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Marguerite Duras, voyante et visionnaire 

mercredi 18 août 2010, par Elisabeth Poulet (Date de rédaction antérieure : 22 octobre 2009).

« La scène du film que je préfère est celle-là. La petite fille est punie, toujours sans qu’on le veuille d’ailleurs, sans que personne l’ait voulu, puisqu’elle est tout à fait solitaire. Inapprivoisable. Mais là, elle ne peut pas s’empêcher d’aller voir ce qui va se passer sur l’étang. Elle a vu Jeanne et la petite fille, la grande sœur, passer avec des rames. La voilà, c’est Nathalie toute seule, qui longe le muret de l’étang. A moins que je ne me trompe. Non, c’est la mère, Isabelle Granger. Et ça, c’est le mur qui est parallèle à la route. Voilà : l’image se noie dans les détritus, les plantes mortes qui recouvrent l’étang. Elles faucardent et là, tout d’un coup, le film se conjugue : il y a ces deux personnes qui faucardent et il y avait Nathalie qui les regardait et – ce n’est pas tout – derrière Nathalie, il y avait sa mère, qui regardait donc Nathalie en train de regarder Jeanne et sa grande soeur faucarder l’étang. La mère regarde Nathalie son enfant ; elle peut le faire, parce que Nathalie est distraite par le spectacle sur l’étang. Je pense que c’est le plan le plus profond, dans tous les sens du terme, du film. »

Marguerite DURAS, Entretiens avec Dominique NOGUEZ, A propos de Nathalie Granger, La Couleur des Mots, Editions Benoît Jacob, 2001.



Nathalie Granger

La vue est le premier des sens sollicités par Marguerite Duras en tant qu’auteure. Dans ses livres, mais également dans ses films, ses personnages sont présentés comme étant vus par d’autres ou eux-mêmes en train de voir. C’est dans l’excès que l’écriture de Marguerite Duras se situe. Dans l’excès du regard. Dans l’excès du voir.
Au cœur de la dialectique du visible et de l’invisible, le regard rend compte de l’impossibilité pour le sujet de voir ce qu’il voudrait voir. Il apparaît comme une trouée du visible, questionnant la représentation. Il est une écriture du regard chez Duras qui s’inscrit avant tout sur le corps de la mère : « C’est aussi à partir d’un manque à voir mon histoire, que j’ai écrit mon histoire. D’un manque à voir ma mère, que j’ai écrit l’histoire d’une mère ». [1]
Ce qui compte c’est l’entrecroisement des regards, le besoin d’être regardée regardant. Dans La douleur, la narratrice, à la fin de l’histoire, regarde Robert L., qui se trouve près de l’eau, sur la plage. Ils échangent des regards. La narratrice est vue voyant :

« Je l’ai regardé. Il a vu que je le regardais. Il clignait des yeux derrière ses lunettes et il me souriait, il remuait la tête par petits coups, comme on fait pour se moquer. Je savais qu’il savait, qu’il savait qu’à chaque heure de chaque jour, je le pensais : « Il n’est pas mort au camp de concentration. » [2].

Quand la narratrice se fait attribuer, par le regard de l’autre, cette pensée : « Il n’est pas mort au camp de concentration » [3], c’est en fait la seule manière pour elle d’en être certaine, de le voir, de le regarder. Et la meilleure façon de le garder encore, puisqu’ils ont divorcé, c’est de le regarder, lui, la regardant en train de penser à lui et de se dire : « Il n’est pas mort… » [4].
Ce besoin d’être regardé regardant, c’est ce que l’écrivain explique par un manque à voir. « Je vous avais dit qu’il fallait voir. Voir », [5] ne cesse de répéter Aurélia, dans Le Navire night. Aurélia est une héroïne du regard : elle se désigne à la fois comme happée par, et happant le regard ; elle se montre désireuse d’être vue, non pour se voir révélée par le regard d’autrui (comme dans la problématique sartrienne du regard), mais pour être « emportée dans le flux d’une vision troublée, et qui restaure illusoirement l’indivision » [6] :

« Je me tiens là avec vous dans la découverte de la plage. Je me suis éloignée de la glace. Je me regarde. Les yeux sont bleus, dit-on, les cheveux, noirs. Vous voyez ? bleus, les yeux, sous les cheveux noirs. Que je vous aime à me voir. Je suis belle tellement, à m’en être étrangère ». [7]

Aurélia voit les yeux de l’amour dans le moment où elle est vue d’eux les voyant. Cette continuelle visée du réel par le regard durassien explique que la position privilégiée des personnages soit celle du voyeur : Anne Desbaresdes, dans Moderato Cantabile, regarde, fascinée, le meurtrier couché sur sa victime dans une salle de café ; Monsieur Andesmas, lui, passe son après-midi à regarder la vallée, assis sur sa terrasse, et à surveiller jalousement les faits et gestes de sa fille, Valérie.

L’héroïne de Dix heures et demie du soir en été, Maria, regarde, sur un balcon, la forme unique de deux corps enlacés. Celle de Pierre, son mari, et celle de Claire, la jeune amie qui les accompagne. D’autres femmes crieraient ou s’enfuieraient, mais Maria reste là, comme happée par sa découverte, chair à chair avec elle. Maria fait le choix de subir l’intensité de ce qu’elle voit :

« Non, elle ne peut pas se passer de les voir. Elle les voit encore.(…). Une main de Pierre est partout sur ce corps d’autre femme. L’autre main la tient serrée contre lui. C’est chose faite pour toujours.
Il est dix heures et demie du soir. L’été » [8].

Elle continue de regarder, incapable de faire autre chose, absorbée tout entière par ce qu’elle est obligée de voir :

« Ils sont toujours là, enlacés et immobiles, sa main à lui arrêtée maintenant sur ses hanches à elle pour toujours, tandis qu’elle, elle, elle (on entend ici la suffocation de la souffrance de Maria), les mains retenant ses épaules, arrêtées dans son agrippement, sa bouche contre sa bouche, elle le dévore » [9].

Coller à la réalité, telle est l’attitude constante de Maria. Ainsi, il suffit que son regard se pose pour qu’elle se laisse envahir par la chose regardée. Maria est une femme capable de se tenir à distance d’elle-même. Non qu’elle ne souffre pas de la fin de son amour avec Pierre, mais elle ne permet pas à la douleur d’occuper toute la place et de lui cacher le reste du monde. Malgré la déchirure, elle s’obstine à maintenir une circulation dans l’ensemble. Séparée des amants par des murs, elle reste présente par l’imagination. Ce qu’elle veut ? Elle veut

« voir se faire les choses entre eux afin d’être éclairée à son tour d’une même lumière qu’eux et entrer dans cette communauté qu’elle leur lègue, en somme depuis le jour où, elle, elle l’inventa, à Vérone, une certaine nuit » [10].

Dans l’univers durassien, « le regard est (…) un moyen offert à l’homme pour se saisir du réel tout en lui restant extérieur » [11]. Dans les romans de Marguerite Duras, c’est le regard posé par un troisième personnage qui donne leur force d’existence aux actes accomplis par les deux autres et, dans un même temps, révèle celui qui observe à lui-même. Dans Dix heures et demie du soir en été, à l’heure indiquée par le titre, c’est un éclair dans un ciel chargé d’orage qui permet à Maria de voir le baiser qu’échangent son mari et son amie, et en même temps de découvrir la forme noire et surprenante de Rodrigo Paestra.
L’œil voit la totalité de la personne et se retrouve « chargé d’un poids de chair insoupçonnable » [12] : il est tout à la fois l’instrument, le lieu et la matière du contact : il fait corps. Ainsi, dans Agatha :

« ELLE : — Guidez-moi vers le corps blanc.
LUI : — Les yeux sont invisibles. Le corps est enfermé tout entier sous les paupières. Vous êtes ma sœur. Le corps est immobile. Le cœur se voit sous la peau ». [13]

Mais regarder l’autre, c’est parfois le soustraire au regard des autres, le ravir aux autres :

« La question ne s’est jamais posée ainsi pour moi. Je n’ai jamais imaginé parti de vous. Je ne peux pas, vous comprenez, je ne peux pas sans vos yeux enfermés dans ses frontières-ci. Sans votre corps ici. Sans cette chose… vous savez… cette légère perte de présence qui vous atteint lorsque d’autres vous regardent et que je suis là parmi eux… vous savez bien… cette ombre sur le sourire qui vous fait si désirable et dont je suis seul à savoir ce qu’elle est ». [14]

Le regard se veut un véritable corps à corps. Mais voir c’est aussi faire : ainsi l’œil est-il le lieu où converge toute l’énergie sexuelle (ce qui explique que, dans l’ensemble de l’œuvre durassienne où la passion amoureuse tient une telle place, on fasse si peu l’amour). Dans Agatha, il est quasiment impossible de savoir si l’inceste a vraiment eu lieu entre le frère et la sœur ; ce que l’on peut dire c’est que l’acte a lieu par le regard :

« ELLE : — Dites-moi aussi, je ne sais plus… dites-le-moi, je n’ai jamais su.
LUI (il cherche) : — Non… je ne crois pas… non, je n’ai pas de souvenir de… non… je n’ai de souvenir que de vous avoir vue, pas d’autre chose, d’aucune autre chose que de vous avoir… vue. Regardée. (temps)
LUI : — Regardée jusqu’à découvrir la phénoménale identité de votre perfection… que je suis votre frère et que nous nous aimons » [15].

Et ce que l’on sait, c’est qu’ils s’aimeront toute leur vie. Rien n’arrivera d’autre que cet amour-là, sans qu’ils se touchent, simplement à travers des regards :

« Oui, à travers toute une sorte de chimie physique extrêmement subtile, mais d’une violence incomparable puisqu’il ne se souvient même pas l’avoir pénétrée la première fois qu’il l’a vue. Il se souvient du regard sur le corps de sa sœur. C’est dire la force de ce regard, de cette découverte. D’une identité finalement. Ils sont du même sang. Ils sont les mêmes. Ils sont donc inséparables, puisque c’est comme un même corps, c’est ça que j’appelle le bonheur, et qui est recherché constamment et toujours à travers les tentatives de tous les amants » [16].

Il semble pourtant que le regard est incapable d’épuiser le désir et qu’il ne fait que l’exacerber. Il apparaît comme une tension inassouvie vers le réel désiré :

« Il se regardent sans parler. Ils se regardent jusqu’à ne plus pouvoir le faire. (…). Ils se regardent au-delà du possible. (…). Ils se regardent outre-mesure. Et elle, tout à coup, elle le détaille, elle regarde son corps, son visage. Elle se rapproche de lui encore et encore et quand elle est prête à le toucher, elle s’arrête ». [17]

Dans ces yeux et ces regards omniprésents dans le texte de Duras, ce sont tous les moments possibles de la passion, « tous les paliers du désir » [18], qui sont visibles, mais malgré cet obsédant « désir des yeux » [19], dans la visée de ce secret qui est « derrière (les) yeux » [20], reste le constat sans appel qu’il est impossible d’entrer « dans ce qui ne peut se voir » [21].
Les écrits de Duras disent aussi sans relâche les regards baignés de larmes qui ne distinguent plus rien, les yeux crevés de lumière, les non-regards ; ils disent aussi la douceur extrême de l’indivision, de la non-clôture des corps, de leur emmêlement possible par le regard.
Ainsi que le rappelle très justement Maurice Blanchot : « voir suppose la distance, la décision séparatrice, le pouvoir de n’être pas en contact et d’éviter dans le contact la confusion. Voir signifie que cette séparation est devenue cependant rencontre ». [22]

Il faut voir, il faut que le regard saisisse quelque chose, mais regarder quoi, demande l’homme atlantique. Apparemment, le problème n’est pas là. Il faut regarder, c’est tout, et si possible jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ne plus pouvoir le faire :

« Vous regarderez ce que vous voyez. Mais vous le regarderez absolument. Vous essaierez de regarder jusqu’à l’extinction de votre regard, jusqu’à son propre aveuglement et à travers celui-ci vous devrez essayer encore de regarder. Jusqu’à la fin » [23].

Les personnages durassiens cèdent tous au vertige de l’attraction qui comble les fissures du sujet en le faisant absorber dans le regard ou le spectacle de l’autre : « Lol, frappée d’immobilité, avait regardé s’avancer, comme lui, cette grâce abandonnée, ployante, d’oiseau mort ». [24] Lol est ravie, emportée dans la jouissance, parce que c’est son vide, qu’elle voit dans l’autre, qui lui est révélé. Et à ce moment, Lol ne souffre pas d’amour, elle ne souffre pas. Elle s’oublie : « Lol a assisté à cet amour... naissant. Elle a vu complètement la chose. Elle a assisté à la chose aussi complètement qu’il est possible. Jusqu’à se perdre de vue elle-même ». [25] C’est son regard, et uniquement son regard qui, à ce moment précis, la constitue, lui donne forme et identité :

« Lol le regardait, le regardait changer (...). Elle guettait l’événement, couvait son immensité, sa précision d’horlogerie. Si elle avait été l’agent même non seulement de sa venue mais de son succès, Lol n’aurait pas été plus fascinée. (...). Ils étaient partis sur la piste de danse. Lol les avait regardés, une femme dont le cœur est libre de tout engagement, très âgée, regarde ainsi ses enfants s’éloigner, elle parut les aimer. (...). Lol les suivit des yeux à travers les jardins. Quand elle ne les vit plus, elle tomba par terre, évanouie ». [26]

Ce dont Lol a souffert, ce n’est pas d’amour, c’est d’être séparée d’eux. Elle aurait consenti à une vie à trois, « à une sorte de vie parasitaire » [27]. Elle aurait voulu continuer à les voir, « dans l’oubli d’elle-même absolu. Elle aurait... voulu tout voir, tout. Jusqu’à l’accouplement sans doute ». [28]
Ainsi, à la vue de l’homme aimé complètement absorbé par une autre, ce n’était pas sous le coup de la souffrance que son être avait explosé, mais bien sous le coup d’une révélation dont l’ampleur n’avait point d’égale. Le mot « ravissement » montre bien à quel point elle est envahie, transportée, maintenue hors d’elle-même toute une nuit par une révélation qui suspend brutalement les réactions habituelles des sentiments.
Il faut comprendre qu’à l’origine du Ravissement se trouve cette volonté de faire advenir une scène que la simple vue n’est pas parvenue à saisir. Il n’est question pour Lol que de dessiner le cadre dans lequel pourrait se recomposer l’image qu’elle a perdue, et qui par conséquent la recomposerait elle-même, la réunirait avec elle-même, la ferait se rejoindre par-delà le bal. Tenter de voir le couple (Anne-Marie Stretter et Michaël Richardson, Tatiana Karl et Jacques Hold), c’est une manière de rassembler toutes les pièces du puzzle, de revenir sur la scission qui s’est opérée lors du bal. C’est là que réside l’obsession de Lol :

« — Que vouliez-vous ?
(…)

— Les voir.
(…)

— Que désiriez-vous ?
(…)

— Les voir ». [29]

Mais pour espérer les voir, il est nécessaire d’avoir recours à une mise en scène, et de préparer le lieu où ils apparaîtront :

« Elle veut, je le comprends clairement, être rencontrée par moi et vue par moi dans un certain espace qu’elle aménage en ce moment. Lequel ? Est-il peuplé des fantômes de T. Beach ? (…). Tout à l’heure aura lieu ma présentation à Lol, par Lol. (…) ». [30]

Plus tard, à S. Thala, Lol retrouve Tatiana Karl, son amie d’enfance. Tatiana rejoint son amant, Jacques Hold, dans une chambre d’hôtel et Lol est là, couchée dans le champ de seigle, le regard sur la fenêtre des amants. Elle ne voit rien, mais ce regard lui donne une identité : sa conscience d’être existe en dehors d’elle, en Tatiana.
Elle s’immobilise pour un temps indéterminé dans cet être à trois qu’elle a connu pendant le bal. Carole Depierre parle de « réminiscence hallucinatoire du bal » [31]. Cette scène, intimement liée à celle du bal, en diffère pourtant profondément. Elle n’est pas la reconstruction d’un lieu et d’un moment passés mais réels (le bal) et d’un événement (le ravissement). Elle apparaît plutôt comme un aménagement d’un événement réel (la station de Lol dans le champ de seigle) à la place d’une scène non réelle, imaginée par Lol, le geste de la dénudation d’Anne-Marie Stretter :

« Il l’aurait dévêtue de sa robe noire avec lenteur et le temps qu’il l’eût fait une grande étape du voyage aurait été franchie. (…).
Il n’est pas pensable pour Lol qu’elle soit absente de l’endroit où ce geste a eu lieu. Ce geste n’aurait pas eu lieu sans elle : elle est avec lui chair à chair, forme à forme, les yeux scellés à son cadavre. Elle est née pour le voir. D’autres sont nés pour mourir. Ce geste sans elle pour le voir, il meurt de soif, il s’effrite, il tombe, lol est en cendres » [32].

Couchée dans le champ de seigle, Lol retrouve une place analogue à celle qu’elle a jadis occupée en tant que spectatrice du bal, et surtout analogue à la place qu’elle aurait désirée occuper dans la scène imaginaire du glissement de la robe noire :

« Une place est à prendre, qu’elle n’a pas réussi à avoir à T. Beach, il y a dix ans. Où ? Elle ne vaut pas cette place d’opéra de T. Beach. Laquelle ? Il faudra bien se contenter de celle-ci pour arriver enfin à se frayer un passage, à avancer un peu plus vers cette rive lointaine où ils habitent, les autres » [33].

Le désir de Lol passe par le regard ; il prend la forme d’un spectacle. Son scénario emprunte des éléments à la scène du bal : le décor (fermé, vide, lumineux dans la nuit) ; les personnages : deux acteurs et une voyeuse. Tout ceci aboutit à un ravissement commun et pourtant dissocié : à l’extase du couple répond une extase bien plus abstraite mais bien plus forte du seul regard de Lol. Tout événement nouveau, pour Lol, s’inscrit dans une répétition. Lol ne regarde pas les amants, elle regarde la fenêtre : un périmètre qui borde un vide, aussi longtemps que le couple s’aime.
Pareille fascination, pareille absorption par un spectacle qui paralyse un corps qui ne garde de vivant que le regard, ressemblent fort à une dévoration. François Duyckaerts a souligné ce pouvoir de l’œil : « le regard est et reste tendu. Il cherche la proie sexuelle. Il la fixe pour la paralyser. A proprement parler le voyeurisme est un phénomène de transition. De la chasse alimentaire, les yeux passent à la chasse sexuelle ». [34]
Lol se croit coulée dans une identité de nature imprécise, indécise, qui pourrait se nommer de noms indéfiniment différents. Rien d’étonnant ici à ce que le délire la menace. A s’aventurer dans un inconnu dont aucune formulation ne permet la saisie, Lol se met en danger. D’ailleurs, elle cherche à être « remplacée » [35] dans « l’éviction souhaitée de sa propre personne » [36]. Et Jacques Hold participe à ce remplacement, substituant autant qu’il le peut Lol à Tatiana :

« Il cache le visage de Tatiana Karl sous les draps et ainsi il a son corps décapité sous la main, à son aise entière. Il le tourne, le redresse, le dispose comme il veut, écarte les membres ou les rassemble » [37].

Tatiana est privée de regard et réduite au silence : « Il faut de nouveau faire taire Tatiana sous le drap » [38]. Il s’agit d’un remplacement, d’un effacement de l’identité :

« — Ce n’est pas moi, n’est-ce pas, Tatiana sous le drap, la tête cachée ?
Je l’enlace, je dois lui faire mal, elle pousse un petit cri, je la lâche.

— C’est pour vous » [39].

Lol cherche à réaliser l’annulation complète de sa personne, cette annulation qu’elle n’a pas pu mener à son terme lors du bal de S. Thala. Lorsqu’elle a regardé son fiancé l’oublier avec Anne-Marie Stretter, elle a assisté à l’effacement de ce qui constituait sa personne. Ce que Lol connaît alors, c’est le dépouillement de soi. Dans l’amour, on lui avait juré qu’elle était l’unique, l’irremplaçable, et en quelques instants elle s’était trouvée remplacée. Un être nouveau déjà grandissait à sa place, un être qui ne pouvait plus dire « je » :

« Rien de Lola Valérie Stein n’excède ce ravissement qui la transporte au seuil de sa finitude, maintenue vacillante entre son annulation et sa divinité. Elle assiste à qui la remplace, celle à venir advient – l’autre en noir comme elle en blanc, son négatif achevé, une nuit encore au bout de la sienne » [40].

Elle était plus qu’à demie sortie d’elle-même quand les deux autres se sont éloignés. Aussi se « sent-elle comme un être en voie de formation dont le cordon ombilical aurait été coupé avant que sa naissance au jour soit achevée » [41]. Elle est en fait restée privée du spectacle qui l’aurait complètement effacée : voir Michael Richardson foudroyé par la volupté, incapable de se souvenir de l’existence de Lol V. Stein.
C’est en acceptant de se soumettre à la perspective de Lol, c’est-à-dire d’accomplir par amour pour elle une tâche voulue par Lol, que Jacques Hold a permis qu’existât, dans le temps de la jouissance où toute conscience s’abolit, l’anéantissement total et rêvé de Lol : « Cet instant d’oubli absolu de Lol, cet instant, cet éclair dilué, dans le temps uniforme de son guet, sans qu’elle ait le moindre espoir de le percevoir, Lol désirait qu’il fût vécu. Il le fut » [42].
Dans le champ de seigle, elle se livre au seul exercice qu’elle connaisse, le voyeurisme, « pour que se réactualise l’éviction totale de sa personne » [43].
De plus, Lol propage la perte d’identité, par contamination. Elle étend sa perte d’identité sur des lieux : « Sa présence fait la ville pure, méconnaissable » [44] ; « Elle raconte en fait le dépeuplement d’une demeure avec sa venue » [45] ; mais aussi sur des personnes.
Ainsi, le désir de Lol finit par entraîner Jacques Hold jusqu’à une complète identification, ce qui l’amène à une sorte de dédoublement, de détachement de lui-même, où, sans cesser d’employer le « je » en tant que narrateur, il se désigne à la troisième personne comme personnage : « Je me souviens : l’homme [46] vient tandis qu’elle s’occupe de sa chevelure, il se penche, mêle sa tête à la masse souple et abondante, embrasse, elle, continue à relever ses cheveux, elle le laisse faire, continue et lâche » [47].

Le voici dédoublé, dépersonnalisé :

« Je ne sais que faire. Je vais à la fenêtre, oui, elle dort. Elle vient là pour dormir. Dors. Je repars, je m’allonge encore. Je me caresse. Il parle à Lol V. Stein perdue pour toujours, il la console d’un malheur inexistant et qu’elle ignore. Il passe ainsi le temps. L’oubli vient. Il appelle Tatiana, lui demande de l’aider » [48].

Et, effrayé, Jacques Hold prend même conscience que « pour la première fois son nom prononcé ne nomme pas » [49]. Lol l’entraîne même à réaliser l’éviction de sa personne à elle et il le fait en possédant, par exemple, Tatiana :

« Tatiana est là, comme une autre, (…) celle d’hier et celle de demain, quelle qu’elle soit. Son corps chaud et bâillonné je m’y enfonce, heure creuse pour Lol, heure éblouissante de son oubli, je me greffe, je pompe le sang de Tatiana. Tatiana est là pour que j’y oublie Lol V. Stein. Sous moi, elle devient lentement exsangue » [50].

Par le seul regard de Lol, tout est déplacé. C’est Tatiana qui « enfouit le visage dans les draps » et « ne sait pas où se mettre elle non plus » [51].
Cet évidement des identités facilite le glissement des personnages. Pour expliquer la scène du bal, Lol déclare : « C’est un remplacement. (…). Je n’étais plus à ma place. Ils m’ont emmenée. Je me suis retrouvée sans eux. (…). J’ai parfois un peu peur que ça recommence. (…). Je ne comprends pas qui est à ma place » [52].
A posséder aussi fort l’intelligence de sa perte, Lol V. Stein se marque des blancs par où elle se manque. Le corps de la folie est métaphorique. En état de transport constant, tour à tour ravi par le dehors et le ravissant au-dedans, « il redistribue les lieux d’appropriation dans un circuit d’échange renouvelé » [53]. A partir de ce moment, Lol va ordonner : une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. D’appointement en substitution, elle se met à dessiner une topographie du nom qui rend compte de « son éclatement toujours en cours » [54].
Dans l’histoire de Lol, la notion de personne semble avoir disparu. Il n’est plus question de « personnes » mais de « places » qui peuvent pratiquement être occupées par n’importe qui. Ce passé qu’elle ne peut changer, elle va essayer de le corriger, en le faisant advenir à nouveau, mais d’une façon plus satisfaisante pour elle. Elle va donc reconstituer les gestes des amants et les revivre à travers ce qu’il faut appeler une double délégation : Tatiana remplace Anne-Marie Stretter, Jacques Hold joue le rôle de Michael Richardson. Alors, seulement, elle pourra tenter d’assouvir son désir de voir, et ne plus être privée d’une participation à laquelle elle prétend de tout son être avoir, jadis, eu droit.

Ce fantasme se trouve également formulé dans les œuvres du cycle d’India Song. Par exemple, dans India Song justement, le Vice-Consul dit à Anne-Marie Stretter : « Je vous aime ainsi, dans l’amour de Michael Richardson. » [55] Une séquence du film explicite très clairement cette façon d’aimer du Vice-Consul.

India Song

Anne-Marie Stretter, habillée d’un peignoir noir, s’est étendue sur le côté, à même le tapis du grand salon. Michael Richardson, en costume blanc, est étendu derrière elle. Appuyé sur un coude, il la regarde et lui caresse doucement les cheveux ; elle se retourne vers lui, et dans le mouvement, découvre un de ses seins. Un jeune homme en pantalon blanc, torse nu, arrive alors et les regarde. Il s’asseoit sur le sol, derrière eux et ne cessent de les regarder. Un personnage en regarde un autre qui en regarde un troisième et ensuite un quatrième personnage fait son appartition. Il est de dos : c’est le Vice-Consul. Il les regarde tous, debout, en pleurant.
L’altérité souffrante trouve le moyen de s’atténuer dans une série de configurations psychiques qui constituent autant d’allusions à la volonté de ne pas établir de différence entre intérieur et extérieur. Ainsi, d’un livre à l’autre, se dessinent des scènes, des moments d’absorption passive ou active :

« Les yeux du chat et les yeux de Riva se ressemblent et se regardent. Vidés. Presque impossible de soutenir le regard d’un chat. Riva le peut. Elle entre peu à peu dans le regard du chat. Il n’y a plus dans la cave qu’un seul regard, celui du chat-Riva ». [56]

La volonté d’incorporation partout lisible se montre davantage encore dans les schèmes de l’avalage, de l’oralité qui culminent dans Le ravissement de Lol V. Stein, lorsque ce qui sort de la bouche de Lol, parole ou vomissure, revêt exactement le même statut ; et qui surprend dans une étonnante description d’un baiser de cinéma, dans Un barrage contre le Pacifique :

« Leurs bouches s’approchent, avec la lenteur du cauchemar. Une fois qu’elles sont proches à se toucher, on les mutile de leurs corps. Alors, dans leurs têtes de décapités, on voit ce qu’on ne saurait voir, leurs lèvres les unes en face des autres s’entrouvrir, s’entrouvrir encore, leurs mâchoires se défaire comme dans la mort et dans un relâchement brusque et fatal des têtes, leurs lèvres se joindre comme des poulpes, s’écraser, essayer dans un délire d’affamés de manger, de se faire disparaître jusqu’à l’absorption réciproque et totale ». [57]

Bien entendu, nous ne pouvons, comme le souligne Danielle Bajomée, comprendre cette sauvagerie, « ce cannibalisme amoureux » [58], que sous la forme d’une aliénation, d’une dépendance absolue destinée à remplir le vide intérieur. Cette volonté extrême d’incorporation permet d’échapper à l’alternative d’être ou de ne pas être, puisqu’elle conduit au néant. On peut aussi y voir une volonté de réduction du réel.

Il faut des regards, une multiplicité de regards pour bien voir. Sans cela, il n’y a plus rien à voir. Seulement, les personnages durassiens confondent parfois vue et vision. Certains en restent irrémédiablement à la satisfaction immédiate, mais tautologique, de la vue. Ceux-là ne supporte pas l’ombre et vont toujours vers la lumière. Tel est l’homme des Yeux bleus cheveux noirs :

« Il va à elle, il déroule les draps, il la trouve chaude à l’intérieur, à dormir. Alors seulement il lui dit qu’il faut venir dans la lumière centrale de la chambre. Peut-être croit-elle que ce qu’il veut c’est que d’abord elle se trompe. (…). Il lui dit de nouveau qu’elle doit aller sous la lumière, que c’était dans le contrat. Elle reste interdite. Elle, elle croyait que c’était mieux pour lui de seulement la savoir là sans avoir à la voir. Il ne répond pas. Elle le fit, elle va sous la lumière.

Plusieurs fois de suite elle ira néanmoins dormir cotre le mur, enveloppée dans les draps. Et chaque fois il la ramènera dans la lumière centrale ». [59]

Des deux, c’est la jeune femme qui a raison. Sa résistance à la lumière, c’est la résistance de la vision sur la vue, de l’illusion sur le réel. La lumière tue l’image. Dans Le Camion, c’est d’ailleurs la peur d’une lumière qui est exprimée, la peur d’une lumière qui envahirait la chambre noire et donc détruirait le travail de la révélation :

« M.D. :
Je les vois enfermés dans la cabine, comme menacés par la lumière extérieure.
J’ai l’impression que vous et moi aussi, nous sommes comme menacés par cette même lumière dont ils ont peur : la crainte que d’un seul coup s’engouffre dans la cabine du camion, dans la chambre noire, un flot de lumière, voyez… ». [60]

Le miroir, lui, ne joue pas sur des contrastes lumineux, mais il opère une mise à distance et une séparation. Il est là comme pour sauvegarder une distance, une distance qui n’existe plus. Le reflet n’est pas une continuité rassurante, mais « un perpétuel surgissement d’éléments sans cesse différents » [61]. L’image est capable de se substituer au réel tout en lui donnant un sens qu’une saisie immédiate rendait impossible. Ainsi, dans le Ravissement :

« L’autre soir, c’était au crépuscule, mais bien après le moment où le soleil avait disparu. Il y a eu un instant de lumière plus forte, je ne sais pas pourquoi, une minute. Je ne voyais pas directement la mer. Je la voyais devant moi dans une glace sur un mur. J’ai éprouvé une très forte tentation d’y aller, d’aller voir. (…). Je ne suis pas allée sur la plage. L’image dans la glace était là ». [62]

La narratrice de La vie tranquille s’est, pour un temps indéterminé, retirée du monde. Cet éloignement, dicté par une irrépressible répugnance aux contacts humains la laisse seule, détournée volontaire de tous regards. Dans la glace de l’armoire, ouverte à un angle inhabituel, elle se considère avec stupeur :

« J’étais couchée lorsque je me suis aperçu couchée dans l’armoire à glace ; je me suis regardée. Le visage que je voyais souriait d’une façon à la fois engageante et timide. Dans ses yeux, deux flaques d’ombre dansaient et sa bouche était durement fermée. Je ne me suis pas reconnue ». [63]

La narratrice de La vie tranquille se voit dans la glace de l’armoire, se regarde, et ne se reconnaît pas. Elle se trouve comme transportée en enfance, à l’époque du premier stade du miroir [64], mais loin d’être rassurée par l’image qu’elle perçoit [65], celle-ci devient le lieu d’un questionnement et non point d’une « identification au sens plein que l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet quand il assume une image » [66].
Elle ne sait plus qui elle est, hésitant entre ce qu’elle voit et ce qu’elle sent, incapable de faire la distinction entre une image et la réalité. Aucun regard ne peut la constituer. Elle est seule avec son propre regard et elle ne sait pas se voir.

Mais le miroir, qui remplit plusieurs fonctions dans le monde durassien, permet aussi de faire en sorte que se rejoignent les regards des personnages qui y regardent, et ce même si le miroir n’est pas réel :

« Madeleine, une fois la robe fleurie passée, se tourne vers un miroir imaginaire et se regarde. Elle entre ainsi brusquement dans une zone de lumière violente reflétée dirait-on par un miroir. On ne voit pas ce miroir. Un projecteur en dirige le reflet sur le corps de Madeleine mais on ne verra jamais ce miroir. Dans la lumière, Madeleine se regarde. La Jeune Femme arrive, entre dans le reflet et regarde aussi le corps reflété de Madeleine dans la direction du miroir. Regards dans la même direction ». [67]

Il en va également ainsi de la jouissance d’Agatha qui passe implicitement par la vision de son reflet à elle dans un miroir de l’hôtel :

« J’étais dans un grand salon face au fleuve et j’ai entendu vos doigts faire cette musique que mes doigts, que moi, jamais ne sauraient faire. Je me voyais dans une glace en train d’écouter mon frère jouer pour moi seule au monde et je lui ai donné toute la musique à jamais et je me suis vue emportée dans le bonheur de lui ressembler tant qu’il en était de nos vies comme coulait ce fleuve ensemble, là, dans la glace, oui, c’était ça… et puis ensuite une brûlure du corps s’est montrée à moi ». [68]

Agatha

Pour échapper à l’aporie du voir, le regard durassien doit passer par une médiation. Celle-ci concrétise la « disjonction entre le regard et la chose regardée » [69] et tente en même temps de la dépasser : puisqu’il est impossible de voir l’autre en le regardant, le personnage durassien va essayer de le voir à travers quelque chose. La femme du Camion joue très exactement ce rôle pour Duras elle-même :

« Je suis tournée vers elle. Elle, non, elle est tournée vers l’extérieur.(…). Elle, tournée vers le dehors : Regarde. Moi, tournée vers elle. La regardant. Télescopées toutes les deux dans la direction de l’extérieur. C’est par elle que je vois. Par elle que je prends l’extérieur et que je l’engouffre en moi. (…). Elle m’ignore. Toujours tournée vers l’extérieur. Je déplace mon regard. Je regarde ce qu’elle regarde : ça s’éclaire de plus en plus. Elle, je ne la vois pas. (…). Mais ce qu’elle regardait m’éblouit : le film ». [70]

Cependant, paradoxalement, la meilleure façon de voir, chez Duras, c’est de le faire les yeux fermés. Lol, au Casino, essaie de voir, peut-être pour la première fois, la scène du bal : « Elle regarde par à-coups, voit mal, ferme les yeux pour mieux le faire ». [71] Quant à Agatha et son frère, ils restent les yeux fermés :

« LUI : — Agatha, je te vois.
ELLE : — Oui.
LUI ( les yeux fermés). — Je te vois. Tu es toute petite. D’abord. Et puis ensuite tu es grande ». [72]

Et puis, un peu plus loin : « De même elle répond, les yeux fermés », « Les yeux sont encore fermés sur les mots prononcés ». [73] Même chose dans Le Camion : « Elle ferme les yeux. Elle voit des choses derrière ses yeux ». [74] On ne voit vraiment qu’en fermant les yeux : chez Duras c’est donc à partir du manque qu’on donne tout à voir. Ce paradoxe fécond se résume dans l’entretien avec Michelle Porte :

« Quand je parle d’elle, quand je parle du couple dans le camion, je les vois, je suis un peu comme sous dictée, je les vois et c’est ça, je crois, que je communique… La phrase qui revient toujours : « Elle ferme les yeux, elle chante », c’est la vie intérieure. Quand on est enfermé dans la pièce, c’est à partir de cet enfermement dans la chambre noire qu’on voit le camion. C’est identique à ses yeux fermés. Elle, elle voit à partir de ses yeux fermés. L’intolérable du monde, elle le voit encore plus si elle ferme les yeux, et moi je vois le camion encore plus si je ne le vois pas ». [75]

Il faut renoncer à l’image pour mieux la retrouver dans la chambre hallucinatoire de l’imaginaire parce que c’est « à partir du manque (qu’) on donne tout à voir » [76].
En 1983, lors de ses entretiens avec Dominique Noguez qui aborde « cette chose essentielle, (…) cette espèce de don métaphorique, ou visionnaire » [77] chez elle, cette façon de voir la totalité dans une partie du monde, cette manière de toujours voir autre chose dans la réalité, Duras répond :

« M.D. De voir l’Amérique du Sud, New York, la France, l’argent, les milliards, dans le terrain vague d’Auchan. C’est ça ?
D.N. Oui.
M.D. Oui, je le vois…
D.N. D’établir des équivalences…
M.D. Je n’invente pas. Je le vois. Ce ne sont pas des équivalences.
Il est là, le milliard. Ce n’est pas parce que les grands profiteurs d’Auchan ne sont pas présents qu’on ne le voit pas. Il est là. Manifestement. Patent. Ce n’est pas un don, ça. C’est regarder. Regarder. Ou voir.
Je crois que ce que j’ai voulu faire dans Le Camion, en employant ce temps, le conditionnel passé – « ç’aurait été » - ce temps ludique, c’est voler au spectateur une certaine représentation par un texte, j’allais dire : impersonnel, j’ai dépeuplé le film de quelque chose. Et je le fais aussi avec India Song, avec les voix des comédiens. Je leur enlève la voix . » [78]

P.-S.

Crédit photographique pour "Nathalie Granger" : Blaqout, 2007

Notes

[1DURAS Marguerite, in Cahiers Renaud-Barrault, n°96, Paris, 1977, p. 24.

[2DURAS Marguerite, La douleur, Paris, Gallimard, Collection Folio, 1993, p. 85.

[3Idem.

[4Idem.

[5DURAS Marguerite, Le Navire night, Paris, Mercure de France, 1977, Folio, 1986 pour la présente édition, p. 51.

[6BAJOMEE Danielle, Duras ou la douleur, Paris, Littérature, 1989, p. 15.

[7DURAS Marguerite, Le Navire night, op. cit., p. 127.

[8DURAS Marguerite, Dix heures et demie du soir en été, Paris, Gallimard, 1960, Collection Folio, 1985, p. 43.

[9Ibid., pp. 43-44.

[10Ibid., p. 138.

[11ARMEL Aliette, Marguerite Duras et l’autobiographie, in Vérité, identité, mémoire, Paris, Le Castor Astral, 1990, p. 132.

[12RYKNER Arnaud, Le paradoxe du regard, in Lire Duras, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p. 93.

[13DURAS Marguerite, Agatha, Paris, Les Editions de Minuit, 1981, p. 52.

[14Ibid., p. 23.

[15Ibid., p. 56.

[16DURAS Marguerite, Interview du 11 avril 1981, in Marguerite Duras à Montréal, textes réunis et présentés par Suzanne Lamy et André Roy, Montréal, Editions Spirale, 1981, p.52.

[17DURAS Marguerite, La Musica deuxième, Paris, Gallimard, 1985, pp. 62-83-87.

[18DURAS Marguerite, Agatha, op. cit., p. 41.

[19Ibid., p. 14.

[20Ibid., p. 60.

[21Ibid., p. 39.

[22BLANCHOT Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, Collection Idées, 1968, p. 25.

[23DURAS Marguerite, L’homme atlantique, Paris, Les Editions de Minuit, 1982, p. 8.

[24DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, Folio, 1964, 1992, p. 15.

[25DURAS Marguerite, Dits à la télévision, Entretien avec Pierre Dumayet, A propos du Ravissement de Lol V. Stein, Emission Lecture pour tous, 1964 ; Paris, Collection atelier, Editions et publications de l’école lacanienne, 1999, p. 13.

[26DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op. cit., pp. 17-18 et 22.

[27DURAS Marguerite, Dits à la télévision, op. cit., p. 14.

[28Idem.

[29DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op. cit., pp. 103-105.

[30Ibid., p. 105.

[31DEPIERRE Carole, Marguerite Duras : une écriture de la folie, Thèse, Faculté de médecine de Dijon, 1988, p. 91.

[32DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op. cit., p. 49.

[33Ibid., pp. 60-61.

[34DUYCKAERTS François, La formation du lien sexuel, Bruxelles, Mardaga, 1964, p. 88.

[35Ibid., p. 50.

[36Ibid., p. 124.

[37Ibid., p. 134.

[38Ibid., p. 135.

[39Ibid., p. 136.

[40ROBILLARD Monic, Des affections de Lol V. Stein, in Marguerite Duras à Montréal, op. cit., p. 95.

[41ALLEINS Madeleine, Marguerite Duras, Médium du réel, Lausanne, L’âge d’homme, 1984, p. 116.

[42DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein , p. 123.

[43ALLEIN Madeleine, Marguerite Duras, Médium du réel, op. cit., p. 121.

[44DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op. cit., p. 43.

[45Ibid., p. 82.

[46C’est nous qui soulignons.

[47DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op. cit., p. 65.

[48Ibid., p. 162.

[49Ibid., p. 113.

[50Ibid., p. 167.

[51Ibid., pp. 163-164.

[52Ibid., p. 138.

[53ROBILLARD Monic, Des affections de Lol V. Stein, in Marguerite Duras à Montréal, op. cit., p. 95.

[54Idem.

[55DURAS Marguerite, India Song, Paris, Gallimard, L’Imaginaire, 1991, p. 96.

[56DURAS Marguerite, Hiroshima mon amour, Paris, Gallimard, 1960, Folio, 1971, pp. 137-138.

[57DURAS Marguerite, Un barrage contre le Pacifique, Paris, Gallimard, Folio, 1950, 1978, p. 189.

[58BAJOMEE Danielle, Duras ou la douleur, op. cit., p. 17.

[59DURAS Marguerite, Les yeux bleus cheveux noirs, Paris, Les Editions de Minuit, 1986, pp. 32-33.

[60DURAS Marguerite, Le Camion, Paris, Editions de Minuit, 1977, pp. 41-42.

[61ARMEL Aliette, Marguerite Duras et l’autobiographie, op. cit., p. 134.

[62DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op.cit., p. 152.

[63DURAS Marguerite, La vie tranquille, Paris, Gallimard, 1944, renouvelé en 1972, Folio, 1992, p. 122.

[64Pour la psychanalyse lacanienne, le stade du miroir constitue une étape fondamentale dans le développement de l’être humain se voyant pour la première fois dans le miroir, survenant entre six et dix-huit mois, et mettant en place la première ébauche du Moi. Pour Lacan, le stade du miroir est l’aventure narcissique originelle où se fonde l’image de l’homme . Article Miroir (stade du), in La Folie, Histoire et dictionnaire, par le Dr Jean THUILLIER, op. cit., p. 628.
L’enfant qui se retrouve devant un miroir tente, dans un premier temps, de se saisir de son image comme s’il s’agissait d’un être réel. Il existe, à ce moment, une confusion entre soi et l’autre en ce sens que sa propre image est vécue comme celle d’un autre mais qu’inversement l’image de l’autre peut être prise pour la sienne. Dans un deuxième temps, l’enfant découvre que l’autre du miroir n’est pas un être réel mais une image dont il ne cherche plus à se saisir. Il sait désormais distinguer l’image de l’autre, de la réalité de l’autre. Dans un troisième temps, il réalise non seulement que le reflet est une image mais que cette image est la sienne, différente de celle de l’autre. En se reconnaissant ainsi dans cette image, l’enfant récupère la dispersion du corps morcelé qui était la sienne jusque-là en une totalité unifiée qui est la représentation du corps propre.

[65Selon Jacques Lacan, l’image de soi dans le miroir agirait comme le libérateur d’un sentiment de soi insupportable. Se reconnaître soi-même dans le miroir signifierait par conséquent percevoir enfin son intégrité et être libéré d’un poids considérable : pouvoir oublier sa fragmentation ultérieure et humiliante. Ici, c’est bien le contraire qui se produit : l’humiliation n’est pas dans la fragmentation mais dans l’illusion d’un tout.

[66LACAN Jacques, Ecrits I, Paris, Seuil, Collection Points, 1966, p. 90.

[67DURAS Marguerite, Savannah Bay, Paris, Les Editions de Minuit, 1983, pp. 27-28.

[68DURAS Marguerite, Agatha, op. cit., pp. 29-30.

[69SAPORTA Marc, Le regard et l’école, in L’Arc, n°98, Paris, 1985, pp. 49-50.

[70DURAS Marguerite, Le Camion, op. cit., pp. 78-79.

[71DURAS Marguerite, Le ravissement de Lol V. Stein, op ; cit., p.181.

[72DURAS Marguerite, Agatha, op. cit., p. 20.

[73Ibid., p. 30.

[74DURAS Marguerite, Le Camion, op. cit., p. 61.

[75Ibid., Entretien avec Michelle PORTE, op. cit., pp. 102-103.

[76Cf. le film de Michelle Porte, Savannah Bay, c’est toi (I.N.A., 1983). La citation exacte de Duras est la suivante : « C’est au théâtre qu’à partir du manque on donne tout à voir ».

[77La Couleur des mots, Entretiens avec Dominique Noguez, Editions Benoît Jacob, 2001, p. 154.

[78Ibid., pp. 154-155.

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