Voici ce que réclamait Renaud Van Ruymbeke en 2009, lui qui voulait réformer le système afin de lutter contre ce que le discours sécuritaire s’est plu, depuis, à nommer ’délinquance financière’ : « nous, on est dans le camboui, on voit exactement où ça ne passe pas. Lever du secret bancaire dans toute enquête ; c’est-à-dire l’information donnée instantanément dès qu’un juge va demander – là je suis en plein rêve – à un juge de Singapour, ou des îles Caïman de lui donner des relevés bancaires. Aucun obstacle, aucun recours, aucune contestation, on fait confiance. » Ensuite la centralisation des comptes : « vous avez un compte dans une banque suisse, il n’y a que la banque suisse qui le sait ; s’il y avait une centralisation des comptes on saurait tout de suite qui a des comptes partout. » Ce sont les « deux mesures simples » qu’il préconise avec la suppression des recours en Suisse, au Luxembourg et au Liechtenstein.
L’imbrication profonde entre pouvoirs politique et financier, le dénigrement de la justice à travers les attaques nominatives de juges depuis des années, les tentatives de mise sous tutelle politique de la justice, voire son instrumentalisation, dans un système dominé par des intérêts financiers gigantesques — cela ne peut que miner la démocratie. R. Van Ruymbeke rappelait à cette occasion la nécessaire implication des citoyens dans les débats sur la justice et n’hésitait pas à évoquer le spectre bien réel de la dictature...
La criminalité financière, lorsqu’elle touche la sphère publique, ne se limite pas aux financements illicites de campagnes électorales ni à la corruption d’élus, elle est une hydre dont il faut connaître les multiples têtes pour lutter efficacement contre elle :
« Mondialisation néolibérale, Europe sécuritaire, démocraties autoritaires : autant de théâtres dans lesquels l’économie du crime prospère. Car la société libérale sécuritaire impose une loi sévère pour les faibles et douce pour les puissants. Les Etats prétendent lutter contre le blanchiment, mais tolèrent à leur portes des paradis fiscaux, citadelles d’impunité du crime économique. Ils prétendent viser la « tolérance zéro » en matière d’infractions, mais ne se préoccupent guère de la délinquance en col blanc. En fait, tout se passe comme si un certain capitalisme avait besoin de la criminalité économique, comme s’il avait besoin de la criminalisation des pauvres et du mouvement social pour maximiser son profit.
La criminalité économique est exemplaire d’une résistible dérive de la sphère financière. Et quand les règles du droit sont instrumentalisées et neutralisées pour consolider les rapports de force fondées sur la toute puissance de l’argent, le combat juridique devient essentiel. Comme l’écrivait La Boétie, « tout pouvoir ne vit que de ceux qui s’y résignent ». On ne saurait aujourd’hui se résigner plus longtemps à ce que les droits du marché l’emportent sur les droits de l’homme, à ce que la justice ne soit que la servante de l’ordre économique établi.
Pour remettre en question les fondements de cet ordre, il est bon d’identifier les ressorts criminels du néolibéralisme : quels sont bénéficiaires des paradis fiscaux, ceux qui tirent profit de la faillite de très grandes sociétés, ou encore ceux qui savent jouer des mécanismes complexes des chambres de compensation financière ? Il est utile de dévoiler carences et hypocrisies nationales, qui autorisent des entraves à l’action de la police judiciaire, qui s’accommodent d’une justice impuissante et de procédures fiscales opaques. Il est enfin pertinent de connaître, sur tous ces sujets, quelques propositions élaborées...
Aujourd’hui, le procureur de Milan doit appeler à « résister, résister, résister », pour appliquer la loi. Contraint de faire de l’application égale de la loi pour tous un acte de résistance, il met en évidence la proximité de la criminalité financière et du néolibéralisme autoritaire. Il fait aussi apparaître l’absolue nécessité d’une lutte citoyenne sur le front du droit et de la justice. Dans cette perspective, qui ne concerne pas seulement l’Italie, mais l’Europe toute entière, ATTAC et le Syndicat de la magistrature apportent leur modeste contribution à la réappropriation par tous les citoyens de ces enjeux majeurs. » (in Syndicat de la magistrature et Attac, En finir avec la criminalité économique et financière, Editions Mille et Une Nuits, 2002)
Plus récemment, et compte tenu des dernières années de collusion manifeste entre les pouvoirs politique et financiers, Eric Alt [1] et Irène Luc [2] ont attiré l’attention de nos concitoyens sur cette gangrène :
« La corruption a des conséquences très concrètes sur la vie quotidienne. Elle permet l’accaparement de richesses au détriment du plus grand nombre. Elle détruit la confiance nécessaire à la vie démocratique. Elle peut même produire des effets mortifères : c’est le cas lorsque, par exemple, des laboratoires trafiquent de leur influence pour obtenir la mise sur le marché de médicaments nocifs. Ce n’est pourtant pas une fatalité. La corruption dépend de la qualité des lois et de celle des hommes qui les appliquent ».
Selon eux « l’idéal d’une République irréprochable s’est éloigné » et ils constatent les « retards de la France en ce domaine au regard de la situation d’autres grands pays... » (in L’Esprit de corruption, Editions du Bord de l’eau, 2012).
En réponse à ces constats, et pour que la réflexion rejoigne l’action, on pourra lire l’article de Politis sur l’indépendance du parquet, ainsi que les propositions d’un Pacte pour les droits et la citoyenneté.