Il me semble aussi que ces mots, qui sonnent comme un appel, évoquent également un mouvement général, creusant la culture occidentale en profondeur. Si l´on regarde le parcours de quelques grands auteurs depuis environ deux siècles, qu´ils soient poètes, romanciers ou philosophes, on se rend compte que tous ont tendu vers un espace plus vaste, plus ouvert. Ici je pense à Novalis, parti arpenter en géologue les terres de Saxe, et qui rêvait d´une perception globale de la réalité terrestre, à Humboldt, voyageant plusieurs années en Amérique latine, fasciné par la grandeur des paysages, à Victor Segalen transformé par sa découverte de l´espace chinois, et à bien d´autres encore.
Sur le plan conceptuel, on remarquera que la notion d´espace et d´ouverture de la conscience à un environnement saisi poétiquement – mais sans effusion lyrique – a pris de l´importance au vingtième siècle. Il suffit de penser à la « poétique de l´espace » de Gaston Bachelard, à la géopoétique développée par Kenneth White, ou bien à l´"esthétique de la nature" du philosophe allemand Gernot Böhme. .
Dans le contexte de la littérature française – tout de même assez rétive à quitter ses parapets parisiens -, on remarquera l´importance d´œuvres comme celles de Roger Caillois, Julien Gracq ou Jean-Marie Le Clézio, qui redonnent une vigueur certaine à l´écriture romanesque et poétique en reliant la conscience humaine à ce que Francis Ponge appelle les « choses les plus simples », et qui participent d´un vaste monde.
Dans les pages de ce site, il sera question de découvertes, d´expériences et de pérégrinations. L´espace cherché n´est pas forcément lointain, il peut commencer à quelques pas d´ici. Il s´agit de sortir d´un cadre culturel et sensoriel limité pour faire l´expérience d´un monde ouvert. Au bout, il y a peut-être cette « culture de l´espace » qu´Antonin Artaud appelait de ses vœux.
Laurent Margantin,
Directeur de collection