cette personne se doute de quoi que soit. Et, quatrièmement, nous devons traiter chaque entité vivante avec respect. Ainsi, tous ces bienfaits se répandent sur la Terre. »
Indien de la tribu Cree

« Souviens-toi que la maîtrise n’est pas tout ; souviens-toi de la partie la plus profonde de toi-même, encore indomptée, dont la force est celle de l’instinct ; rappelle-toi que tu saignes, que tu sens et ressens, que tu peux avoir dans ton corps une grâce animale, qu’il y a une élégance, un contrôle, qui ne sont pas imposés par l’esprit sur la nature, mais qui émanent du corps, qui émanent du fait d’être dans le monde, à chaque moment, comme si nous y étions chez nous, comme un animal est chez lui là où il est. »
Starhawk

Les sociétés aborigènes sont à tel point imprégnées de leur milieu que leur éthique homéotélique leur fait ressentir une forte empathie pour la Terre quand elle est malmenée. À l’instar de tous les Amérindiens, les Wintus du Nord de la Californie ont non seulement souffert des massacres, de la persécution et de la déportation en réserves, mais tout autant du spectacle de l’exploitation éhontée de leurs terres traditionnelles par les non-natifs, arrivés avec leurs gros souliers : extractions minières causant un saccage incommensurable au paysage, pollution des cours d’eau par les prospecteurs d’or, déboisements à blanc-étoc ne laissant que d’immenses cicatrices scalpées et désolées, constructions ravageuses de voies ferrées, de routes, de barrages colossaux, aménagements de ranchs pour l’élevage à grande échelle. Pour un peuple des montagnes qui se suffisait de la pêche au saumon, de la chasse au cerf et de la récolte des glands, une telle gesticulation capitaliste correspondait à un viol environnemental. Quand les Indiens de plaine voyaient les Blancs retourner et fourrager le sol, le labourer en profondeur, massacrer les boisements, miner et exploiter les écosystèmes dans un objectif de rente, tuer un bison pour n’en manger que la langue, cela les choquait profondément. Force est maintenant de reconnaître que leur vision parcimonieuse était la bonne.

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